1.2.4.2. Influence de la forme des contours sur la notion de champ d’association

L’ensemble des expériences physiologiques et comportementales manifeste une grande cohérence entre les données portant sur l’intégration des contours. Toutefois, les auteurs des études n’utilisent pas de signaux Gabor colinéaires représentant une forme. Cette partie a donc pour objectif de tester ce type de stimulus.

Ainsi, Kovacs (1996) suggère que le principe des connexions horizontales « long-range » ne serait pas une condition suffisante à elle seule pour expliquer l’intégration des contours d’une forme. En effet, des processus comme notre expérience passée influencent les connexions entre deux neurones. Kovacs et Julesz (1993) ont étudié cette question en reprenant le même paradigme que celui de Field et al. (1993), mais une condition dans laquelle la courbe était fermée, a été ajoutée (elle avait ainsi la forme d’un cercle). Les résultats ont montré une différence significative entre des contours fermés ou ouverts : un pourcentage plus élevé de détection correcte était observé pour des cercles. Ce résultat démontre que la sensibilité augmente grâce au processus de fermeture, et non pas par une autre propriété du stimulus. Le principe de fermeture influencerait le champ d’association.

Ces résultats ont amené Kovac et Julesz (1993) à conclure que les éléments Gabor composant le cercle paraissaient avoir un contraste plus élevé, ce qui faciliterait leur perception. Hess, Dakin et Field (1998) ont testé cette hypothèse en réalisant une tâche où les observateurs ajustaient le contraste d’un signal Gabor avec celui des éléments présentés dans le fond. Le signal Gabor était placé parmi des éléments Gabor alignés ou sans aucun lien. Mais, quelle que soit la condition de présentation des éléments, les observateurs ne surestimaient pas le contraste du signal. Les résultats n’ont pas confirmé l’hypothèse selon laquelle le contraste des éléments serait perçu plus élevé lorsque ces derniers forment un contour par rapport à une condition où ils n’en forment pas. Toutefois, Hess et al. (1998) n’ont pas utilisé de condition dans laquelle les éléments étaient regroupés en un cercle, ce qui ne permet pas de comparer directement leur résultats avec l’hypothèse formulée par Kovac et Julesz (1993).

Par la suite, Pettet, McKee et Grzywacz (1998) ont déterminé spécifiquement les conditions pour lesquelles le mécanisme de fermeture facilitait la détection (Kovacs & Julesz, 1993). Pour l’ensemble des expériences, deux ensembles de stimuli, composés d’éléments Gabor, étaient présentés de chaque côté de l’écran. Les observateurs déterminaient le côté où le contour était situé. Cette expérience a permis de répliquer les résultats de Kovacs et Julesz (1993) en montrant qu’un contour fermé était plus facilement détectable qu’un contour aligné. Ceci restait vrai même si les performances diminuaient quand le nombre de distracteurs augmentait (les signaux Gabor composant le fond). Field et al. (1993) ont montré que plus un contour était arrondi et plus sa visibilité diminuait, par conséquent, des modifications au sein de la courbe d’un contour fermé pourrait influencer sa détection. Pour tester cette hypothèse, trois contours fermés étaient comparés : la première forme était un contour circulaire, la seconde forme se rapprochait d’un croissant de lune, la troisième forme était similaire à un haricot sec. Parmi ces trois formes, le contour circulaire était le plus facilement identifiable et la forme du croissant de lune était le plus difficile à identifier, la forme des contours en haricot ayant une visibilité intermédiaire. En outre, les performances obtenues dans les conditions « croissant de lune » et « haricot » étaient comparables à celles obtenus dans une condition contrôle où le contour n’était pas fermé. Le principe de fermeture facilite donc la visibilité des contours seulement lorsque certaines contraintes géométriques sont réunies. Ainsi, ce mécanisme ne suffit pas, à lui seul, à améliorer la détection des contours. Kovac et Julesz (1994) ont obtenu des résultats similaires à ceux de Pettet et al. (1998) lorsque des éléments Gabor alignés en cercle étaient comparés à une condition où une forme ovale était utilisée.

Les études de psychophysiques et neurophysiologiques ont permis de montrer que l’orientation, entre les éléments constituant un contour, était un facteur important. Si ce phénomène est vrai, alors la forme du contour devrait affecter les interactions entre les unités locales. En d’autres termes, Pettet (1999) avance l’idée que la forme globale influencerait la réponse de détection. Les stimuli étaient composés de fonctions Gabor qui étaient présentées à droite et à gauche de l’écran. Conformément aux données de Field et al. (1993), l’orientation des Gabor était toujours inférieure à 30 deg. Parmi ces stimuli, certaines fonctions Gabor étaient regroupées pour former une courbe et étaient présentées à droite ou à gauche de l’écran. L’observateur indiquait la position de la courbe. Il a également manipulé la courbure du signal qui allait d’un demi-cercle à un serpentin. Pettet (1999) a observé que plus le signal était courbé et plus il était facile à détecter. L’expérience de Pettet (1999) a mis en avant des différences de détection alors que l’orientation des éléments Gabor était inférieure à 30 deg. Pour Hess et Field (1999), ceci indique que la notion de champ d’association n’est pas suffisante pour expliquer le processus d’intégration des contours. Par ailleurs, les résultats de Kovacs et Julesz (1993) montrent la nécessité d’aller au-delà des connexions latérales « long-range » pour expliquer le traitement des contours.

Par conséquent, il est tout à fait possible que des mécanismes intermédiaires existent et permettent l’intégration des contours. Ainsi, Ullman (1984) suggérait l’existence de routines visuelles qui établissent des relations entre les premiers niveaux de traitement, qui ne sont pas réalisées explicitement, et des représentations de haut niveau. Les routines visuelles permettraient d’intégrer les informations locales en un tout, ce processus serait un intermédiaire entre les premiers niveaux de traitement et les traitements de haut niveau. Par exemple, ce mécanisme permettrait de relier les différents éléments locaux en un contour unique. Néanmoins, dans une étude neuropsychologique récente, Giersch, Humphreys, Boucart et Kovacs (2000) ont rapporté le cas d’un patient agnosique (HJA) dont la lésion est principalement située dans l’aire occipitale mais sans que l’aire V1 ne soit atteinte. La méthode était en tout point identique à celle utilisée dans Kovacs et Julesz (1993). Les résultats n’ont montré aucune différence entre la sensibilité du patient et des observateurs contrôle. Ce patient n’avait aucun déficit particulier dans le traitement des contours, ce qui indiquerait que l’aire V1 est suffisante pour intégrer les contours d’une forme.

De nombreuses études comportementales (Kovacs & Julesz, 1993, 1994 ; Pettet, 1999 ; Pettet et al. 1998) ont permis de montrer que les connexions horizontales n’étaient pas suffisantes à elles seules pour déterminer la perception des contours sur des grandes régions du champ visuel. Une étude récente de Angelucci, Levitt, Walton, Hupé, Bullier et Lund (2002) suggèrent une implication des processus « feedback » dans le traitement des contours dans V1 à partir du cortex extrastrié.

Boucart, Delord et Giersh (1994) ont montré que les effets de colinéarité étaient généralisables à des stimuli plus complexes que des éléments Gabor. Les stimuli étaient des dessins d’objet composés de segments de lignes. L’espacement et la colinéarité entre les segments étaient manipulés. L’expérience se déroulait de la façon suivante : une forme apparaissait au centre de l’écran, elle était suivie d’une cible (identique en tout point à la figure de référence) et d’un distracteur (l’objet est identique à la figure de référence, mais l’orientation est l’image en miroir). La tâche des observateurs était de préciser laquelle des deux formes était identique à la forme précédente. La figure de référence était constituée d’un dessin au contour complet ou segmenté. Cette manipulation supplémentaire permettait de vérifier si la présentation préalable d’une forme complète facilitait le traitement d’une forme incomplète. Les résultats indiquaient une diminution des performances lorsque l’espacement entre les segments était supérieur à 10 min et pour des stimuli non colinéaires. De plus, les temps de réponse étaient plus longs et les taux d’erreur plus faibles lorsque la figure de référence était un dessin au contour complet. Ainsi, l’identification de la figure complète facilite le traitement, et l’accès à l’identité de l’objet ralentit le temps de réponse. Par ailleurs, Boucart, Grainger et Ferrand (1995) ont cherché à déterminer l’importance des caractéristiques de contour sur l’identification d’objet dans une tâche d’amorçage. L’amorce était composée de dessin avec des parties de contour supprimées, et la cible était toujours la version complète du dessin présentée en amorce. Un masque, composé de point noir et blanc aléatoire, était intercalé entre l’amorce et la cible. Boucart et al. (1995) ont tout d’abord réalisé une expérience dans laquelle le contour était constitué uniquement par les coins ou par les segments de ligne de l’objet. Les résultats indiquaient que la facilitation due à une pré-activation en mémoire, était équivalente pour les deux versions de stimuli. De plus, lorsqu’aucune amorce n’était présentée, le temps de dénomination de l’objet est plus long par rapport à une condition avec une amorce de dessin segmenté. L’identification est facilitée par le degré de structuration locale. Dans une dernière expérience, les auteurs ont remplacé les coins bi-dimensionnels par des coins tri-dimensionnels. Ces stimuli étaient comparés aux dessins constitués par des segments de lignes. Dans ce cas, la dénomination d’objet était facilitée pour des contours composés de coins tri-dimensionnels. Il semble donc que le facteur 3D transmet plus d’information que des segments de lignes sur l’arrangement spatial entre les différentes parties de l’objet.