II - UN EXEMPLE D'AUTOBIOGRAPHIE MODERNE : LES CONFESSIONS DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau paraissent de façon posthume en 1782, soit quatre ans après la mort de l'auteur. Elles suscitent des remous et de vastes réprobations. Rousseau ose dévoiler ses secrets les plus intimes, révéler sa vie privée sans la moindre retenue, ce qui choque l'opinion. Avant Jean-Jacques Rousseau, personne ne s'était risqué aussi loin dans une tentative d'écriture de soi.

Le renouvellement intellectuel de la Renaissance avait permis à l'homme de se penser dans son rapport à lui-même, sans médiation transcendante. Mais le moi qui se montrait alors, exprimait plutôt un rapport de savoir sans être lié directement à une volonté de récit de vie. Jérôme Cardan dans sa De vita propria faisait droit à la présence de son corps et à une auscultation minutieuse pour parler de lui. Montaigne dans ses Essais se posait comme centre avoué de son discours, pratiquait l'inventaire des aspects divers de son savoir sans pour autant se laisser aller à des confidences.

A la fin du XVIè et au XVIIè siècle, une autre tradition d'écriture de soi se forge dans les rangs de la noblesse, celle des mémoires militaires et politiques. Les auteurs en tant que chefs militaires et politiques, exaltent leurs exploits, font valoir leur action au service du roi et illustrent la façon dont ils se sont montrés à la hauteur de leur nom. La fin ne consiste pas à se connaître mais à se montrer. Au même moment, les mémoires historiques représentent une autre veine mémorialiste. L'auteur ne s'attarde plus sur ce qu'il a fait, mais sur ce qu'il a vu. La vie de cour, les événements historiques intéressent un public désireux de connaître l'existence des grands. Le moi est assimilé ici au rôle de témoin et de spectateur, et ne se constitue pas en objet d'écriture.

Rousseau ouvre donc une voie à part. Son témoignage est sans précédent. Il introduit une nouvelle façon de parler de soi. Ses Confessions constituent des «mémoires d'un genre nouveau». Pour la première fois, un homme ordinaire, sans qualité, ose prendre la parole et raconter les détails les plus intimes de son existence. Il trouve même un langage spécifique pour exprimer son moi tout entier. Rousseau n'oublie aucun moment de son existence. Il relate son enfance, sa jeunesse, leurs impressions ineffaçables, ses diverses expériences, ses acquis intellectuels, ses rencontres. En un mot, il montre la façon dont le moi se constitue et se donne forme.