1.1.6. Que reste-t-il du modèle de Hubel et Wiesel aujourd’hui ?

1.1.6.1. Peut-on vraiment considérer le traitement visuel comme hiérarchique ?

Les travaux de Hubel et Wiesel (1962, 1968) privilégie un traitement hiérarchique. Leur modèle propose que les propriétés des champs récepteurs, pour un niveau donné, seraient la conséquence de l’arrangement des réponses données par les neurones des couches inférieures de la hiérarchie. Par conséquent, au cours des premières étapes du traitement visuel, les champs récepteurs se spécialisent dans le traitement de l’information. Par exemple, les cônes répondent à la luminance, les cellules ganglionnaires à un contraste de luminance, les cellules simples à un contraste orienté, et les cellules complexes à un contraste orienté en mouvement. De façon plus spécifique, les neurones du CGL convergent vers la couche 4 (de V1) pour former les cellules simples, et ensuite les neurones de la couche 4 activent la couche 3 (de V1) pour former les cellules complexes (Hubel & Wiesel, 1962). Une illustration de ce modèle est présentée dans la Figure 10(a).

Ce modèle hiérarchique donne une importance aux connexions ascendantes (« feedforward »), mais cette conception ne permet pas d’expliquer pourquoi dans la couche 4 du chat, 95 % des synapses d’une cellule simple proviennent d’autres neurones corticaux. Réciproquement, les connexions excitatrices de la couche 3 de V1, qui est l’étape suivante dans le modèle hiérarchique, ne proviennent que de 20 % de la couche 4. Le modèle purement ascendant de Hubel et Wiesel ignorait l’existence de connexions locales pour une même couche, à savoir les connexions horizontales, mais également descendantes entre les couches (Gilbert, 1995). En effet, de nombreuses connexions horizontales excitatrices et inhibitrices existent au niveau des couches 3 et 4, et ces cellules interagissent entre elles (Fitzpatrick, Lund & Blasdel, 1985 ; Miller, Pinto & Simons, 2001). Par ailleurs, des connexions descendantes relient la couche 3 à la couche 4 (Martin, 2002). Ces connexions descendantes sont plus nombreuses que les connexions ascendantes. En effet, leur organisation est telle qu’un neurone reçoit uniquement une information depuis les neurones afférents. En revanche, les connexions descendantes sont organisées afin de transmettre une information depuis un neurone cible vers plusieurs neurones d’un niveau inférieur (Bullier, 1998). La Figure 10(b) présente les différentes modifications qui ont été apportées au modèle de Hubel et Wiesel (1962). Par conséquent, la structure de V1 ne peut pas se limiter à un modèle hiérarchique, puisque seul un nombre restreint de cellules corticales permettent ce traitement ( Martin, 2002 ; Somers, Nelson & Sur, 1995). Cette idée ne concerne pas seulement l’aire V1, mais s’étend à l’ensemble des aires visuelles. En effet, les connexions entre les aire visuelles sont établies à travers deux types de projections. Une projection ascendante transmet l’information d’une aire inférieure dans la hiérarchie à une aire supérieure. Une projection descendante effectue le chemin inverse, c’est-à-dire, qu’elle transmet l’information d’une aire hiérarchique supérieure à une aire inférieure.

Figure 10 : La figure de gauche présente le modèle hiérarchique de Hubel et Wiesel, où un traitement purement ascendant s’effectue depuis le CGL jusque dans la couche 3 de V1. La figure de droite présente un modèle alternatif dans lequel les couches 3 et 4 contiennent des neurones excitateurs et inhibiteurs qui sont connectés de toutes les façons possibles (issu de Martin, 2002, p. 419).

D’un point de vue classique, les champs récepteurs de V1 sont stimulés spécifiquement par l’orientation d’un signal. Les travaux de Hubel et Wiesel (1962) ont eu des conséquences importantes sur la façon de considérer le fonctionnement du système visuel. Ainsi, les aires visuelles étaient considérées comme étant sensibles à différents éléments, par conséquent, possédaient des fonctions spécifiques. Par exemple, l’aire MT était spécifique au mouvement tandis que V4 était l’aire de la couleur. Une organisation de type modulaire était établie de façon stricte (Felleman & Van Essen, 1991 ; Livingstone & Hubel, 1988). La difficulté majeure de ce type d’organisation réside dans le traitement temporel d’une image. En effet, il existe une contradiction entre la rapidité à laquelle le système visuel traite une information (Thorpe, Fize & Marlot, 1996) et la lenteur d’activation des neurones (Nowak & Bullier, 1997).

La rapidité du système visuel pourrait résider dans le fait que l’information en provenance de la rétine ne se propage pas comme une vague qui escalade les différents niveaux mais plutôt comme trois vagues successives. Le décalage temporel entre les trois vagues successives d’activation (voie M, P et K) crée un fonctionnement asynchrone que le système pourrait utiliser. D’après Bullier (1998, 2001), ces différences de temps de réponses jouent un rôle important dans le traitement de l’information par le cortex cérébral. Notamment, un modèle par itération basé sur l’activation des neurones M, P et K à différents moments permettrait d’expliquer la vitesse importante à laquelle un stimulus est traité. Ce modèle remettrait en question l’hypothèse d’une organisation hiérarchique basée principalement sur des connexions ascendantes (Hubel & Wiesel, 1962 ; Livingstone & Hubel, 1988) et mettrait l’accent sur les connexions descendantes caractérisées par un décalage temporel à des niveaux spatiaux différents selon la catégorie de neurones de relais.