3 - La conversion religieuse d'Augustin et sa conversion à l'écriture autobiographique.

L'aspect de conversion est central dans l'existence d'Augustin. Cet événement bouleverse et transforme radicalement la vie d'Augustin. Il en change définitivement l'orientation. Il l'incite à témoigner et à proclamer sa foi, à travers son œuvre la plus importante : les Confessions. La démarche de foi d'Augustin s'accompagne d'une révision de vie. Celle-ci se concrétise aussi à travers l'écriture. La procédure autobiographique illustre le changement survenu chez Augustin, marque le passage d'un état à un autre. Sa conversion a fait d'Augustin un autre homme, mais celui-ci éprouve la nécessité d'écrire son histoire, afin d'inscrire de façon concrète son changement.

Il y a donc concordance entre la conversion d'Augustin au Dieu de Jésus-Christ, et sa conversion autobiographique. La conversion religieuse, consacre la découverte en Augustin, de l'homme nouveau, qui supplante l'homme ancien.La conversionseconde à l'écriture de soi actualise le renouvellement de l'esprit, sous la forme d'un récit de vie, dont l'événement majeur est la rencontre d'Augustin avec Dieu. Cet événement domine la vie entière d'Augustin et irradie le texte des Confessions. Augustin consacre en la démarche autobiographique une étape obligée de son cheminement spirituel. «Le recours à l'écriture s'impose comme un moyen d'investigation, qui permettra de fixer une matière diffluente et d'entrer en possession de soi-même». 29 Augustin reconnaît à l'écriture une dimension de connaissance et d'auto-discipline. Il attache à cette expérience une responsabilité d'ordre moral et religieux. Augustin réalise d'autre part, que ce n'est qu'en livrant son discours à l'autre, qu'il peut véritablement marquer la transformation de son existence achevée par la conversion. «Voilà le soldat du temps céleste, et non pas la poussière que nous sommes. Mais rappelle-toi, Seigneur, [....] de cette poussière tu as fait l'homme, et il était perdu et il est retrouvé. [....] Fortifie-moi afin que je puisse. Donne ce que tu commandes et commande ce que tu veux». 30

La conversion autobiographique est génératrice d'une nouvelle vie, dont le principe se trouve dans la recherche même du sens de cette vie. La mise en mémoire écrite du devenir de la vie passée, est corrélative du devenir de la vie, qui se poursuit au fur et à mesure de la progression des écritures. La procédure autobiographique met en œuvre une nouvelle modalité d'existence. Le travail sur soi inaugure une vie nouvelle. L'écriture autobiographique joue un très grand rôle. Augustin se raconte pour être autre, pour marquer son retournement moral. Il n'est plus l'homme pécheur et incrédule des débuts, mais un homme désormais habité par la grâce de Dieu. L'écriture de soi est donc constitutive pour Augustin de sa nouvelle identité personnelle. «L'interrogation d'identité contribue à la constitution de l'identité, grâce à la recherche et reprise en appel des expériences de vie [....]». 31

Le nouveau moi d'Augustin est le résultat de l'écriture. La médiation narrative offre à Augustin la possibilité d'être interprétation de soi et souligne le nouvel homme qui se met en place. Elle atteste, en quelque sorte, du retournement qui s'est opéré et l'entérine. Désormais Augustin a pris un nouveau départ. Il s'est fait l'artisan de sa seconde naissance, aidé par la miséricorde divine. Cette réalisation cependant nécessite le recours à l'écriture. Augustin s'affirme dans l'écriture; Celle-ci le fait être, mais plus encore, elle lui offre une nouvelle dimension. S'il est évident que l'écriture de soi est l'œuvre du moi, il est tout aussi vrai que le moi, «le nouveau moi» d'Augustin est l'œuvre de l'écriture de soi. Augustin se donne les moyens de lire sa propre vie, de trouver dans son dessin un nouveau sens et une nouvelle direction, relatif à cet événement majeur de la conversion. Il dégage les grandes lignes du chrétien qu'il entend désormais incarner. Il en dévoile la manière de penser, d'agir, de se comporter. «Or pour moi, rester attaché à Dieu est mon lien, parce que, si je ne demeure pas en lui, en moi non plus je ne le pourrai; mais lui demeurant en soi, rend nouvelles toutes choses.» 32

Saint Augustin se saisit de ses propres transformations, prend acte et fait des événements, des rencontres qui se sont révélées essentielles pour opérer un changement en lui-même. Dire les choses, c'est se risquer à devenir autre. L'écriture autobiographique est opératrice du changement d'Augustin. Elle lui permet de voir ce à quoi il a donné forme en lui. Elle débouche sur de nouvelles potentialités. La quête autobiographique fait advenir un nouveau sens à la vie d'Augustin et donne une nouvelle configuration à son existence. Le projet autobiographique témoigne de la volonté de rectification, de réforme, et de complétude qui habite Augustin. Il exprime le désir d'insuffler une nouvelle direction à l'existence, à partir d'une recollection du passé. Dire sa vie, c'est changer sa vie. L'autobiographie est prise de conscience du pouvoir d'agir sur soi, par le biais de l'écriture, pour Augustin.

L'enquête autobiographique n'est pas séparable d'une conquête. La démarche autobiographique est prescriptive de la réalisation de soi pour Augustin. Elle implique un remodelage, issu de tout un processus de concientisation. Elle invoque bien l'intention d'une mutation, dans le sens d'un progrès moral et d'une recherche de la perfection. En terme de dynamique, le travail autobiographique produit un effet de rebondissement. La récapitulation du passé conduit vers l'avenir de ce passé et vers la sommation du présent. Elle est cumulative du devenir de la vie et se trouve tournée vers le futur. La reprise de sens se réalise dans l'actualité du présent et permet de construire l'avenir. «Te voici, tu es là, tu délivres des misérables erreurs, et tu vas nous rétablir dans ta voie, et tu consoles et tu dis «Courez et moi je vous porterai, et moi je vous mènerai au but, et là, moi je vous porterai».33

La conversion autobiographique illustre bien le retournement moral d'Augustin et vient consacrer sa seconde naissance. Elle traduit l'apparition du chrétien en Augustin et illustre sa possession d'un ordre plus élevé, car le verbe s'actualise désormais dans l'âme augustinienne. L'œuvre des Confessions se veut sous-tendue par l'application à la réalisation d'un destin mais comporte aussi une dimension militante. A aucun moment Augustin n'oublie sa position d'autorité ecclésiastique et de pasteur. Il sait qu'il a le devoir de conduire à Dieu de nombreuses âmes. En ce sens son témoignage se veut exemplaire. Il cherche à déclencher auprès des lecteurs une démarche de réflexion et un désir de réforme. L'évêque se préoccupe de gagner à l'idéal chrétien un monde romain encore pétri de culture païenne et d'ambitions terrestres. Il met sa «conversion autobiographique» au service de l'idéal religieux chrétien et cette volonté se manifeste au plus profond de son écriture.

Notes
29.

G. GUSDORF, Les Ecritures du moi, Op. cit., p. 284

30.

Confessions, X, XXXI, p.45

31.

G. GUSDORF, Les Ecritures du moi, Op. cit. p.11

32.

Confessions, X, XI, p.17

33.

Confessions, VI, XVI, p.26