1.1.5.La théorie des filtres

Les neurones du cortex visuel sont sensibles aux « barres » d’une orientation spécifique. Ceci implique que l’aire V1 détecte les contours des objets, et à partir de cette information Hubel et Wiesel (1962, 1968) ont émis l’hypothèse qu’un percept pouvait être construit. Toutefois, DeValois, Albrecht et Thorell (1982) ont présenté une approche alternative du traitement cortical. Ces auteurs ont étudié les propriétés des champs récepteurs des cellules corticales en utilisant des réseaux sinusoïdaux au lieu de barres lumineuses. En effet, les travaux précurseurs de Campbell et Robson (1968) ont montré une sensibilité de l’observateur pour différentes fréquences spatiales. Les résultats de DeValois et al. (1982) ont indiqué que les cellules corticales étaient activées par ces réseaux sinusoïdaux mais avec des fréquences spatiales spécifiques. Par exemple, une cellule répondait à une fréquence spatiale de 3 cpd, alors qu’une autre cellule était activé par une fréquence spatiale de 6 cpd. DeValois et al. (1982) ont enregistré à la fois des cellules simples et complexes, ces cellules étaient accordées aux fréquences spatiales basses, moyennes et hautes.

Cette sensibilité aux fréquences spatiales a conduit de nombreux chercheurs à utiliser ce type de stimuli dans leurs expériences. Par exemple, dans une étude en IRMf, Boynton, Demb, Glover et Heeger (1999) ont montré une activation dans l’aire V1 pour une tâche de discrimination de contraste entre deux fréquences spatiales. Les deux fréquences spatiales étaient présentées à la suite, et l’observateur devait indiquer lequel des deux stimuli avait le niveau de contraste le plus élevé. Le niveau d’activité de l’aire V1 était de plus en plus important en fonction de l’augmentation du niveau de contraste entre ces deux stimuli. Par ailleurs, une similitude a été constatée entre le niveau d’activité de V1 et le seuil des réponses pour chacun des niveaux de contraste.

La théorie de Hubel et Wiesel (1962, 1968) propose que le codage d’une barre reflète en quelque sorte sa perception, mais la théorie des filtres montre que cela n’est pas aussi simple. L’opposition entre ces deux théories réside dans le fait que le modèle de Hubel et Wiesel (1962, 1968) avait un objectif qui était la représentation d’un contour par le système visuel, tandis que la théorie des filtres n’a pas d’objectif direct puisqu’un réseau sinusoïdal n’a pas de sens pour une forme. La théorie des filtres a permis d’apporter un nouveau point de vue : est-il pertinent d’envisager les neurones par des détecteurs de caractéristiques spatiales comme des traits dans V1 ? Les implications de ces deux théories sont différentes, la théorie des filtres suggère que les cellules de V1 ne sont pas des détecteurs de traits, comme des lignes ou des bords, mais plutôt des filtres qui décomposent l’image en primitives. Ce point de vue n’exclut pas l’existence de détecteurs de contours ou de lignes. Mais ces détecteurs seraient situés à un plus haut niveau, où les filtres seraient combinés pour déterminer les contours d’une forme. Par conséquent, la théorie des filtres est compatible avec la théorie des détecteurs de bord ou de ligne, mais avec la nuance que ces détecteurs ne seraient pas localisés dans V1 (Palmer, 1999).

Par ailleurs, la théorie des filtres ne remet pas en cause l’existence de la sélectivité à l’orientation des cellules de V1 (Hubel & Wiesel, 1968), ainsi que la participation de cette aire corticale dans la perception (Paradiso, 2002). En effet, DeValois et DeValois (1988) ont mis en évidence l’existence d’un lien entre les caractéristiques de sélectivité à l’orientation et celles aux fréquences spatiales. Une dimension supplémentaire a été ajoutée à l’architecture en hypercolonne décrite par Hubel et Wiesel (1968). De façon schèmatique, l’organisation de chaque hypercolonne se déroule de la façon suivante : des colonnes de cellules accordées à différentes fréquences spatiales et d’orientation sont disposées de façon orthogonale afin que chaque combinaison de fréquence spatiale et d’orientation soit représentée dans une hypercolonne.

Les cellules de V1 sont sensibles aux fréquences spatiales d’une image, mais l’analyse effectuée par les champs récepteurs est essentiellement locale puisque la taille des champs récepteurs limite leur activité à de petites régions du champ visuel. Cet argument restreint l’utilisation de réseaux sinusoïdaux dont l’extension est théoriquement infinie selon le théorème de Fourier. Néanmoins, l’analyse des fréquences spatiales peut être réalisée en utilisant un signal de luminance sinusoïdale dont le contraste (l’amplitude) diminue en fonction de l’éloignement du centre du réseau. Ce signal est appelé une fonction Gabor comme nous l’avons discuté plus haut, un exemple est présenté à la Figure 9. Les cellules simples de V1 sont activées par la présentation de ce type de stimulus (Palmer, 1999). Une hypothèse prédominante suppose que les premières représentations corticales de l’image visuelle consistent en une décomposition par des filtres Gabor. Ces filtres sont localisés spatialement et répondent à un signal provenant d’une région spécifique de la rétine. Toutes ces raisons ont conduit à remplacer l’utilisation des réseaux sinusoïdaux par des fonctions Gabor.

Figure 9 : Exemples de signaux Gabor. La figure de gauche présente un signal Gabor dont la fréquence spatiale est basse, et la figure de droite montre un signal Gabor avec une fréquence spatiale élevée.