2 -»Les Confessions» et la démarche autobiographique entreprise par Saint Augustin.

La rédaction des Confessions consacre la liberté d'Augustin et son libre arbitre à disposer de lui-même. Elle atteste de l'importance accordée par Augustin à la vie personnelle et au mystère de la personne. L'ouvrage illustre et proclame le choix essentiel d'Augustin et l'usage qu'il entend faire de sa vie. Il souligne l'identité personnelle, la personnalité de l'écrivain chrétien et révèle son histoire. En cela il correspond totalement à la démarche autobiographique.

Les Confessions constituent un acte de volonté. Celui-ci fait passer l'être personnel de l'imprécision et de l'irrésolution, à la résolution. L'écriture du moi suppose la présence du moi, l'adhésion et l'adhérence de l'être personnel. «Le Recours à l'écriture s'impose comme un moyen d'investigation, qui permettra de fixer une matière différente, et d'entrer en possession de soi-même». 23 L'écriture est corrélative de l'identité. L'auteur vient à sa propre vie parl'écriture. L'écriture s'affirme comme instrument d'investigation existentiel. Elle fait partie du projet de vie d'Augustin, dont elle constitue une étape nécessaire, et obligée. En écrivant sa vie, Augustin affirme qu'une vie forme un tout et en livre le secret. Il dévoile aussi son être le plus intime et le plus profond. Il fait état du vœu de cohérence de soi à soi qui l'anime. Le projet d'Augustin concerne toutefois beaucoup moins sa propre personne, que la vérité à laquelle il entend désormais se consacrer tout entier. «Augustin ne se considère que comme un intermédiaire. Sa parole n'importe pas, ni la parole d'aucun d'homme sur sa propre vie, mais la parole de Dieu qui est le secret de chaque existence...». 24

Augustin entend célébrer la présence et l'action de Dieu au cœur de sa vie et le choix qui est le sien. Il se porte garant d'une vérité et l'atteste. En s'énonçant, il s'engage devant Dieu, lui-même, les autres hommes et définit les sens de sa vie. «Son but est de témoigner non en sa propre faveur, mais en faveur de Dieu qui l'a sauvé : Dieu, «le médecin intérieur» [....]».25

L'écriture autobiographique relève donc d'un choix délibéré et approprié pour Augustin; car elle révèle une multitude de possibilités et s'accorde à ses nombreuses préoccupations. Elle permet à Augustin de prononcer la centralité du moi, et le principe de l'identité personnelle, sous le regard de Dieu. Augustin opte pour une certaine vision de son individualité. Il devient opérateur de son individualité. Il entreprend une quête dont il est l'objet.Il est lui-même la mesure de ce qu'il écrit, à la fois meneur du jeu, arbitre du jeu, et enjeu du jeu. Il se trouve doublement impliqué dans son écriture et atteint la plus haute conscience de soi, à travers cet exercice réflexif. Il cerne sa vie dans ce qu'elle a de plus profond et de plus déterminant dans sa genèse. Il s'interroge sur son identité de circonlocution en circonlocution, comme animé par le désir d'arracher le sens de sa destinée, et de trouver le point où se manifeste son identité véritable.

Augustin restitue ainsi l'économie interne de la vie humaine. Mais surtout, il met en avant les choix constitutifs d'une existence, ceux-là même qui justifient une vie, et la capacité où se trouve chaque homme d'exercer son libre arbitre. Pour Augustin, une vie vécue selon l'ordre de l'affirmation personnelle, repose sur l'adhésion à une ou des valeurs librement consenties. Chaque existence doit s'ordonner, selon un ordre conforme à une exigence intime et à un choix défini. «Elle t'invoque, Seigneur ma foi, que tu m'as donnée, que tu m'as inspirée par l'humanité de ton fils, par le ministère de ton prédicateur». 26

Le désir de résolution s'affirme ici. Il convient de reconnaître celui que l'on veut être, et d'être tel que l'on se veut en référence à son projet écrit. Il faut régler sa vie en fonction d'un projet conforme à ses intentions. «Puissé-je te confesser tout ce que j'aurai trouvé dans tes livres, et entendre la voix de louange et considérer la merveille de ta loi, depuis le principe où tu fis le ciel et la terre, jusqu'au règne éternel avec toi dans ta sainte cité». 27

Les écritures du moi obéissent à la fois, à un vœu rétrospectif et prospectif d'intelligibilité globale, pour Augustin. La rencontre entre le vécu et sa projection écrite, devient le moment décisif par rapport auquel s'organise l'ensemble de l'histoire personnelle, et le foyer de toutes les significations. Le présent qui s'exprime est relatif au passé, et le passé devient une modalité du présent. Augustin se souvenant après plus de dix ans d'événements décisifs de sa vie, l'image du moi passé et celle du moi présent, rejaillissent afin de faire apparaître le nouveau moi issu de la confrontation. L'écriture fait autorité sur le vécu. Elle le modèle en fonction du projet de valeur d'Augustin. Celui-là même qui organise toute son existence : faire la vérité de son âme et de sa vie devant Dieu.

L'autobiographie impose à l'écrivain chrétien un principe de sélection. Augustin retient et organise les éléments ayant un rapport direct avec la ligne directive de sa vie. L'autobiographie repose sur une série de choix. Dans ce que lui livre sa mémoire, Augustin ne garde que les événements qui s'inscrivent dans la perspective d'ensemble qu'il a choisi. Seuls entrent en ligne de compte, les faits qui contribuent à la situation acquise, au moment où Augustin se met à l'œuvre.

Augustin en se reprochant ses fautes passées se prononce hautement en vue d'un nouvel avenir.«Je t'en conjure, mon Dieu, éclaire-moi aussi sur moi-même, pour que je confesse à mes frères, qui prieront pour moi, toutes les blessures que je découvrirai en moi». 28

Il porte témoignage non seulement sur ce qu'il a été mais surtout sur ce qu'il est, et ce qu'il sera. Le déterminisme des causes et des effets ne s'exerce pas en direction du présent, mais à l'inverse, du futur au passé et au présent, en vertu d'une exigence d'aspiration.

Augustin réalise à travers la projection autobiographique une deuxième lecture de son expérience, plus vraie que la première, puisqu'elle débouche sur une prise de conscience aiguë. En se déprenant de sa vie, il se montre capable d'en maîtriser les significations éparses. Il fait état d'une vigilance active intervenant dans le désir de connaissance de soi, et de présence de soi à soi. Il assure, corrige et justifie son existence personnelle. Il prévient et réfute les accusations. Sa recherche et sa réflexion émanent d'un désir d'exactitude, de sincérité, d'un besoin de structure et de synthèse, ainsi que d'une volonté d'unité de sens.

En affirmant son existence sur le mode autobiographique, Augustin montre comment l'homme peut être l'agent de sa propre réalisation, avec l'aide du Divin. A travers cette démarche, Augustin acquiert une certaine émancipation, mais aussi une liberté, et le sentiment qu'il peut l'exercer, à travers ses actes. Il exprime l'unicité d'une vie et l'irréductibilité de la personne. Il s'explique sur la voie qu'il a choisie. Il raconte sa transformation intérieure, la façon dont elle s'est accomplie à la lumière de l'événement qui a bouleversé toute son existence : sa conversion au christianisme. Il situe sa destinée dans l'histoire de l'universelle Rédemption. Il montre comment son rapport à Dieu le ramène à lui-même, et le conduit à s'expliquer sur ses actes, ses engagements et son parcours.

L'exercice autobiographique revêt pour Augustin un caractère libérateur et se voit investi d'une grande valeur psychologique. Il met fin à des tensions et des contradictions. Il rétablit un équilibre. La rétrospection permet d'unifier le parcours, d'éliminer les écarts, d'ordonner en série linéaire les événements du passé, de manière à justifier l'aboutissement, connu par avance. Le projet autobiographique d'Augustin se situe dans une perspective chrétienne. Augustin veut que sa propre histoire serve aux autres. Il désire faire connaître l'homme dans la vérité de Dieu, en s'appuyant sur sa propre expérience. Son récit doit inciter ses lecteurs à se rapprocher de Dieu, à travailler à leur conversion et à leur salut. La démarche autobiographique n'est pas séparable pour Augustin des préoccupations de l'évêque qui cherche à évangéliser. Augustin adresse un message à ses frères et veut leur indiquer une voie. Il s'ouvre à autrui et au monde extérieur, de sa propre histoire, pour favoriser la reconnaissance de Dieu.

A travers la démarche autobiographique, Augustin réalise un acte concret, car il passe du silence à la parole par la voix de l'écriture. Il manifeste la façon dont il vit son histoire et la transforme en mythe. Il exprime qu'il est parvenu au bout de sa recherche, en convertissant sa vie en un texte. Celui-ci définit la justification de l'entreprise. Augustin souligne le pouvoir de l'écriture autobiographique pour accéder à une redéfinition de soi et de l'existence. Sa décision autobiographique fait passer son récit de vie d'un temps historique à un temps prophétique.

Notes
23.

G. GUSDORF, Les Ecritures du moi, Lignes de vie : 1, O. Jacob, 1990, p. 284

24.

G. GUSDORF, La Découverte de soi, Op. cit., p.19

25.

Id.

26.

Confessions, op. cit., T.I, p.1

27.

Ibid, XI, II, p.3

28.

Confessions, X, XXXVII, p.62