1.1.2. Propriétés des champs récepteurs des cellules de la rétine

Chaque cellule ganglionnaire de la rétine signale par une augmentation de sa fréquence de décharge l’apparition d’un contraste chromatique ou de luminance dans une petite fenêtre du champ visuel. Cette région d’activation est appelée le champ récepteur du neurone (Bullier, 2002 ; Hubel, 1994 ; Fitzpatrick, 2000). Il s’agit de la zone du champ visuel qui influence l’activité d’une cellule. Chez le primate, il existe une vingtaine de cellules ganglionnaires différentes (Masland, 2001 ; Rodieck, 1998). Parmi toutes ces c ellules, trois grandes catégories semblent être les plus importantes dans la voie rétino-géniculée-corticale (Knoblauch, 1999) : les cellules alpha (appelées également en parasol, de grandes tailles), les cellules bêta (ou naines, de petites tailles) et les cellules gamma (ou bi-stratifiées). Chez le primate, les cellules en parasol représentent environ 10 % de la population des cellules ganglionnaires, les cellules naines, les plus nombreuses de toutes, représentent 70 % du total (Lee, 1996), et enfin les cellules bi-stratifiées, les moins nombreuses, représentent entre 5 et 10 % selon les espèces ; par conséquent ces dernières ont été les moins étudiées (Dacey & Peterson, 1992 ; Watanabe & Rodieck, 1989).

Le champ récepteur d’une cellule ganglionnaire comprend deux régions concentriques : le centre qui est la région la plus sensible et le pourtour qui a une action antagoniste à celle du centre. Deux types fonctionnels de neurones sont distingués : les neurones à centre-on et à centre-off. L’activité des neurones à centre-on s’accroît lorsque le contraste de luminance augmente entre le centre et le pourtour du champ récepteur. Ainsi, une cellule à centre-on décharge avec une fréquence plus élevée lorsqu’une tache de lumière est présentée précisément au centre du champ récepteur et que son pourtour n’est pas éclairé (Figure 2b). La réponse de cette cellule est faible ou nulle lorsque son champ récepteur est totalement éclairé (Figure 2d). Réciproquement, ce type de cellule diminuera son activité spontanée lorsqu’un anneau lumineux est présenté dans le pourtour du champ récepteur (Figure 2e). Les cellules à centre-off répondent de façon opposée aux stimulations lumineuses. L’organisation des champs récepteurs permet donc aux cellules de répondre au contraste et non pas à une luminance absolue.

Figure 2 : Champ récepteur d’une cellule ganglionnaire à centre-on et à pourtour-off. Les figures de droite illustrent les différentes réponses neuronales (en décharge/sec) qui correspondent à la présentation d’une tache lumineuse dans le champ récepteur (sur la gauche) (d’après Palmer, 1999).

Le centre et le pourtour ont été modélisés comme deux mécanismes antagonistes avec une sensibilité proche d’une fonction gaussienne pour chacun d’entre eux. Le profil de la zone centrale est étroit et élevé, tandis que le profil de la zone du pourtour est étendu spatialement et faible (un exemple, au trait fin, est donné à la Figure 3). Le centre et le pourtour interagissent, et leur combinaison produit une forme ressemblant à un chapeau mexicain, c’est le profil du champ récepteur des cellules ganglionnaires (Bullier, 2002 ; Rodieck, 1998). Ce profil est obtenu par la soustraction entre les deux fonctions gaussiennes, cette représentation des champs récepteurs a été appelée « Difference of Gaussian » ou DoG (Rodieck, 1965 ; Enroth-Cugell & Robson, 1966). La Figure 4 illustre en gras ce profil. Dans ce modèle, la réponse neuronale dépend de deux mécanismes indépendants : un centre opposé à un pourtour. La fonction DoG permet de faire des prédictions sur la réponse des neurones sur la base d’un calcul qui ne requière que quatre paramètres, à savoir l’amplitude et la taille du centre et du pourtour des champs récepteurs.

Figure 3 : Profil unidimensionnel du centre et du pourtour d’une cellule ganglionnaire à centre-on. Le champ récepteur de ces cellules est circulaire. La sensibilité spatiale du centre et du pourtour est une fonction gaussienne et est indiquée par un trait fin. Le profil du champ récepteur d’une cellule ganglionnaire est indiqué par un trait gras et est obtenu par l’addition des éléments du centre et du pourtour (l’illustration est issue de Rodieck, 1998, pp 337).

La taille des champs récepteurs dépend du type de cellule ganglionnaire mais également de l’excentricité rétinienne : plus les cellules ganglionnaires sont éloignées de la périphérie et plus la taille de leur champ récepteur est importante (Rodieck, 1998). Par contre, la différence de taille entre les cellules en parasol et naines varie en fonction de l’excentricité. En effet, le ratio est de 3/1 dans la rétine périphérique et de 10/1 à 3 deg d’excentricité (Dacey & Petersen, 1992). De plus, le diamètre de la zone centrale n’est pas équivalent à celui du pourtour avec une taille plus importante pour le pourtour (Dacey, Packer, Diller, Brainard, Peterson & Lee, 2000). Par ailleurs, le diamètre d’un champ récepteur à centre-on est de 30 à 50 % plus large qu’un centre-off (Dacey & Petersen, 1992).

La région centrale du champ récepteur des cellules en parasol somme les signaux des cônes L et M. En rappelant que les cônes M et L sont répartis de manière aléatoire sur la rétine, ces cellules semblent plus adaptées à transmettre les variations de luminance d’une image. Par ailleurs, les cellules naines possèdent non seulement un antagonisme spatial mais aussi spectral. En effet, la réponse du centre des champs récepteurs dépend de l’activation des cônes de type M ou L. A l’inverse, le pourtour est activé par un mélange aléatoire comprenant les signaux des cônes L et M. Ces cellules peuvent aussi être classées selon leurs réponses du centre de type on et off, ce qui donne ainsi –M+L et –L+M pour les cellules off. En ce qui concerne les cellules bi-stratifiées, les signaux de la couche on viennent des cônes S, ceux de la couche off des cônes M/L. L’organisation du champ récepteur des cellules bi-stratifiées indiquent que le champ on des cônes S est coextensif avec le champ off des cônes M/L. Par conséquent, le signal véhiculé par ces cellules est purement chromatique de type S-L/M, sans antagonisme spatial (Knoblauch, 1999 ; Rodieck, 1998). Toutefois, nous ne développerons pas une discussion sur le codage chromatique, puisque notre thèse s’inscrit dans une perspective achromatique.

Il existe 120 millions de bâtonnets, 6 millions de cônes et 1,5 millions de cellules ganglionnaires (Schwartz, 1999 ; Wandell, 1995). L’organisation en champs récepteurs permet l’intégration d’un stimulus initialement échantillonné puis compressé. Les cellules ganglionnaires signalent en effet le résultat d’une comparaison entre la quantité de lumière atteignant une région de la rétine et la quantité de lumière qui atteint le pourtour de cette région. Les champs récepteurs des cellules naines et en parasol fait que ces derniers répondent de façon préférentielle au contraste et pas à une luminance absolue. Ceci implique que l’information de surface est perdue : les cellules répondent si un contour (un contraste noir/blanc) correctement placé atteint leur champ récepteur (la limite entre deux formes est indiquée par une différence de contraste ; Hubel, 1994 ; Schwartz, 1999 ; Wandell, 1995). Les bords d’une forme visuelle sont donc encodés dès les premiers niveaux de traitement.

Le fait que la cellule ne réagisse qu’aux différences locales d’intensité est étonnant, car lorsque l’on regarde une forme lumineuse et uniforme, l’intérieur nous semble aussi clair que le bord. Or, nous avons vu que les cellules ganglionnaires sont activées uniquement par les bords de la forme, par conséquent, si le traitement visuel s’arrêtait là, notre perception porterait exclusivement sur les contours. Le chapitre 2 présentera comment les modèles résolvent ce problème en postulant que la surface est reconstruite.