I – SAINT AUGUSTIN, JEAN-JACQUES ROUSSEAU, GEORGE SAND : TROIS DIMENSIONS DE LA FORMATION.

Saint Augustin

P our Saint Augustin, l'homme ne s'accomplit que dans une transcendance de lui-même. La démarche autobiographique représente une invitation à devenir autre, à dépasser ses propres limites. Elle se trouve dotée d'un aspect transcendant et édificateur. Elle appelle à une rectification, à une réforme, à une complétude. Elle est désir d'insuffler une nouvelle direction à l'existence, volonté de remise en jeu de la vie personnelle, de renouvellement de soi. Elle invite à une conquête de soi, dans le sens d'un élargissement et d'un agrandissement, et incite à se défaire des liens qui entravent toute progression. La pratique autobiographique débouche sur un apprentissage de sa propre spiritualité, un éveil de son sens religieux. Elle apparaît comme nouveau moyen pour penser sa vie et la construire dans une approche spirituelle. Elle se révèle comme voie d'apprentissage vers la conversion.

Augustin appelle à se dépouiller de tout ce qu'il y a de contingent et de superficiel pour s'ouvrir à la plénitude d'une transcendance. Il propose d'essayer d'atteindre l'absolu par l'acceptation de son propre anéantissement et par le renoncement le plus radical au désir de survie personnelle. Il suggère de se dépasser, d'observer une distanciation vis-à-vis de soi-même, d'échapper à son moi le plus tyrannique. L'homme a la possibilité de vivre l'expérience intérieure, de se laisser pénétrer par cette réalité; celle-ci le libère de la crainte et lui fait accepter ce qui est insupportable à la raison.

La transcendance est une ouverture radicale qui fait place à quelque chose de plus grand que soi. Elle est comme une sorte d'appel de la conscience vis-à-vis de l'être qui le pousse à s'extraire de lui-même, à sortir de ses retranchements, à aller au-delà, plus loin, plus haut en quelque sorte. Il s'agit bien d'une injonction dans le sens d'un je peux faire, je dois faire, je dois prendre cette responsabilité, je dois aller jusqu'au bout de mes convictions, de mon choix, de mes engagements. Cette prise de position correspond à une manière d'être au monde, de concevoir la vie, de se situer du côté de l'absolu. Elle désigne en chaque personne la place occupée par le sujet transcendantal.

L'être humain ne devient vraiment lui-même que dans la démarche qu'il effectue, pour dépasser sa nature, dans le combat qu'il mène pour se rapprocher de son être essentiel. Il s'engage au-delà des données immédiates, du relatif et de l'inessentiel, dans une mise en route vers ce qu'il veut devenir. Il ne peut s'inscrire et se penser que dans l'horizon d'un sens qui l'accomplisse pleinement. Il met en œuvre sa liberté et sa responsabilité pour rompre avec les déterminations qui ne correspondent plus à son projet d'existence et pour s'acheminer vers ce quoi il veut tendre.

Manifester l'être qui est au-delà du temps et de l'espace, tel est la destinée de l'homme. Devenir un avec la source de notre être, tel est le chemin de la maturité intérieure. La réalité humaine ne peut se satisfaire de sa contingence, de sa facticité, de son être sans plus. L'homme cherche à éveiller en lui des forces témoignant d'une réalité plus profonde. L'Etre essentiel est la vraie racine du sujet humain et le grand partenaire de la vie. Il conduit chacun vers l'unité, ouvre à la transformation perpétuelle, fait dépasser les frontières du moi. Il faut former le sens, l'altitude qui ouvre l'homme tout entier à l'Etre essentiel. Il faut vaincre l'aveuglement de l'autonomie du moi et du monde objectif et découvrir le vrai soi profond qui vit et œuvre en puisant à la source de son Etre essentiel.

Augustin délivre un enseignement à l'usage de tous, veut convaincre chaque être humain de laisser résonner en lui l'Etre créateur et libérateur, de se rapprocher de la transparence intérieure qui délivre des liens du monde. Son message se révèle d'actualité et garde toujours toute sa valeur malgré les siècles passés. La connaissance de sa vocation et la promesse que contient ce devenir sont une délivrance croissante devant les exigences du monde, celles auxquelles le fait d'être homme nous oblige à payer tribut.

C'est dans le dépassement de lui-même, dans ce combat qu'il mène, que l'être humain manifeste sa liberté. Chacun a une part active et une responsabilité vis-à-vis de sa vie. Chaque personne peut participer à sa destinée, en infléchir le cours. C'est dans cette marge que réside son pouvoir de liberté. Pour Augustin, la liberté s'oppose à la négativité de soi, à l'insuffisance, se pose dans un acte où l'homme peut faire jaillir ce qu'il a de plus profond en lui-même. L'essence de la vie intérieure, de la spiritualité résident au plus profond des êtres.

L'humanisme augustinien suppose un homme libre, capable d'agir sur lui-même, parce qu'il reconnaît les marques de sa propre insuffisance et cherche à corriger les défauts et excès. La liberté individuelle est exercice librement consenti de soi, effort pour être et diriger son existence.

Augustin exhorte l'homme à croître, à se grandir, à se diriger vers la lumière divine hors de laquelle il n'est que fuite sans fin. Augustin fait apparaître ce à quoi l'homme peut donner naissance en lui, ce à quoi il peut prétendre. Il met l'accent sur ce que l'homme n'est pas et sur ce dont il manque. Il ouvre les yeux des hommes vis-à-vis d'eux-mêmes et de leur propre parcours. Il met l'accent sur la nécessité d'une règle, d'une hiérarchie de soi à soi, d'un élément structurant l'existence : la relation à Dieu.

Augustin pose le problème du choix de l'existence et des données de la condition humaine. Il montre que la vie et le destin prennent forme à travers le choix d'une certaine individualité et de configurations maîtresses. Il soulève la question de la position existentielle de l'être et fait ressortir la liberté de choix de l'homme. L'homme reste maître de son destin et des axes sur lesquels il entend construire sa vie. Il décide par lui-même de l'orientation qu'il entend donner à son existence, en toute liberté. C'est à lui de réaliser son unité, de trouver le chemin qui conduit vers le sens, de conquérir la vraie liberté, celle qui me ne rend pas esclave, mais qui élève au rang au-dessus et rapproche de la Révélation.

L'autobiographie marque l'attachement d'Augustin à une quête spirituelle, à une recherche incitant l'homme à sortir de lui-même. Elle s'impose comme symbole d'un sujet soucieux de se rapprocher de l'authenticité, travaillant à la conscience de soi, sous le regard de Dieu. Elle met fin à l'errance, l'indécision. Elle se révèle comme instrument d'analyse de son passé, d'évaluation de ses actes et de ses comportements. L'acte autobiographique marque la volonté d'accéder à un nouvel état et une nouvelle existence. Il illustre la prise de conscience de sa vraie vocation, la reconnaissance de son essence spirituelle. Il est cheminement et ouverture vers la foi.

L'écriture consacre une intervention du sujet sur lui-même, évoque une mutation, inscrit une transformation et un devenir. L'analyse livre le secret de l'existence. Formé, reformé, transformé, à travers sa rencontre avec Dieu, Augustin accède à l'unité de son être. Il fait découvrir à l'homme son pouvoir de reprise et de maîtrise de soi avec l'aide du Divin et indique une voie d'accomplissement. Il montre comment devenir sujet et opérateur de son histoire sous le regard de Dieu.

Pour Augustin, la valeur de l'existence réside dans une rencontre avec le Seigneur, une conversion venue bouleverser une vie. Augustin ne conçoit pas d'autre idéal de vie possible en dehors de cette dimension spirituelle. Cependant, la foi, la conversion proviennent d'une expérience personnelle, d'une rencontre individuelle avec le Seigneur. Elles ne peuvent résulter d'une unique opération de transmission. C'est à chaque sujet d'effectuer personnellement cette découverte.

Par le biais des Confessions, Saint-Augustin invite son lecteur à progresser dans une voie authentique et appelle à la construction d'une nouvelle identité morale. Il propose une sorte de décentrement de soi, une rupture avec le narcissisme et l'hédonisme, dans lesquels l'homme n'a que trop tendance à se complaire, pour s'acheminer vers les dimensions supérieures de l'être. Il veut entraîner chacun sur la voie d'une véritable ascension morale, en quête d'un cheminement qui doit le rapprocher chaque jour davantage de ce qu'il doit parvenir à être. La rupture avec tout ce qui tire l'homme vers le bas, les plaisirs égoïstes, l'auto-contemplation, l'auto-centration s'avère comme étape nécessaire, au sein de ce processus, pour se forger une nouvelle personnalité. Elle conduit à se retrouver de façon authentique, à accéder à l'absolu en soi au «maître intérieur» (le Christ) et à s'ouvrir à la présence divine. Il faut accepter de n'être rien pour toucher aux sources essentielles de son être. L'homme ne se trouve qu'à partir du moment où il prend le risque de se perdre en s'ouvrant à Dieu.

Les Confessions indiquent une voie à suivre et proposent un modèle de vie. Elles marquent l'avènement d'un nouvel homme qui a atteint sa réalisation, son accomplissement et trouvé le sens de sa destinée personnelle. L'œuvre souligne la nécessité d'accéder à la conscience de soi, de cette vie même, de cerner le domaine intérieur et d'approcher les mouvements de l'âme. Elle illustre la manière de parvenir à une compréhension concrète de la vie, élevée à une puissance supérieure

Dans le contexte sécularisé d'aujourd'hui, l'autobiographie apparaît comme mouvement d'un «je» insatisfait de ce qui est et qui tend à accomplir un idéal du «je». Le sujet se raconte aussi pour dire ce qu'il devrait être. L'autobiographie se trouve liée à cette perspective d'accomplissement, de réalisation que recherche toute personne. Le sujet s'inscrit dans d'autres dimensions, se rapproche de ce vers quoi il veut tendre et de ce à quoi il aspire. Il repousse les limites, devient autre, acquiert un autre statut et gagne un plus d'être. L'image projetée rejoint ce qu'il recherche, se trouve conforme à ses désirs. L'auteur se retrouve dans l'histoire tel qu'il aurait aimé être et tel qu'il voudrait se voir. L'écart se réduit entre ce qui est et ce qui devrait être; la compensation joue.

Dans la perspective de la formation, il importe de tenter d'appréhender ce «Je» qui se cherche et s'esquisse, de parvenir à le faire émerger. Quelle est au juste la personne qui se dissimule derrière le discours ? A quoi ressemble t-elle ? Comment la situer et la percevoir ? Comment comprendre ce qu'elle essaie d'exprimer ?

Il convient d'être attentif afin de ne pas en rester seulement à ce qui se dit, de ne pas se laisser prendre par le seul déroulement de l'histoire, les phénomènes évoqués et décrits. Il faut aller au-delà des apparences, des propos tenus, chercher à décrypter ce qui veut être dit. Derrière le sens premier, les paroles délivrées par l'auteur se profile une autre signification. Celle-ci apparaît en creux, en filigrane. C'est dans cet espace que se dessine et que peut s'appréhender le sujet, avec ses exigences, ses valeurs, son mode de pensée. La mise en écriture de sa vie restitue une liberté à l'autobiographe, lui permet de faire entendre son point de vue et d'élaborer sa propre vision du monde, de resituer les événements et son propre rôle. La configuration et le sens donnés sont l'œuvre du sujet, révèlent une personnalité, un caractère et renvoient parallèlement à des convictions, à un message que l'auteur veut faire passer.