1.2.2. Comment distinguer les canaux M et P chez l’observateur humain ?

Les données physiologiques de Kaplan et Shapley (1986) ont permis de déterminer des caractéristiques de contraste différentes pour la voie M et P. En effet, nous avons vu que la taille des champs récepteurs de ces canaux était différente, par conséquent les contours sont encodés sur différentes échelles spatiales. L’objectif de Smith et Pokorny (1997) était de distinguer ces deux voies de façon comportementale en s’appuyant sur des techniques psychophysiques chez l’observateur humain. La sensibilité au contraste des canaux M et P est développée car le paradigme qui privilégie la voie M sera utilisé dans l’une de nos expériences.

Pour cela, Smith et Pokorny (1997) ont utilisé trois paradigmes différents. Dans ces trois paradigmes, quatre carrés étaient présentés sur un fond gris moyen, et la tâche consistait à indiquer le carré dont la luminance était inférieure ou supérieure aux trois autres carrés. Dans la condition « pulse », les carrés apparaissaient brièvement. Dans le second paradigme dont la condition était « steady-pedestal », quatre carrés de luminance identique étaient présentés, puis la luminance de l’un de ces carrés diminuait ou augmentait. Pour la condition « pedestal-∆-pedestal », les quatre carrés avaient la même luminance, puis la luminance de ces carrés changeait mais l’un de ces éléments changeait différemment des trois autres. Le seuil de luminance (le plus petit changement de luminance détecté) était relevé pour chaque observateur et pour différents niveaux de luminance des trois carrés de manière à calculer des courbes de contraste.

Afin de déterminer la sensibilité des trois paradigmes à mettre sélectivement en œuvre la voie M ou P, une comparaison a été réalisée avec les données de Kaplan et Shapley (1986). Les courbes de la Figure 5 indiquent que la réponse des cellules de la voie M augmentait rapidement avec l’augmentation du contraste ; de même la réponse des cellules de la voie P augmentait de façon linéaire et fixe. Ces courbes sont principalement caractérisées par leur pourcentage de gain de contraste. Ce pourcentage est obtenu par la formule suivante : (R max/C sat)/100, dans laquelle R max est l’amplitude de réponse maximale des neurones (en impulse par seconde ou ips), et C sat est le contraste pour lequel l’amplitude de la réponse est la moitié de R max. Kaplan et Shapley (1986) ont montré que le pourcentage de gain de contraste était inférieur à 1 (compris entre 0.15 et 0.5) pour la voie P, et supérieur à 1 (compris entre 5 et 8) pour la voie M. Smith et Pokorny (1997) ont effectué une comparaison entre les pentes obtenues à partir des trois paradigmes, en remplaçant le nombre d’impulse par seconde par le seuil de luminance des observateurs, avec les pentes obtenues à partir de l’expérience de Kaplan et Shapley (1986), ce qui permettait de prédire directement la participation de la voie M ou P dans les trois paradigmes.

Les résultats ont indiqué que le pourcentage de gain de contraste de la condition « pulse paradigm » était spécifique à la voie P. Par ailleurs, les résultats de la condition « steady-pedestal » impliquaient une participation de la voie M. Cette étude a permis de spécifier une participation de la voie M et P à l’aide de différentes tâches de discrimination, indépendamment de tout enregistrement neuronal. Par la suite, ces deux paradigmes ont été utilisé pour mettre en évidence un déficit important de la voie M chez des patients atteints d’une maladie dégénérative de la rétine : la retinitis pigmentosa 7 (Alexander, Pokorny, Smith, Fishman & Barnes, 2001). Cette technique permettrait également d’étudier de façon comportementale l’implication des voies M et P pour différentes pathologies ; par exemple, il est proposé qu’un certain type de dyslexie soit spécifiquement associé à un trouble de la voie M (Schwartz, 1999 ; Stuart, McAnally & Castles, 2001).

Notes
7.

Cette maladie se caractérise par une perte progressive de la vision périphérique et une capacité lente à s’adapter à des conditions où la lumière est faible (Rodieck, 1998).