3 – Conséquences pour la formation

Vers quel type de formation la démarche autobiographique peut-elle se déployer ? Quel peut-être le véritable usage du récit biographique dans la formation et quelles en sont les principales difficultés ? L'autobiographie n'est pas faite pour elle-même et ne saurait constituer sa propre fin. Elle ne vise pas seulement une expression de soi et l'émergence d'un sujet. Elle ne s'en tient pas à un simple retour sur soi, à une évocation agréable de l'enfance, des années passées.

Il ne s'agit pas uniquement de se raconter, de se trouver, de se comprendre, de rechercher une forme d'accomplissement à travers la reprise et la mise en forme de son histoire. L'enjeu se situe au-delà. Le récit autobiographique est instrumenté et reste attaché à un objectif de formation. L'autobiographie ne doit pas perdre de vue la finalité de sa démarche et garder à l'esprit les raisons même de son acte et de sa recherche. Le dérapage guette la narrateur qui s'en tient à lui-même, à son seul moi et aux épisodes successifs de son existence sans que le tout ne soit porté, justifié et éclairé par un projet formateur.

La formation suppose de poursuivre un but, s'oriente autour d'un objectif précis, d'un projet arrêté et recherche des résultats. On forme pour quelque chose, en vue de quelque chose. La formation autobiographique concerne la personne dans sa globalité, se situe dans une perspective d'évolution de conscientisation, de «plus d'être», et s'inscrit comme structure de l'existence. Elle ne se réduit pas des fins aux moyens, des finalités aux objectifs, de l'être à l'avoir. Elle vise un au-delà des contenus, des techniques, se définit comme une quête en vue d'un plus d'autonomie, de développement et se situe dans une lignée herméneutique. La formativité est perçue au cœur de l'existence, l'enjeu consiste à ce que chaque sujet puisse assimiler et se saisir de ses possibilités formatrices.

Le fait de se relater ne règle pas les problèmes et ne permet pas au sujet de progresser forcément dans la voie de sa propre connaissance. Encore faut-il que l'interrogation autobiographique soit traversée par un fil conducteur, sous-tendue par une intelligibilité qui cherche à dégager certaines configurations, certains positionnements et fasse l'objet d'un accompagnement car le narrateur ne peut-être son propre formateur. La formation inscrit des exigences. Elle implique totalement la personne dans le processus et pose des questions de fond. Quelle a été mon attitude jusqu'à maintenant ? Qu'ai-je appris ? Qu'ai-je réalisé ? Comment ai-je agi pour me former ? Comment puis-je initialiser mes compétences ? Quels sont mes désirs ? Que puis-je envisager ? Quel est mon projet professionnel ?

Le récit est conçu pour esquisser des réponses et permet de cerner la personnalité du narrateur. Il se veut comme instrument de travail pour mener à bien un cheminement, une réflexion et conduit à l'élaboration d'un projet de formation défini et repensé dans les échanges qui s'établissent avec l'accompagnateur. Le projet de formation doit aller à la rencontre de la personne pour être effectif, pour se réaliser et anticiper ses désirs, demandes, répondre à ses attentes. Il ne peut se greffer de façon inconsidérée, être l'effet d'une opportunité. Il doit correspondre à un besoin, à une réflexion, survenir à un moment où le sujet en ressent la nécessité. La personne doit être prête en quelque sorte à s'engager dans ce travail pour de multiples raisons personnelles : mieux connaître son passé, comprendre le présent, justifier ou élaborer un projet pour l'avenir, refonder de nouvelles bases parce que sa raison d'être n'est plus.

La réflexion autobiographique renvoie le sujet à lui-même, l'incite à agir, à prendre en main sa formation. Elle va dans le sens d'une ouverture des significations. Le récit sollicite le sujet en tant que capacité réflexive, le conduit à mettre en œuvre une auto-évaluation vis-à-vis de son existence. L'examen engagé travaille l'identité de la personne, favorise un accroissement et une plus grande consistance d'être. L'autobiographie se base sur le postulat d'éducabilité de la personne, s'appuie sur le principe du déploiement de l'être, sur son auto-direction et sur son auto-développement, tient compte de cette force irréductible qui pousse l'homme à aller de l'avant.

Chaque auteur apparaît comme un cogito, un artisan de lui-même. La biographie est autobiographie, par définition, puisqu'elle émane du sujet lui-même. La formation est essentiellement une auto-formation. Il y a là pour le moins une antinomie.

Quelle peuvent être alors la place de l'accompagnateur, du chercheur ? Comment peuvent-ils intervenir ? Le véritable travail pour l'accompagnateur et le chercheur consistent à rendre le sujet conscient des enjeux liés à une telle démarche (de l'investissement que celle-ci requiert) comme des changements positifs qui peuvent en résulter. Le questionnement, la réflexion, la remise en cause, ne sont acceptables et ne peuvent mobiliser la personne que si les effets se révèlent à la hauteur des remous existentiels générés. L'intervenant poursuit un objectif qu'il doit faire partager au formé afin qu'une collaboration efficace puisse s'établir. La mobilisation, l'investissement de la personne se révèlent déterminants, et conditionnent l'opérativité et les retombées formatives du processus. Ce que les accompagnateurs recherchent à travers une telle entreprise, c'est à redonner essentiellement au sujet les différentes clés de son processus de fonctionnement en matière de formation, la conscience de ses compétences personnelles et des orientations maîtresses qui peuvent lui permettre d'advenir et de donner sens à sa vie selon ses aspirations. Il s'agit d'aider chaque individu à tirer parti de ses expériences, de son savoir, à se repositionner, à se réinsérer au sein de la société et à dégager des pistes et des orientations possibles pour construire l'avenir.

Le respect du sujet, l'octroi d'une réelle place et d'une considération, la prise en compte de sa liberté, l'écoute manifestés par l'accompagnateur et le chercheur s'avèrent comme des facteurs de prime importance pour favoriser l'entrée dans la démarche autobiographique et l'adoption d'une posture biographique. La pratique de l'intervenant, sa connaissance de la méthode, son discernement constituent autant d'atouts pour le sujet afin qu'il puisse découvrir l'autobiographie comme véritable outil d'analyse interne, instrument de gestion de son temps, de sa vie, de capitalisation des expériences. Le questionnement mis en place favorise l'approche de son histoire par le sujet, lui permet d'aller vers la prise en compte de logiques structurales. Pour que l'histoire de vie soit un gisement de connaissances, encore faut-il savoir l'interroger, la questionner.

Le support institutionnel donne la possibilité d'engager un véritable travail de formation. Le sujet devient «apprenant» de son histoire, de sa vie et de ses expériences. Il s'achemine vers une intégration dans le présent et l'avenir de ce qui l'a constitué et le constitue. Il prend conscience de son historicité, de sa capacité à avoir prise sur son histoire à venir, de ses possibilités de réalisation et de renouvellement, (à travers ce rapport au passé et à l'avenir), ainsi que du processus par lequel il se constitue et se produit. Le travail ne peut être réalisé par une personne seule et de façon isolée. La nécessité d'un éclairage théorique, d'un œil extérieur non impliqué se fait sentir. Même si l'autobiographe reste l'agent essentiel de son propre développement et de sa formation il n'en requiert pas moins un accompagnement et un cadre conceptuel. La nécessité d'une reprise, d'une analyse s'imposent, «l'histoire de vie commence pleinement avec le travail de matériau, le repérage des structures selon lesquelles la vie et le récit peuvent être organisés, la mise au jour dont la vie et le récit sont porteurs». 969

Notes
969.

A. LAINE, cité par R. OROFIAMMA, «Comment le sens vient au récit», Education permanente, n°142, 2000, pp. 115-127