3 - Autobiographie chrétienne et altérité

Augustin se retrouve au miroir des écritures dans les Confessions, et témoigne à travers son œuvre, de la nécessité pour chaque homme, de réfléchir à sa vie et de participer à sa propre formation. Il découvre en la démarche autobiographique, une voie qui permet à chacun de se constituer, et de s'approprier un ensemble de connaissances. Il reconnaît la possibilité pour chacun, de s'enseigner au travers des expériences de la vie. Il considère que l'éducation est autobiographique. A travers l'exercice autobiographique, le sujet met en route un processus de formation, induit par un processus de connaissance, résultant de la compréhension de son parcours. Il devient acteur de sa formation. En figurant comme témoin extérieur de son histoire, il prend possession de ses diverses significations, accède à son identité propre et peut amorcer en toute lucidité une réorientation de sa vie.

Pour Augustin, l'expérience autobiographique révèle la capacité constitutive de chacun à se former. L'humanisme augustinien suppose un homme capable d'agir sur lui-même et de mettre en œuvre son pouvoir d'auto-éducation. Par le biais de l'autobiographie, Augustin revient sur sa propre histoire, sur la façon dont il s'est formé et constitué, au travers des événements de la vie. Augustin est le personnage central de l'histoire, mais aussi le sujet et le narrateur, conformément à la définition de l'autobiographie.

Les Confessions retracent la vie d'Augustin, livrent ses pensées, ses opinions, ses sentiments. Augustin occupe le centre de la scène et prend toute la place. Il revient sur ses actes, ses décisions, et explique les choix de sa vie. Il nous donne à lire sa vision du monde. Augustin rapporte ce qu'il a vu, éprouvé et ressenti. Les renseignements, relatifs à la société et aux mœurs de l'époque, sont le fruit de la réflexion d'Augustin et de son jugement. L'aperçu de la réalité environnante, des conditions d'existence, se fait à travers la vision et la conception d'Augustin. Augustin est point de référence, c'est lui qui dégage le sens de son histoire et de sa destinée. Augustin narrateur esquisse les métamorphoses d'Augustin personnage et sujet de l'histoire, et marque les étapes successives de son évolution.

Augustin ramène la réalité des choses à sa propre perception et à sa conscience. Tout s'engloutit dans le «Je» d'Augustin. Augustin se trouve enclin à idéaliser son histoire, son parcours et à vouloir les valoriser. Son histoire est l'histoire type d'une conversion réussie. Elle revêt un caractère exemplaire. Elle restitue la place de l'homme et sa vocation naturelle. Augustin impose sa conception de l'existence et de la destination de l'homme. En cherchant à se connaître, à élucider le mystère de l'existence, Augustin s'est trouvé renvoyé à Dieu. Il a accédé à la plénitude de son être et à son essence même, à travers l'appréhension du Divin. En trouvant Dieu, Augustin s'est trouvé lui-même. Son «Je» le plus intime se fond en Dieu. Il conçoit, tout naturellement, un itinéraire semblable au sien, pour tous ses frères. Il subordonne, toute action et toute conduite, à un idéal chrétien. Chaque homme représente pour Augustin, une créature de Dieu, une image à former, un être en devenir, qui n'est pas achevé et doit se construire, avec l'aide de Dieu. En chaque être humain, réside un germe chrétien. Augustin est attentif à ce que chacun se construise par lui-même. Il pense que tout homme doit développer et épanouir ses aptitudes et capacités naturelles, ses facultés morales et spirituelles. Il considère que l'homme n'est ni totalement déterminé, ni totalement indéterminé et qu'il peut accepter ou refuser le don de Dieu.

Cependant, la vision d'Augustin est une vision naturellement chrétienne. Il ne peut percevoir dans l'autre, qu'un frère en Dieu, un chrétien en puissance. Autrui représente un singulier, mais un singulier collectif, qui se fond dans la grande communauté chrétienne. Il est assimilé à un autre pécheur, qui peut lui aussi retrouver le chemin de Dieu, se faire pardonner ses péchés et vivre en harmonie avec les préceptes divins. Augustin reste marqué par l'idée de la vocation religieuse de l'homme, quel qu'il soit. Il ne peut se départir de ce système de pensée. Son interprétation résulte de son vécu et de l'expérience de sa conversion. Malgré les différences accidentelles, individuelles, culturelles, les hommes sont condisciples d'une même vérité et d'un même maître. L'entendement permet la reconnaissance universelle. Augustin fait ressortir le critère d'évidence de vérité qui rassemble les hommes. L'homme ne fait pas la vérité par lui-même mais la trouve. Il la trouve dans des conditions telles qu'elle s'impose de la même manière et dans le même sens, par delà les races et les nations.

Toute recherche ramène ainsi à Dieu, origine de l'accord entre les esprits. L'idée de Dieu est une connaissance universelle, naturellement inséparable de l'esprit humain. L'histoire de la connaissance humaine se confond avec la découverte de Dieu. La vérité du Christ est à tous. C'est lui qui rend possible l'entendement et la communication entre les hommes, par la participation à une communauté identique, et l'adhésion à une même vérité. L'ordre dans le monde et dans l'homme procède d'une seule intelligibilité dont le principe et la fin se trouvent en Dieu. La vérité d'un individu est consubstantielle à l'unique et l'absolue vérité pour Augustin. Toute analyse personnelle dévoile cette loi fondamentale. La doctrine de la communication est une théorie de la communion pour Augustin, communion en Dieu, qui unit tous les hommes.

Augustin inscrit l'unité et l'universalité de l'exigence religieuse pour tous. La religion est universelle et concerne tous les hommes. La volonté d'accomplissement de sa vie, dans la ligne de la vérité personnelle, doit revenir à consacrer le principe du Verbe divin pour tout homme, la conviction intime et vivante de Dieu, de sa sainte grandeur et de son action providentielle.

La quête de soi, entraîne chaque homme à reconnaître l'évidence de Dieu. Il n'est permis à nul homme de l'ignorer. Il suffit de jeter les yeux sur l'univers pour s'en convaincre. L'affirmation de soi se trouve liée à un engagement religieux. La réalisation de l'équilibre personnel, de l'unité de soi, passe par la reconnaissance de l'Être infini. La perspective d'élaboration personnelle, de création de soi par soi dans le sens d'une fidélité à ses propres valeurs, conduit à retrouver Dieu. Le regroupement de l'expérience révèle Dieu. La recherche d'une règle, d'une hiérarchie de soi à soi, incite à s'ordonner au créateur. Elle consacre la découverte de la relation à Dieu, comme élément structurant de la vie.

La vision d'Augustin est une vision universelle. Celle-ci s'appuie sur un dogmatisme religieux. Tout homme est créature de Dieu, et en tant que tel, doit retrouver le principe de Dieu au cœur de sa vie. Le retour - recours à Dieu s'impose irrésistiblement pour tout homme, dans la logique augustinienne. Augustin reste convaincu que tous les hommes sont portés à se retrouver en Dieu. L'autre représente un autre «Je» en Dieu pour Augustin. Cette position en matière de formation a ses conséquences. Elle signifie qu'Augustin laisse son semblable dans un face-à-face avec Dieu. N'y a-t-il pas là une forme de renoncement en soi à la formation ? La nature de la réalité spirituelle appelle l'engagement personnel, l'expérience personnelle, la confrontation avec Dieu. Le développement de la grâce est la conséquence de la foi.

La formation spirituelle est recherche et rencontre avec Dieu. La réalisation intervient à titre personnel et correspond à une action qui s'effectue du dedans, de l'intérieur. Il n'y a que chaque personne qui puisse accomplir cette mise en forme. Cependant, il faut pour cela se trouver déjà porté vers Dieu, avoir connaissance du message évangélique, ressentir la nécessité de Dieu, avoir soif de lui. Cette recherche suppose un sentiment religieux, un éveil religieux... Les grands maîtres de la pensée chrétienne, Saint Augustin en particulier, peuvent agir au départ, indiquer une direction de croissance, guider, conduire dans les voies de la vie spirituelle, montrer la route à suivre, stimuler et relancer. Ils peuvent provoquer désir et ambition de se former, de se développer, de trouver en soi-même sa route et de progresser, même si la formation reste essentiellement une auto-formation. La tâche de ces grands maîtres spirituels ne consiste-t-elle pas fondamentalement à amener chacun à coopérer volontairement à la grâce de Dieu, au-delà des particularités ?

Le maître mot de l'éducation et de la formation pour tous, dans la pensée augustinienne consiste donc à correspondre fidèlement à l'action de Dieu. L'examen intérieur, comme la pratique autobiographique, doivent donc déboucher sur un apprentissage de sa propre spiritualité, un éveil de son sens religieux pour tout homme, dans la perspective augustinienne. Ils doivent rappeler dans les âmes le souvenir du Divin. L'existence personnelle est sous-tendue, par une vérité fondamentale, celle de Dieu, qui réunit tous les hommes. Cette vérité est incontournable et s'impose à tous, sans distinction. La réalité personnelle se fonde sur une réalité universelle. Elle exige l'application de soi à soi, à la réalisation d'un destin, inscrit dans la nature de l'homme. Elle invite chaque homme à se fondre dans le rang de la totalité universelle. La recherche la plus authentique de l'être à la fois, passé, présent et avenir, s'inscrit comme un devoir être spirituel, dont chacun porte en soi les prémisses. Elle veut rétablir chaque homme dans ce qu'elle pense être sa vocation. Elle se définit comme recherche d'une continuité et d'une unité religieuse, à travers le temps, pour tous les hommes.