I – L'ANTIQUITE CHRETIENNE ET LES PREMISSES DE LA DEMARCHE AUTOBIOGRAPHIQUE

1 – L'émergence du sujet

Au sein du christianisme, l'exigence religieuse de compréhension de la vie intérieure, à l'époque de l'Antiquité tardive, favorise l'émergence de la personne et met en avant l'expérience personnelle. En chaque être réside un chrétien en puissance. La religion chrétienne se préoccupe de chaque individu. Chaque personne représente une âme, définit un fidèle. L'entreprise chrétienne place la personne, dans une perspective de découverte avec elle-même et avec les autres, mais effectuée sous le regard de Dieu, et à la lumière de Dieu. Elle s'intéresse à la dimension de la personne prise dans son rapport avec Dieu et avec les hommes.

L'Église de l'Antiquité chrétienne fait prévaloir une anthropologie nouvelle : chaque destinée si humble soit-elle suppose une sorte d'enjeu surnaturel. La vie terrestre est la dimension temporelle ou s'opère la conversion dont dépend le salut final. La religion chrétienne témoigne du souci constant de la destinée de tout homme et de son évolution. Elle veut révéler les voies de la guérison et conduire au salut tout être humain. Elle invite chaque individu à prendre place parmi l'ensemble des membres de l'Église, afin de s'approcher du contenu universel de la foi. Elle veut favoriser l'éveil des consciences. Elle incite chaque personne à sonder son âme pour retrouver l'empreinte de Dieu.

«Le chrétien est guidé dans sa recherche de soi par l'enseignement qu'il a reçu de la Révélation. Il sait que l'homme a été créé par Dieu à son image, sa propre âme sera donc pour lui un miroir de Dieu» 7 . Cette perspective justifie la quête de soi. La religion interpelle chaque être humain jusqu'au plus profond de lui-même, elle le conduit à opérer un retour sur lui-même, jusqu'au plus profond des origines, pour comprendre l'ensemble de son être. «Le chrétien voudrait retrouver en soi son être tel que Dieu l'a vu et voulu» 8 . Cette recherche est une recherche éminemment personnelle. Elle engage tout l'être.

Le christianisme de l'Antiquité célèbre la vocation religieuse de l'individualité et consacre en tout homme la créature de Dieu. Il découvre la nécessité d'une pratique intérieure, d'une approche intérieure de soi. Cette dimension se trouve au cœur de la religion. «En invitant le fidèle à se tourner vers soi, à scruter la pureté de ses intentions, connaître ses fautes et les avouer à Dieu, la tradition chrétienne consacre une démarche et favorise l'émergence de l'autobiographie» 9 . Elle découvre en l'espace autobiographique, une voie favorisant le retour vers Dieu. Elle reconnaît dans la catégorie autobiographique l'organe d'une approche authentique de la vérité religieuse, et d'une véritable connaissance spirituelle de soi.

L'entreprise chrétienne débouche sur une exploration de l'homme. Le christianisme diffuse une forme de religion toute entière tournée vers l'intériorité, attentive aux intentions, et aux mobiles. Il exige une minutieuse et méticuleuse connaissance de soi. La relation psychologique à soi même fondamentale de la vie religieuse, le renforcement de la vie intérieure entraînent l'individu à s'observer soi-même et à prendre intérêt à sa propre subjectivité. La pratique de l'examen de conscience, la traque des péchés telle que l'Église les demande, obligent chaque fidèle à se pencher sur soi et à s'interroger. Le chrétien répond à un devoir, devoir que lui enjoint l'Église en se livrant à cette analyse. L'analyse dans le sens de la «confession» mène à la guérison et au salut de l'âme et permet de rester vigilant face à sa vie personnelle.

Ainsi l'écriture se voit associée au parcours de chacun. Elle revêt une fonction dissuasive, préventive et un caractère moral. Elle donne la possibilité de mener un travail vis-à-vis de soi. Elle s'accompagne d'un progrès spirituel, d'une compréhension du message divin, d'un approfondissement de la foi. La religion chrétienne se préoccupe de l'aspect vécu de la foi, et de la pénétration de la parole divine, chez les fidèles. La réflexion théologique insiste sur la nécessité d'une expérience effective de la conversion et de la grâce divine. «Chacun doit être assuré de l'authenticité de sa foi ; Il s'agit de savoir si la grâce de la conversion lui a été réellement donnée, il s'agit ensuite de ne pas oublier cette grâce dans les intermittences de la ferveur» 10 .

L'écriture autobiographique répond aux exigences de l'Église. Elle représente une expérience tournée vers l'aveu des péchés, le pardon, la conversion, et la recherche de la grâce. Elle ouvre les voies de la spiritualité et de la mystique. Elle contribue à établir et à féconder toute une culture chrétienne. Elle restitue le rôle central de la personne au sein de la religion chrétienne, et l'importance de la démarche autobiographique, pour les premiers chrétiens.

Notes
7.

G. GUSDORF, La Découverte de soi, P.U.F., 1948, p. 9

8.

Id.

9.

L'Ecriture de soi, Vuibert, 1996, p. 9

10.

G. GUSDORF, «De l'autobiographie initiatique à l'autobiographie genre littéraire», Revue d'histoire littéraire de la France, 1975, n°6, p. 985