2 – Limites et risques

Si le développement et le succès de la démarche autobiographique répondent à ce souci de soi et cette attention pour l'individu considéré comme valeur centrale de la société contemporaine, son usage n'en soulève pas moins un certain nombre de problèmes, s'accompagne de risques et se heurte à des limites. La pratique autobiographique renvoie aux difficultés inhérentes à l'écriture de soi.

L'écriture de soi, prise au sens littéral, fait référence à un présupposé fondamental, l'existence du moi. En l'absence de ce présupposé, l'écriture de soi n'a pas de sens. Or est-il réellement possible de se saisir de ce moi, de l'appréhender et d'en rendre compte en quelque sorte au sein d'un acte d'écriture ? Qu'il y a-t-il de plus incertain que cet objet : le moi que nous désirons peindre existe-t-il en fin de compte et comment parvenir à en donner une description totalisante puisqu'il se trouve sans cesse modifié par le regard qu'il porte sur lui-même ? Nous ne percevons que les apparences du moi, c'est-à-dire ses changements incessants. Nous sommes dans l'incapacité de l'appréhender dans sa totalité. Cette substance et cette essence du moi, que nous nous acharnons à vouloir cerner sont-elles de l'ordre du discernable, du palpable, peuvent-elles se concrétiser en une réalité exprimée à travers des mots ?

La poursuite de ce sujet, de cette première personne qui nous constitue, ne relève-t-elle pas d'une tâche vaine, puisqu'elle nous échappe toujours au moment où nous croyons enfin l'avoir trouvé ? Chacun est-il le mieux placé pour entreprendre cette quête ? Pour Nietzsche et les philosophes du soupçon, chacun est le plus éloigné de soi-même. Il n'est rien de plus fuyant que cette présumée réalité que nous voulons traquer. Nous sommes en perpétuel devenir et placés dans un état de quête constante qui nous fait toujours poursuivre autre chose, et ce sans relâche tout autant que nous sommes en vie. Le moi désigné par l'écriture de soi est loin de constituer une réalité dont on puisse supposer qu'elle puisse être dite. Car encore faut-il que la conscience puisse dans une intuition porteuse s'en saisir et le rendre transparent à soi-même. L'écriture de soi apparaît comme un paradoxe. Comment ce qui est donné, dans le silence de la présence de soi à soi, peut-il être dit par l'écriture ? Le projet trouve un obstacle dans le mode même de son existence. Ce qui est personnel, est précisément ce qui est le moins communicable par le langage. De plus, l'exercice de l'écriture suppose un moi qui se veut distinct d'un moi écrivant, et qui ne serait que le témoin honnête du moi décrit ou raconté. Autant de conditions auxquelles l'autobiographe doit savoir répondre.

Parallèlement, le récit autobiographique suppose de se retourner sur son passé, de le relater, d'y faire référence. A quelles conditions, cette évocation véridique d'un passé révolu est-elle possible ? La narration est tributaire des caprices de la mémoire, sujette aux défaillances, à l'oubli volontaire, à la censure qu'exerce le moi sur les souvenirs désagréables, à la déformation du souvenir initial par les remémorations successives ou par le rapport qu'en ont fait les témoins. L'amour propre qui habite chaque sujet l'incite à vouloir se faire aimer, reconnaître et en conséquence à donner une image de soi non exacte et déformée.. Ce que la mémoire restitue est partiel, lacunaire, se présente de façon désordonnée. Comment pouvoir tirer un ordre de cette cohésion, élaborer un récit cohérent ? Le moi a évolué, changé avec le temps. L'écart temporel révèle un écart d'identité entre le moi d'hier et le moi d'aujourd'hui et ce décalage rend le récit autobiographique problématique. La distance s'est installée entre le moi passé et le moi présent. Le «Je narré» et «Je narrateur» ne sont plus les mêmes. Le témoin actuel n'est pas identique au moi passé dont il s'agit de relater la vie. Ce décalage rend le récit autobiographique problématique. Il suscite une dialectique entre les deux instances du sujet, un va et vient à travers lequel est poursuivi une coïncidence difficile à réaliser, la réduction d'une distance qui peut apparaître comme impossible à annuler.

Enfin, la centration sur soi peut engendrer des excès et des débordements. L'autobiographe se retrouve pris au piège de cette auto-analyse, de cet auto-examen. Il cède à la vanité, à la complaisance narcissique de se raconter. Il s'absorbe dans son propre reflet. Il tombe dans l'invisible attraction qu'exerce la contemplation de soi. Il savoure alors le plaisir de se regarder être ou avoir été, mais aussi d'être regardé puisqu'il prend les autres à témoin de ce que son existence a d'unique…. Il glisse dans l'introspection, explore les moindres coins et recoins de son âme, décortique ses sentiments, analyse la moindre de ses sensations. Il se lance dans une recherche sans fin pour sonder ce qu'il y a de plus intérieur et de plus secret en lui au risque de se perdre et de se noyer. Il s'enferme dans une position qui consiste à maintenir les yeux fixés sur soi au lieu de les porter au-delà, au lieu de se poser la question de sa participation au monde, de sa contribution et du rôle qu'il entend jouer. Il tend à romantiser son histoire, à poétiser son vécu, à construire son propre mythe personnel. «La pratique de l'histoire de vie contient potentiellement le risque de renforcer l'illusion individualiste jusqu'à alimenter le mythe de l'individu auto-fondé qui croit s'être construit par lui-même et ne devoir rien à personne.» 959

L'histoire dont on se constitue le héros peut participer à fonder une sorte de culte de soi. L'auteur se forge sa propre légende, veut montrer et convaincre qu'il s'est avant tout construit par lui-même. Il se crée son histoire, sélectionne les événements, arrange la vérité, s'accorde une part d'imaginaire afin que son existence soit plus proche de ce qu'il aurait aimé et souhaité vivre. «Il existe donc un danger; le rédacteur peut au lieu de se raconter et de raconter son groupe, se laisser aller à raconter son mythe ou son rêve, disant alors, au lieu de ce qu'il a fait, ce qu'il aurait voulu faire, reproduisant un «projet de vie» plus qu'un récit «vécu». Le sujet laissé seul avec lui-même sans contrôle est mené par l'infatuation […]» 960 Le narrateur met en scène une certaine figure de soi. Il passe sous silence ses erreurs, atténue sa responsabilité, pour correspondre à l'image qu'il veut donner de lui-même et qu'il se prête. L'amour propre est une puissance trompeuse redoutable. L'image dans le miroir est leurre. La reconstruction autobiographique se prête à des chimères, entretient l'égo de son auteur, apparaît comme le reflet d'une vie imaginée et transformée plutôt que d'une vie vécue. Elle ne représente pas la réalité mais en donne une image fictive et somme toute lointaine.

Enfin, la démarche autobiographique se trouve toujours susceptible de glisser du côté de la thérapie. Bien des individus dans le cas d'une recherche, associant un chercheur et un narrateur, peuvent être tentés d'investir l'espace autobiographique comme un espace thérapeutique, d'y chercher des effets curatifs et une guérison potentielle. L'analyse autobiographique peut entraîner le sujet à prendre conscience de certains troubles, de la façon dont ceux-ci s'articulent et sont reliés. L'exploration menée renvoie parfois à un passé non élucidé, à des rivages incertains, à des aspects obscurs, fait ressortir des choses soigneusement cachés et tend par cet aspect même à se rapprocher de la psychanalyse. Cette proximité, bien que limitée, puisqu'il n'y a pas lieu de se tourner vers l'inconscient peut entretenir chez la personne concernée, des ambiguïtés, de vains espoirs de guérison vis-à-vis de certains problèmes psychiques, voir même une névrose. Le narrateur croit qu'il va trouver là le moyen de régler et d'affronter les conflits dont il souffre. La confusion qui s'opère peut s'avérer dangereuse. Les vertus autobiographiques sont des vertus éducatives et non curatives. Si le travail d'histoire de vie a un effet cathartique, il ne s'apparente cependant en aucun cas, à un accompagnement thérapeutique. Les sujets en proie à de graves problèmes existentiels et à un dysfonctionnement majeur doivent s'orienter vers des thérapies adaptées à leurs cas.

Faut-il résister pour autant au penchant qui consiste à raconter sa vie ? Faut-il fuir ce moi haïssable selon l'adage Pascalien ? La tentative autobiographique relève-t-elle de motivations qui vont de l'individualisme au narcissisme, du subjectivisme à la logorrhée narrative, de l'intimisme à l'autisme sans qu'il soit permis d'entrevoir d'autres ouvertures ?

L'approche ne laisse pas indifférent. Bien des auteurs en ont fait le procès et sont allés jusqu'à dénoncer les dangers de cette recherche. Paul Valéry se livre à un réquisitoire féroce contre l'autobiographie à travers le cas de Stendhal. Il montre que le projet stendhalien d'être soi aboutit nécessairement à créer son propre objet, c'est-à-dire à jouer un rôle et à devenir précisément autre que soi. «Je perçois le projet d'être soi, d'être moi jusqu'au faux. Le moi que l'on favorise se change par là insensiblement sous la plume dans le moi qui est fait pour paraître vrai. Vérité et volonté de vérité forment ensemble un mélange instable où fermente une contradiction et d'où ne manque jamais de sortir une production falsifiée.» 961 La sincérité se détruit elle-même puisqu'elle ne vise qu'à produire des effets de sincérité. La volonté de dévoilement devient simple tentation d'exhibitionnisme. Pour Valéry, Stendhal se trompe du tout au tout : la littérature ne peut s'occuper que d'effets de langage et nullement de la vérité des essences. «Rien de plus intéressant, et rien peut-être de plus comique; rien de plus ingénu que de prendre le parti d'être soi, ou celui d'être vrai […]. […] Quand on ne sait plus que faire pour étonner et survivre, on se prostitue, on livre ses pudenda on les offre aux regards.»962

Dans les années soixante-dix, le reproche adressé par bien des écrivains à l'autobiographie, (Sartre notamment dans l'Idiot de la famille (1971)) concerne précisément l'ambiguïté littéraire puisque la littérature relève de la fiction par définition. Ainsi les écrits de Flaubert abusent quand ils sont autobiographiques mais livrent une vérité irréfutable quand ils sont des fictions. Le genre autobiographique est mal perçu, connoté négativement par rapport au roman et le terme en lui-même suscite des réticences.

Bien des écrivains ont du mal à reconnaître que leur œuvre est autobiographique et s'en défendent. Nathalie Sarraute «ne reconnaît pas avoir cédé à ce penchant avec «Enfances»».963 Michel Leiris pour sa part n'y consent qu'en dernier ressort en 1966 et faute de mieux semble-t-il. «[…] Si mon existence peut se trouver finalement justifiée, ce serait dans un domaine dont, à l'origine, je ne consentais pas à ce qu'il fut le mien […] : après avoir voulu être poète, je serai devenu l'auteur d'honnêtes essais autobiographiques qui feront peut-être figure de défense et illustration de ce genre littéraire.» 964

Du côté des sociologues, la démarche suscite la polémique, se trouve constestée et critiquée. Pierre Bourdieu, dans un article intitulé «L'Illusion biographique» s'en prend à cette méthode et en dénonce les travers (même si par la suite il y recourt dans «la Misère du monde»). Il pose le problème de sa scientificité, de ses postulats et évoque la réticence qu'elle suscite.» L'histoire de vie est une de ces notions du sens commun qui sont entrées en contrebande dans l'univers savant […].» 965 Il souligne la fabrication de sens qui lui est liée. «Cette inclinaison à se faire l'idéologue de sa propre vie, en sélectionnant en fonction d'une intention globale, certains éléments significatifs et en établissant entre eux des connexions propres à leur donner cohérence, comme celles qu'implique leur institution en tant que cause ou, plus souvent, en tant que fins, trouve la complicité naturelle du biographe que tout, à commencer par ses dispositions de professionnel de l'interprétation, porte à accepter cette création artificielle de sens.» 966 Il montre que l'ordonnancement et la représentation de l'existence en un récit organisé s'avèrent factices. «Produire une histoire de vie, traiter la vie comme une histoire, c'est-à-dire comme le récit cohérent d'une séquence signifiante et orientée d'événements, c'est peut-être sacrifier à une illusion rhétorique, à une représentation commune de l'existence, que toute une tradition littéraire n'a cessé et ne cesse de renforcer.»967

La vie n'est pas une série organisée d'événements, mais une discontinuité, et sa figuration en une histoire totalisante, s'apparente à de l'arbitraire. En conséquence, vouloir aborder la vie sous la forme d'un récit autobiographique, constitue une erreur stratégique et relève d'un procédé erroné. «Essayer de comprendre une vie comme une série unique et à la fois suffisante d'événements successifs sans autre lien que l'association à un «sujet» […] est à peu près aussi absurde que d'essayer de rendre raison d'un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c'est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations. Les événements biographiques se définissent comme autant de placements et de déplacements dans l'espace social […].[…].[…] On ne peut comprendre une trajectoire […] qu'à condition d'avoir préalablement construit les états successifs du champ dans lequel elle s'est déroulée […].»968

Les ambiguïtés autobiographiques sont donc difficiles à lever et la mise en œuvre d'une telle méthode s'avère délicate. Outre, les multiples difficultés auxquelles confronte cette approche (vis-à-vis notamment de la retranscription d'une existence, de la mise en mots d'un moi), il convient de prendre garde à la technisation à outrance dont elle se trouve faire parallèlement l'objet. La formation étant désormais une pratique instituée et une des priorités affichées par les services du personnel, il est devenu d'usage d'y envoyer régulièrement et à tour de rôle l'ensemble des salariés d'une entreprise. Ceux-ci se retrouvent successivement inscrits à des stages de diagnostic, de conseil, d'aide au bilan, au projet, au sein desquels la méthode autobiographique figure en bonne place. Pour les institutions de formation et les formateurs, la pratique autobiographique permet d'impliquer spécifiquement l'adulte, de l'interpeller directement. L'accent est mis sur l'expérience, les acquis afin de faciliter l'entrée dans le processus de formation.

Toutefois, dans l'immense majorité des cas, les participants ne connaissent pas les enjeux et la commande de l'organisme. Ils sont envoyés à des sessions, de façon plus ou moins obligatoire, sans que leur accord ait été requis, et ne connaissent pas les termes exacts du contrat passé entre le formateur et l'organisme commanditaire. Ils s'interrogent sur les effets de cette procédure en terme de promotion, démission, réorientation et craignent d'être pris à un piège. Les intéressés s'imaginent que leur participation constitue un moyen pour l'entreprise d'évaluer leurs aptitudes et de choisir ceux dont il convient précisément de se débarrasser… Ils ont l'impression d'être victimes d'un scénario où tout a été combiné à l'avance et ce afin de mieux tester et de juger de leurs compétences. Ils assimilent la session à une formation-sanction et se demandent quels en sont les enjeux exacts ? Quelles sont les obligations du formateur ? A quel type de pression celui-ci se trouve réellement soumis et ce à quoi il doit répondre ? L'ambiguïté et les inquiétudes subsistent pour les stagiaires s'ils ne sont pas renseignés précisément sur les termes du contrat. Le manque de confiance et les craintes empêchent l'accomplissement de tout véritable travail.

De la même manière, le postulat en quelque sorte établi comme quoi l'histoire de vie serait utile et bénéfique à un public désigné à l'avance, nuit profondément à sa réception et à sa mise en œuvre. Les personnes concernées se retrouvent captives. La démarche histoire de vie devient un passage obligé. La clause du volontariat si essentielle, n'est plus respectée alors qu'il faut qu'il y ait précisément une rencontre entre deux projets, celui du demandeur et du formateur. L'on peut même se demander s'il ne s'agit pas alors de rentrer tout simplement dans le quota d'heures exigées pour la prise en compte d'une formation continue…

C'est donc aller à l'encontre de l'esprit qui doit présider à une telle démarche. Enfin, trop souvent, le terme «d'histoire de vie» se trouve repris et utilisé de façon abusive en formation afin d'attirer une population à la recherche de nouveau, d'inédit, ayant épuisé toutes les solutions classiques et cherchant un nouveau souffle. La formation autobiographique est perçue comme une panacée, une sorte de recette miracle pouvant donner lieu à un nouveau départ vu comme susceptible de remédier à une frustration professionnelle, une insatisfaction, un mal être. Une telle attente s'avère disproportionnée et va au-delà des ouvertures, et des possibilités offertes par l'analyse autobiographique. Celle-ci n'a pas le pouvoir de changer radicalement l'existence mais seulement d'en orienter différemment le cours, à condition toutefois de respecter précisément ses modalités et sa mise en application.

Or, ce qui est proposé la plupart du temps, d'un ersatz et s'apparente à un artifice. La démarche est assimilée à une simple technique dont on livre une application. Ce qui est visé est un effet direct, purement professionnel en terme de gestion des modes de communication, d'appréhension des problèmes, d'amélioration des capacités d'adaptation, de création, de développement du potentiel, sans que l'on ait réellement pris la peine, (en terme de réflexion et de temps), de se placer sur le plan du développement personnel, de situer les savoirs de l'adulte d'une manière individuelle. Il n'y a pas de recherche de sens entreprise, ni de réelle réflexion sur la question de la formation et sur ce qu'elle recouvre pour le sujet. Comment dans ces conditions, parvenir à perdre de mauvaises habitudes, de mauvais réflexes, percevoir les mises en condition limitant l'expression, et faisant obstacle aux possibilités de création et d'épanouissement de son potentiel. Il n'y a pas de reconfiguration de l'histoire, de médiation sur soi, ses positionnements, ses façons de faire en matière d'apprentissage, son parcours, alors que tout se tient… Le dispositif est réduit à sa plus simple expression. Il se résume à un cadre élémentaire, sans dépassement du donné possible, sans ouverture réelle vers un plus d'être. L'approche se limite à un apprentissage sommaire réalisé dans la seule préoccupation d'un conditionnement et de résultats. Elle revient à une para-formation.

L'intervention en formation doit être autre chose que de mettre une méthode à la disposition des participants. Elle doit être conçue et perçue comme un moment, un lieu privilégié d'expression et de découverte pour tous. En étant envisagée d'un strict point de vue fonctionnaliste, la démarche autobiographique se trouve détournée de ses vrais finalités et de ce qui constitue son fondement et son intérêt même. Il faut donc se montrer extrêmement vigilant en ce qui concerne ses applications et éviter de se prêter à de telles déformations.

Enfin, trop souvent l'autobiographie véhicule sa propre méthode alors que sa justification en tant qu'objet de recherche s'impose. Il convient de préciser l'usage que l'on veut en faire et le parti que l'on se propose d'en tirer.

Quel peut-être l'avantage d'une telle démarche ? Comment celle-ci s'avère-t-elle incontournable par rapport à ce que l'on veut éclairer, comprendre ? De quelle façon peut-elle mettre en avant l'articulation vie et formation et souligner l'action de chacun en tant qu'acteur de sa vie et agent de sa destinée ? Le recours à la méthode-biographique doit être l'effet d'une réflexion entreprise et mûrie au préalable. Il ne suffit pas d'interroger les individus, de recueillir des récits et de les présenter pour prétendre réaliser une recherche autobiographique-formative. Le véritable travail autobiographique s'effectue dans le passage effectué du récit de vie à l'histoire de vie, suite à l'exploitation et à l'analyse des données.

Le chercheur doit être conscient des erreurs à ne pas commettre, ne doit pas vouloir utiliser les paroles recueillies pour appuyer et confirmer ses thèses à tout prix, mais vouloir aussi comprendre ce que la personne a vécu, ce qu'elle veut dire et quel peut être l'intérêt de ce témoignage. Face au texte écrit, aux propos émis, il doit se montrer extrêmement vigilant et ne pas les détourner de leur signification. Lecture, relecture, confrontation avec le narrateur lors d'une recherche réunissant deux personnes, travail avec l'auteur lors d'un texte produit dans le cadre d'une session de formation, constituent autant d'étapes nécessaires pour un bon usage de la méthode autobiographique et une approche scientifique nécessaire à sa juste recevabilité et reconnaissance, en tant que véritable outil de recherche.

De plus, la mise en œuvre autobiographique se heurte à un sujet humain avec sa subjectivité, ses résistances, ses problèmes existentiels. L'analyse confronte à la matière humaine à tout ce dont se compose une vie et dont se constitue une personne. Elle pose le problème de la prise réelle sur le sujet. Peut-on réellement le faire évoluer et le mettre en position de travailler à sa propre forme ? Peut-on lui donner les moyens d'œuvrer à sa formation ? La formativité peut-elle s'exercer de façon objective ? L'histoire de vie ne se révèle en rien comparable à une autre méthode de formation. Elle ne dispense pas un enseignement, ne se suffit pas d'en contrôler l'application et de recueillir les effet et bénéfices. La procédure reste soumise à l'expression du sujet. Le sujet est au cœur du débat et dirige le processus.

Notes
959.

A. LAINE, «L'Histoire de vie comme processus de méta-formation», Education permanente, n° 142, 2000, pp. 29-43

960.

J. POIRIER, S. CLAPIER-VALLADON, P. RAYBAUT, Les Récits de vie : théorie et pratique, Presses Universitaires de France, 1983, pp. 38-39

961.

P. VALERY, «Stendhal», in : Variété II, Gallimard, 1930, pp. 100-101

962.

Ibid., pp. 92-93

963.

N. SARRAUTE, Enfance, Gallimard, 1995, Folio plus

964.

M. LEIRIS, Fibrilles, Gallimard, 1966, p. 236

965.

P. BOURDIEU, «L'Illusion biographique», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62-63, 1986, pp. 69-72

966.

Ibid., p. 69

967.

Ibid., p. 70

968.

Ibid., pp 71-72