4 - Aperçu historique et démarche autobiographique aux IIIeme et IVeme siecles

La première autobiographie chrétienne remonte à la conversion de Saint Paul dans les Actes des apôtres. L'apôtre rapporte dans un discours à la première personne, l'apparition de Jésus sur le chemin de Damas, ainsi que les paroles qui le terrassent et le transforment. Le germe grandit ensuite avec les Apocryphes clémentins (où Clément d'Alexandrie raconte combien il fut tourmenté par l'idée de la condition mortelle de l'homme et comment lui parvint le message du Christ promettant le Royaume éternel), puis la Passion de Sainte Perpétue, et le Discours sur Origène de Grégoire le Thaumaturge. 14

Au IIIè siècle, Saint Cyprien de Carthage confirme ce mouvement autobiographique spirituel en adressant vers 258, le récit de sa conversion à son ami Donat: A. Donat. Il fournit ainsi l'un des premiers modèles de récit de conversion, où la réévaluation de la vie entière, s'effectue à la lumière de la grâce divine.

Le IVè siècle voit l'essor de cette démarche à travers plusieurs approches autobiographiques, assez différentes dans leur forme, mais proches, par leur communauté de recherche et de point de vue. Saint Athanase d'Alexandrie (295-373), père de l'Église et artisan de la doctrine chrétienne, examine dans la biographie qu'il consacre à Saint Antoine, le cas général de fidèle responsable delagestion de son intimité.Il se penche sur le rôle de l'écriture de soi, comme lieu où l'individu recherche la confrontation avec soi-même, en vue de mettre la pratique de sa vie en accord avec les valeurs qu'il veut professer. «Voici une chose à observer pour s'assurer de ne pas pécher. Remarquons et écrivons, chacun, les actions et les mouvements de notre âme, comme pour nous les faire mutuellement connaître et soyons sûrs que par honte d'être connus nous cesserons de pécher et d'avoir rien au cœur de pervers [....]. Que l'écriture remplace les regards des compagnons d'ascèse [....].15

Saint Cyprien d'Antioche s'insère dans ce mouvement en livrant une Confession destinée à l'évêque d'Antioche pour obtenir le baptême. Il rappelle, comment il a erré dans ses jeunes années parmi les cultes païens, et commis toute sorte de fautes, avant d'accéder à la vraie foi. Saint Hilaire de Poitiers, retrace également dans le prologue de son De Trinitate, la façon dont il fut détourné de la philosophie, et invité à la confession de foi et à la reconnaissance de Dieu. Saint Grégoire de Naziance avec son poème autobiographique, le Sur lui-même, s'inscrit encore dans cette démarche, en narrant les péripéties de sa vie, et en exposant la façon dont il place son espoir et sa raison en Dieu, port et refuge assuré.

Ainsi, se mettent peu à peu en place, dans la tradition chrétienne, divers éléments constitutifs d'une démarche autobiographique, au sein de laquelle prennent place les Pères de l'Église. Ceux-ci, en tant que représentants de Dieu et guides spirituels, se sentent investis d'un devoir de témoignage, et n'hésitent pas à relater la façon dont ils ont embrassé le christianisme, en mettant en scène leur propre histoire.

Au sein de ce mouvement, les tentatives de réflexion spirituelle autobiographique les plus remarquables semblent être celles de Saint Cyprien de Carthage (au travers de la lettre adressé à Donat : A. Donat), de Saint Grégoire de Naziance (à travers son poème le Sur lui même), peu de temps avant la parution des Confessions de Saint Augustin, modèle du genre. C'est pour stimuler un ami qu'il trouve trop tiède, c'est pour le détourner des honneurs et des biens matériels, que Saint Cyprien rédige cette lettre «A Donat», qu'il présente comme un entretien familier. Il veut montrer les changements opérés en lui par la grâce baptismale et veut aviver l'ardeur de son ami : «Écoute un langage non point bien ordonné mais fort, [....] mais simple dans sa brutale vérité pour proclamer la divine miséricorde». 16

A partir de sa propre expérience, Saint Cyprien vante le don de Dieu qui communique vie, énergie, et montre que le baptême opère une véritable régénération et transforme le chrétien qui le reçoit. Il livre son expérience de catéchumène longtemps hésitant puis transformé par la réception de ce sacrement. Il fait connaître quelques uns des motifs qui ont agi sur lui pour sa conversion : insuffisance des biens terrestres pour combler les désirs d'une grande âme, aspiration à la justice et aux récompenses d'outre-tombe. Saint Cyprien prend conscience de sa propre transformation et de son évolution spirituelle en réexaminant les étapes de la conversion et l'influence décisive du baptême. Il livre un enseignement moral et théologique à l'usage de tous.

Saint Grégoire de Naziance dans son poème le Sur lui-même fait le récit de sa vie, depuis son enfance jusqu'à sa consécration épiscopale. Toutefois, son projet se trouve essentiellement animé par le désir de transmettre l'expérience de sa conversion. Il relate comment il est passé d'une foi raisonnée, transmise, à une foi vécue et à une appréhension totale du Divin. Saint Grégoire veut instruire ses frères de la révélation divine. «Vais-je taire les merveilles par lesquelles Dieu m'a fait avancer en utilisant si bien l'ardeur qu'il trouvait en moi [....]»17 Il veut attester de la présence divine au cœur de chaque vie, et montrer comment une existence prend sens, à partir du moment où elle se rattache à Dieu.

«Et c'est toi, ô mon Christ, c'est toi qui fus mon puissant sauveur, toi qui en ce moment encore me protège des orages de la vie».18

Ainsi, la démarche autobiographique dans la perspective chrétienne consacre une recherche spirituelle, une expérience de vie basée sur une rencontre avec Dieu. Mais, elle veut au-delà, contribuer à l'évolution des mœurs, en invitant d'une part les catéchumènes peu convaincus à vivre d'une façon authentique leur foi; et d'autre part les païens à abandonner les faux dieux et à se convertir au christianisme. A cet égard, Saint Augustin a sans conteste mené le projet le plus complet et le plus ambitieux, comme nous allons le voir.

Notes
14.

P. COURCELLE, «Antécédents autobiographiques de Confessions de Saint Augustin», Revue de Philosophie, 1957, n° 31, pp. 23-51. Se reporter à cet article pour plus de précisions.

15.

ATHANASE D'ALEXANDRIE, Vie et conduite de notre père Saint Antoine, traduction par le P. B. Lavaud, Abbaye de Bellefontaine (Bégrolles en Mauges), 1979, p.55

16.

CYPRIEN DE CARTHAGE, «A. Donat», traduction et notes de J. Molager, Ed. Du Cerf, 1982, 2, pp..35-37

17.

GRÉGOIRE DE NAZIANCE, «Poèmes et lettres», choisis et traduits par P. Gallay, E. Vitte, 1941, p.36

18.

Id.