1 - Les Confessions ou le récit d'une expérience personnelle authentique

Augustin surpasse de loin ses prédécesseurs, par l'aptitude à analyser ses états de conscience personnels, et à les décrire en images fortes et audacieuses. Il peint une expérience personnelle authentique en se conformant pour l'exprimer, à une longue tradition littéraire. Celle-ci l'invite à décrire sa propre vie comme une quête du moi, anxieuse et ardente, à travers mille détours matériels et moraux, jusqu'à la découverte de la voie unique, qui lui procure enfin certitude et sécurité.«A me ipso de me ipso» : être soi-même l'auteur d'un texte dont on est soi-même le sujet / objet ou plus littéralement être en matière d'écriture à l'origine de ce dont on est l'objet originel, n'est-ce pas la plus simple et, en même temps, la plus rigoureuse définition du statut de l'autobiographie». 20

L'illustration de cette formule par l'ensemble des Confessions fait de ce livre un modèle du genre. Le récit des Confessions est au plus haut point existentiel, personnel et vécu, tout en prenant une signification universelle par suite de sa vérité et de sa profondeur humaine. On y retrouve les thèmes essentiels et naturels du développement de la vie humaine, comme marche vers Dieu, et comme progrès vers la plénitude de la vie spirituelle. Augustin écrit les Confessions dans l'après-coup de la parole divine à laquelle il ne peut se dérober, soit quelques dix ans après sa conversion, alors qu'il exerce les fonctions d'évêque d'Hippone. Il s'y révèle comme un homme épris de solitude et de silence, attentif à soumettre sa pensée au rythme de la vérité divine. Il affirme son besoin de réfléchir devant Dieu, de dialoguer et le plaisir qui s'y rattache. Il désire également conserver à l'esprit, le malheur d'une existence privée de la Révélation, pour mesurer de quel abîme il est sorti. Augustin veut renouveler le souvenir des actes coupables du passé, pour en saisir la signification profonde, dans un dialogue incessant avec Dieu qui pardonne. A Hippone, le christianisme a pris le rôle dominant dans l'organisation du monde intérieur d'Augustin. Sa foi se fait plus rigoureuse, plus âpre, son âme achève de s'unifier. L'évolution d'Augustin semble subordonnée à cette préoccupation dominante, celle qui restera le thème de l'augustinisme éternel «faire à Dieu sa part».

Le souvenir de ses fautes et de ses erreurs passées s'exaspère chez Augustin. Pour avoir jadis erré loin de la voie, il veut s'attacher à celle-ci de façon la plus étroite possible. Les Confessions répondent à ce vœu fondamental d'un christianisme éprouvé plus intimement et d'un devoir être. Elles participent au projet de vie d'Augustin : celui de vivre de la vérité, sous le regard de Dieu, et de témoigner en sa faveur.

Augustin occupe deux fonctions dans l'ouvrage. Il apparaît à la fois comme pasteur, autorité ecclésiastique et théologique, et comme écrivain narrateur, qui se confesse et invoque Dieu. Sa sincérité est garantie par la présence de Dieu. «Je ne dis en effet rien de vrai aux hommes que moi toi d'abord tu ne l'aies entendu [....]». 21 Sa confession, confession de foi et confession des péchés, s'effectue devant Dieu, et en présence de Dieu, mais se trouve destinée aux hommes, partenaires obligés et indispensables de son entreprise :«Pour qui ce récit ? Non certes pour toi mon Dieu, mais pour ma race, la race humaine [....] Et à quel dessein ? Afin que moi-même et que mon lecteur quel qu'il soit nous concevions de quelle profondeur il faut crier vers toi [....]». 22

Il y a trois protagonistes dans l'ouvrage : Augustin, Dieu et le monde des hommes. La place de l'Autre est inscrite par le nom de Dieu. L'Autre est à la fois le destinataire et le lieu de vérité. L'unité du livre se réalise par l'acte même dont il témoigne : la conversion qui fonde les phases successives du récit. Cet acte invite Augustin au regard rétrospectif de celui qui veut montrer comment la grâce faisait en lui son chemin, et comment se sont toujours manifestées la présence et l'action de Dieu, dans sa vie.

L'existence d'Augustin prend valeur universelle. Livré à ses seules forces, il était faible et attaché aux choses d'ici bas; mais par une série d'avertissements et d'accidents, la Providence le mène à la connaissance du Verbe incarné et le conduit jusqu'au Père. L'histoire du genre humain et celle d'Augustin sont semblables et découvrent une destinée prise dans l'universelle Rédemption. Augustin ne cesse de guider ses lecteurs, tout au long de leur lecture des Confessions, afin de leur faire réaliser ce message. Il marque également la nécessité de recourir à l'expérience autobiographique pour parvenir à la recherche du vrai.

Notes
20.

A. MANDOUZE, Op. cit., p.13

21.

Oeuvres de Saint Augustin : 13-14, deuxième série : Dieu et son œuvre, Les Confessions, texte de l'édition de M. Skutella, introduction et notes d'A. Solignac, Desclée de Brouwer, 1962, X, II, p. 2

22.

Ibid., II, III, p. 5