Jean-Jacques Rousseau

A vec Jean-Jacques Rousseau, l'espace autobiographique met en scène un nouveau visage d'homme qui expose les réalités et les configurations de son existence. L'écrivain découvre la démarche autobiographique comme possibilité de se connaître, de se justifier et de s'expliquer. Il insiste sur la nécessité d'établir pour les autres ce que l'on sait de soi-même et de leur prouver. L'homme est justifié dans son existence pour autant qu'il se dévoile comme authentique.

Rousseau s'estime le mieux placé pour répondre de son existence et en restituer les moments les plus forts. Il veut rétablir la vérité, sa vérité face à ses adversaires et détracteurs et pouvoir répondre à leurs critiques. Il s'engage dans une tentative de rétablissement de son être. Il justifie ses décisions et ses échecs, se défend des reproches qu'on lui adresse car il est, somme toute, le mieux placé pour pouvoir exercer un regard sur sa vie et éclairer les causes de ses différents actes. Seule la personne concernée se trouve à même d'entreprendre le récit de son existence. Elle seule possède la vérité intime pour l'écrivain et non les autres. Rousseau restitue le modèle d'une vie qui se veut libre, d'un homme qui se veut libre.

Rousseau plaide pour la sincérité de son cœur, l'innocence de ses mœurs. Le mal n'est pas en lui, mais dans la société qui corrompt les individus. L'aveu joue pour l'écrivain le rôle de preuve de vertu et de force de loi. L'essentiel n'est pas le fait mais le sentiment et la volonté d'authenticité. Rousseau s'essaie à la transparence. En exposant les ressorts les plus cachés de sa personnalité, les traits les plus secrets de son caractère, il veut faire preuve de la sincérité la plus grande. Rousseau ne peut se tromper, il s'autojustifie. Il croit que l'évidence intérieure peut s'imposer aux yeux d'autrui et qu'elle peut suffire à rectifier l'erreur de jugement qu'il décèle chez eux. Ses fautes sont excusables et tiennent à la bizarrerie de son caractère dont il n'est pas responsable. L'écrivain cherche à faire découvrir au lecteur une logique dont son propre cas relève.

Rousseau veut révéler ce qui correspond à sa nature profonde, se découvrir tel qu'il pense être. Il cherche à se définir, de la façon la plus juste possible, en vertu du vœu de sincérité qu'il professe et met en avant. Il se fait un devoir de tout rapporter, de ne rien cacher, de livrer les détails les plus intimes, pour apparaître comme le plus vrai possible. Les épisodes relatés ont pour but d'éclairer sa personnalité afin que tous puissent parvenir à le découvrir et à le comprendre. L'écrivain ne cesse de vouloir prouver sa bonne foi. En cherchant à s'expliquer, Rousseau traduit une évidence intérieure qu'il ne peut se résigner à tenir pour incommunicable. Il faut que les autres se fassent une image véridique de son cœur et de son caractère. Le vrai est d'abord sa vérité, le pacte avec le vrai est un pacte avec soi-même.

Rousseau veut montrer qu'il est doté du vrai courage : celui qui permet de tout dire au nom de sa propre vérité. Il ne cesse d'affirmer sa bonne foi et de vouloir la prouver en se montrant tel qu'il est. Cette recherche d'authenticité suffit à justifier ses actes, ses comportements, la manière dont il a agi et s'est conduit à travers son existence, et doit convaincre le lecteur.

L'autobiographie est le récit de ce moi qui se dévoile dans son authenticité tout en se reconstruisant. Rousseau récupère un droit d'initiative sur son existence. Il se réapproprie entièrement sa vie, en devient l'auteur. Il s'invente sa propre destinée singulière donc inattendue. Etre soi ne se trouve assorti que de l'obligation de s'accepter comme source absolue. Rousseau reconstruit son histoire. Il retranspose les choses et les événements, leur confère un éclairage quelque peu différent. Il cherche à se montrer à travers toutes ses facettes dans l'entièreté de sa nature, et profite du récit pour se retrouver, se reconstituer et se recomposer un personnage. Le «je» du récit est toujours un «je» retransposé, recréé en quelque sorte à la faveur de la réinterprétation qui a lieu à un moment donné de l'histoire. L'auteur replace les événements, recadre les faits. Il met en avant les expériences qui peuvent rentrer dans la construction d'un modèle structuré et qui renforcent la cohérence de son personnage et de ses attitudes. Il restitue une certaine idée de lui-même, cherche à renvoyer une image positive d'où une propension à minimiser les erreurs, à surévaluer les actions et réalisations. Il cherche à se poser et à s'affirmer d'une certaine façon au sein de son autobiographie.

L'écrivain n'en reste pas seulement là et va au-delà. Il réfléchit à l'éducation et considère que celle-ci devrait prendre le chemin de la construction authentique de soi. Rousseau développe le principe d'une éducation naturelle et libre qui tienne compte de l'essence de l'homme, de ce dont il est fait et qui ne résulte pas d'une inculcation forcée, d'un dressage. Il ne s'agit pas de faire de l'individu un produit social conforme aux désirs d'une société mais de lui donner avant tout, et en premier lieu, les moyens de construire en tant que personne véritable. L'écrivain s'oppose à toute déformation, à tout apprentissage qui s'effectuerait à contre sens de ce qui est souhaitable pour l'être humain et qui contrarierait son développement

Rousseau inscrit pour chacun la nécessité de se constituer en individu autonome et libre, conscient de ses actes et de ses pensées. Il insiste sur l'obligation individuelle de suivre sa propre voie et ses choix. Rousseau tire des leçons de l'examen de sa vie. Il souligne l'importance de l'expérience pour se forger sa propre vision du monde et son jugement. Il illustre la façon dont il est possible de se retrouver, de s'appartenir et de trouver son identité à travers le récit de son histoire. L'écrivain esquisse la manière dont l'homme peut être l'agent de sa réalisation. Il offre une nouvelle perspective en matière d'éducation et de formation. Il enseigne que la véritable éducation est une formation de soi à travers les expériences de la vie, qu'elle implique de se donner forme et qu'elle consiste en un apprentissage perpétuel. Rousseau désigne une voie pour parvenir à une expérience totale de soi-même et à une cohérence de sa destinée.

Rousseau se prononce pour une véritable éducation, entendue comme formation complète de l'individu, qui englobe le civisme, le cœur, l'esprit, la religion afin de faire un homme complet. Il concilie un développement harmonieux et parallèle du corps et de l'esprit, et un apprentissage en rapport avec la maturité physiologique de l'enfant et adapté à son âge, et en développe les principes dans l'Emile. Il se préoccupe de préserver la liberté de l'élève et de le mettre en contact avec la nature pour qu'il puisse se livrer à des expérimentations et en tirer à posteriori des leçons qui vont l'enseigner. Il livre une façon de s'exercer sur le monde et de s'y mouvoir. Il veut que chacun puisse avoir les moyens de se donner forme, de se bâtir de façon authentique et soit à même de constituer son propre système de jugement et de pensée.

Dans le contexte socialisé actuel, l'autobiographie apparaît comme affirmation de soi face à une société jugée corrompue et à jamais insatisfaite pour l'homme. Les comportements contradictoires ou encore asociaux de la personne, constituent autant de signes négatifs des valeurs que la société étouffe. Les erreurs reprochées, la critique encourue vis-à-vis de certaines décisions et lignes de conduite, sont autant de marques de résistance vis-à-vis d'un système social et de manifestations de rejets. L'individu veut sauvegarder sa liberté d'être, sa marge de conduite et refuse de se laisser enfermer dans un système. Il s'affirme dans ses positions et entend rester lui-même. Il proteste vis-à-vis des inégalités et des injustices dont il pense avoir été victime et entend-les dénoncer.

Dans la perspective de la formation : l'autobiographie figure à la fois comme récit de soi, comme affirmation de soi et d'une certaine façon réinvention de soi. Elle renforce le sentiment de soi et de sa propre valeur. Elle tend à conforter la personne vis-à-vis d'elle-même, à lui redonner confiance à travers les réalisions menées et les actions entreprises. Elle est gage sur l'avenir et assurance de soi. Le recul et la mise à distance produits par le récit autobiographique, distillent une connotation différente vis-à-vis des choses, des événements comme de son propre rôle et se trouvent propices à la mise en place d'une nouvelle version de son histoire. Ils provoquent une nouvelle approche et une nouvelle distribution qui génèrent une mise en sens novatrice. Le sujet issu de cette mise en œuvre et de cette réélaboration se révèle comme un «autre soi-même».