CHAPITRE II : LA DEMARCHE AUTOBIOGRAPHIQUE DANS LE CHAMP DES SCIENCES HUMAINES.

L e fondement scientifique de la démarche autobiographique s'inscrit dans la mutation qui traverse les sciences humaines au XIX è siècle. Celles-ci se démarquent fondamentalement des sciences de la nature et se constituent selon une théorie moderne de compréhension de l'homme par l'homme. La nouvelle herméneutique qui voit le jour, devient la réflexion philosophique interprétative des symboles, mythes et signes, s'oriente vers une recherche de compréhension du sens et réhabilite la tradition et le passé. Les sciences humaines s'affirment comme une anthropologie historique culturelle et établissent le postulat, que toute réflexion requiert une science herméneutique, et fait appel à l'interprétation. Celle-ci porte sur le sens des signes écrits, la compréhension des projets et des intentions et s'intègre au sein d'un dessein général.

La nouvelle entreprise herméneutique s'élabore dans le sillage du courant du premier romantisme allemand, s'affirme en réaction contre le positivisme et le rationalisme des Lumières, et touche en particulier les sciences historiques. Elle concorde avec l'émergence d'un nouveau courant historique (identifié sous le nom d'histoire des mentalités), qui s'attache à reconstituer le cheminements des formes humaines, dans la succession des époques. La conscience romantique de l'historicité personnelle assouplit et démultiplie la vision de la réalité humaine. Les vies ne sont pas constituées une fois pour toutes, mais données à elles-mêmes et aux autres, sous la forme d'un développement, en attente d'achèvements imprévisibles.

Toute vie personnelle prend place dans l'histoire universelle comme un contenu dans son contenant. L'histoire du monde expose un mode de représentation de la conscience de soi. La même recherche d'intelligibilité se poursuit tant dans l'espace immense de l'histoire nationale ou universelle que dans le domaine de la vie privée. La problématique de la biographie et de l'autobiographie trouvent ainsi leur place au cœur de l'épistémologie des sciences humaines. Chaque individu dans l'espace temps où il vit au monde recommence le sens de l'histoire.

A la suite des grands historiens romantiques allemands et de Schleiermacher (rénovateur de la pensée religieuse et fondateur de l'herméneutique), Wilhem Dilthey, montre que l'histoire peut s'écrire à la première personne. Le foyer de base de toute vérité historique se trouve dans l'expérience vécue des hommes singuliers, confrontés avec les circonstances. La biographie et l'autobiographie s'imposent en tant qu'instruments privilégiés de recherche historique. Elles exposent une compréhension de la vie par la vie, un transfert d'existence. Paul Ricœur poursuit, au XXè siècle, dans cette même voie en restituant au récit sa dimension existentielle. Il examine la façon dont le sens se constitue à travers le récit, dont les œuvres nous font signe, en jouant le rôle de médiateur entre soi et le monde. Le passage d'une expérience temporelle humaine éprouvée, à une conscience et une existence historique, s'effectue par l'intermédiaire du récit, corrélatif d'une certaine identité.