4 - Le style des Confessions illustration du changement qui s'est opéré en Augustin

On ne peut aborder les Confessions sans se préoccuper du style et de l'écriture d'Augustin, car ceux-ci ne sont pas séparables de l'œuvre et revêtent en eux-mêmes leur propre signification. Le style correspond à l'homme et se veut représentation de sa personnalité. Il dévoile l'être intime de l'écrivain, de même que le choix des mots, l'ordonnance des phrases, les images et le ton. L'architecture de l'ouvrage reflète parallèlement le caractère et les intentions du narrateur.

Augustin structure les Confessions en deux grandes parties et treize livres. Les neuf premiers livres offrent une succession de tranches d'existence et restituent la quête de la vérité sous la conduite de la Providence. L'épisode de la conversion, événement central des Confessions, se situe au livre VIII et introduit la deuxième partie de l'ouvrage. Il fait basculer le récit de la narration autobiographique dans la méditation métaphysique pour se centrer dans les derniers livres (IX, X, XI, XII, XIII) sur la parole de Dieu. La première partie du livre est indispensable à la seconde et illustre le cheminement d'Augustin jusqu'au basculement total et définitif qui le fait retrouver Dieu. La deuxième partie exprime la joie ressentie par la possession de la vérité à travers l'écriture sainte. Elle présente la parole d'Augustin convertie à la parole de Dieu qui s'efface devant les écritures : «Laisse moi t'offrir en sacrifice le service de ma pensée et de ma langue [....] Que je fasse mes chastes délices de tes écritures sans me tromper en elles et sans tromper par elles». 34

Augustin a donc voulu marquer le changement accompli en lui à la lumière de la vérité divine à travers l'écriture même des Confessions. Cette intention est fondamentalement inscrite au cœur de l'ouvrage et ne peut que frapper le lecteur. L'interruption de l'autobiographie, le centrage sur la Bible marquent la réduction de la tension en Augustin et la conversion de sa propre parole à la parole divine. Augustin a médité le texte de la Bible et s'est nourri de sa pensée et de son langage pendant les dix ans qui ont suivi sa conversion. Il est donc normal que ce contact prolongé avec les écritures se traduise au niveau même du langage employé par l'écrivain. Le style de l'Ancien Testament et celui de Saint Paul imprègnent la propre phrase d'Augustin. L'influence littéraire de la Bible se fait sentir de multiples façons. Elle se rappelle à travers certaines tournures : Ces bagatelles de bagatelles, Ces vanités de vanités (...) 35 La maison de mon âme, 36 Le fils cadet 37 et de longs passages (livre I, versets IV à VI).

La Bible, dans les Confessions, est comme un courant spirituel qui circule sous le texte et transparaît de pages en pages jusqu'à se répandre en nappes entières à travers les derniers livres. Cependant, à ce langage biblique, se mêle aussi le langage proprement chrétien, car Augustin s'est familiarisé avec le vocabulaire de sa nouvelle foi. Les Confessions comprennent un grand nombre de termes traduisant la pensée chrétienne : salut, pécheur, chair, âme, race, faiblesse, conversion, etc... Deux mots servent de thèmes dans l'ouvrage : louer et invoquer. Augustin ne cesse d'invoquer Dieu tout au long de l'ouvrage et veut célébrer sa grandeur. Le converti qui réside en lui désire témoigner de sa foi et exprimer sa reconnaissance. A tout instant la louange monte : Louange à toi, gloire à toi, source de miséricordes ! «38 La contemplation se prolonge O très grand, très bon, très puissant, tout-puissant [....]» 39 La prière surgit : Eh bien, Seigneur, agis ! Réveille-nous et rappelle-nous ! Enflamme et ravis ! [....] 40 . Le visage divin apparaît toujours en filigrane derrière Augustin. Le dialogue avec Dieu est constant et se fait toujours devant des auditeurs.

Augustin a conscience d'avoir un public. Il se rend compte que ce public est mêlé, hostile, indifférent ou sympathique. Son écriture doit parvenir à restituer la présence de Dieu. Ses auditeurs doivent retrouver Dieu présent et agissant à chaque page. Ils doivent aussi percevoir l'âme d'Augustin où défilent les ombres du passé. Car sa propre histoire est aussi la leur et se joue à tout instant entre eux et Dieu, comme ce fut le cas pour Augustin. L'allure de libre méditation coupée de prières et de vœux des Confessions reflète la volonté d'Augustin de s'entretenir avec Dieu. C'est pourquoi, celui-ci va jusqu'à prendre pour ce dialogue le langage de Dieu lui-même, tel qu'il s'exprime dans les livres sacrés, afin d'illustrer sa volonté de rapprochement avec le Divin.

Ainsi, Augustin consacre, par le choix de l'écriture, sa seconde naissance et proclame en lui le chrétien. Le style d'Augustin se veut le miroir de son histoire et de son cheminement. Il reflète la vérité intérieure d'Augustin, son parcours et son drame spirituel. La langue des Confessions se veut comme une image vivante de l'auteur et illustre la conversion d'Augustin au christianisme.

Notes
34.

Confessions, XI, XII, p.13

35.

Ibid., VIII, XI, p.26

36.

Ibid., I, V, p.6

37.

Ibid., I, XVIII, p.28

38.

Ibid., VI, XVI, p.26

39.

Ibid.; I, IV, p.4

40.

Ibid., VIII, IV, p.9