1.2.4.3. Un aspect méconnu dans l’intégration des contours : le facteur temporel

Les études, qui ont été présentées dans les parties précédentes, intégraient uniquement des paramètres qui limitaient la sensibilité à des images statiques. Toutefois, des études récentes ont examiné le rôle des aspects temporels dans l’intégration des contours.

D’un point de vue comportemental, l’aspect temporel de l’intégration des contours a été étudié récemment par Usher et Donnelly (1998). Dans leur expérience, une tâche de détection était réalisée dans laquelle des segments de lignes colinéaires étaient affichés brièvement de façon synchrone ou asynchrone par rapport à des segments du fond. Dans la condition synchrone, les éléments du contour et du fond étaient présentés simultanément. Tandis que dans la condition asynchrone, les éléments du contour étaient présentés avant les éléments du fond. Les observateurs avaient des performances supérieures dans la condition asynchrone que dans la condition synchrone. Une seconde condition asynchrone a été testée pour montrer que les effets obtenus n’étaient pas la conséquence d’un traitement implicite. Dans cette condition, l’orientation des segments était aléatoire, et les résultats ont indiqué une baisse significative des performances. Cette étude montre que l’information temporelle interagit avec le traitement spatial et que, par conséquent, ces deux informations ne peuvent donc pas être utilisées indépendamment l’une de l’autre. Beaudot (2002) a répliqué cette expérience en utilisant des signaux Gabor à la place de segments de lignes. Il a observé que l’effet obtenu par Usher et Donnelly (1998) dépendait de l’ordre de présentation entre le signal et le fond. En effet, un résultat identique était observé uniquement lorsque les signaux Gabor du contour précédaient les éléments Gabor du fond. Pour Beaudot (2002), l’utilisation de stimuli simples, comme des barres lumineuses, ne serait pas une condition suffisante pour déterminer le codage neuronal impliqué dans l’intégration des contours. Les expériences de Usher et Donnelly (1998) et de Beaudot (2002) indiquent qu’une présentation synchrone ou asynchrone n’est pas suffisante pour étudier l’aspect temporel dans l’intégration des contours (Farid, 2002).

Néanmoins, d’autres auteurs se sont intéressés aux traitements temporels en dehors du principe d’asynchronie. Bex, Simmers et Dakin (2001) ont étudié les aspects temporels dans l’intégration des contours en utilisant des signaux Gabor et en manipulant la fréquence temporelle (de 2 à 10 Hz) pour deux types différents de contours : la phase des éléments Gabor était soit dans le même alignement que le contour, soit opposée (comme les barreaux d’une échelle). La tâche des observateurs était de détecter la présence ou non du contour. Les résultats ont indiqué que les éléments correctement alignés étaient plus facilement détectables que des éléments dont la phase était orthogonale par rapport à l’alignement. Quelle que soit l’orientation des éléments Gabor, le seuil de détection était plus élevé à partir du moment où la fréquence temporelle n’était plus statique, puis le seuil des observateurs diminuait à partir de 2 Hz, mais il était toujours supérieur à celui de la condition contrôle où la fréquence temporelle ne variait pas.

Hess, Beaudot et Mullen (2001) ont manipulé différents facteurs comme les fréquences temporelles, l’orientation entre les éléments Gabor du contour ou encore le contraste des éléments formant le contour. La méthode utilisée était en tout point identique à celle de Field, Hayes et Hess (1993). Les résultats étaient similaires à ceux de Field et al . (1993) : plus l’orientation entre les éléments était importante, et moins les performances de détection étaient élevées. Mais ici, Hess et al. (2001) ont montré que les performances diminuaient avec l’augmentation de la fréquence temporelle. Une distinction était observée puisque le pourcentage de détection correcte diminuait entre 6 et 12 Hz lorsque les éléments du contour étaient alignés, alors que la diminution des performances s’observait dès 1-2 Hz pour des contours arrondis. Par ailleurs, le contraste du contour n’avait peu ou pas d’influence sur les performances des observateurs.

Des critiques ont été formulées à propos du rôle joué par l’asynchronie dans le traitement des contours. Toutefois, ces critiques ne remettent pas en question l’importance des fréquences temporelles dans l’intégration des contours. Cet aspect mériterait d’être pris en considération dans les modèles du traitement des contours (Grossberg & Mingolla, 1985 ; Yen & Finkel, 1996).

Le codage physiologique d’une information visuelle est déterminé par l’antagonisme centre/pourtour des champs récepteurs de la rétine jusque dans le cortex visuel. Ce modèle de l’intégration d’un stimulus par les champs récepteurs souligne le fait que la transmission de l’information est réalisée à partir des bords et non pas à partir d’une surface uniforme. Malgré les critiques qui ont été formulées aux modèles de Hubel et Wiesel (1962, 1968), la sensibilité des champs récepteurs à un contraste n’a jamais été remise en question. Au cours de cette partie, nous nous sommes intéressés à l’intégration des contours d’un point de vue physiologique mais aussi comportemental sur des petites et des grandes parties du champ visuel. Nous avons vu qu’il existait de nombreuses similarités entre les études psychophysiques et physiologiques concernant le traitement des contours. La cohérence de ces études indique que les bords constituent une information primordiale pour le traitement d’une forme. La question que nous aborderons dans la prochaine partie est de savoir comment l’information de surface est intégrée et comment cette dimension est traitée de façon perceptive, puisque c’est une dimension, selon ces théories, qui n’est pas codée directement par le système visuel.