2.2. Etudes neurophysiologiques du traitement de la surface

2.2.1. Le remplissage : un processus neuronal ou cognitif ?

Nous avons vu précédemment que le processus de remplissage se présentait comme une possibilité pour expliquer le traitement de la surface. Une question a été de déterminer la nature passive ou active du processus de remplissage. En effet, le débat portait sur l’implication directe d’un traitement neuronal réalisé par le système visuel. Les auteurs en faveur d’un remplissage passif (Dennett, 1991) supposent que la tache aveugle ou le scotome sont simplement ignorés de la même façon que les régions en dehors du champ visuel (située derrière la tête, par exemple). À l’inverse, de nombreux auteurs (Churchland & Ramachandran, 1996 ; DeWeerd & Spillman, 2003 ; DeWeerd, Gattass, Desimone & Ungerleider, 1995 ; Gilbert, 1996 ; Spillman & Werner, 1996) supposent l’existence d’un remplissage actif, pour lequel, une représentation est construite à partir d’une stimulation visuelle entourant la région de la tache aveugle ou du scotome. L’une des questions est donc de déterminer la nature du processus de remplissage. Les expériences qui seront présentées dans cette partie suggèrent contrairement à Dennett (1991) l’existence d’un remplissage neuronal. Ces arguments sont principalement basés sur des données empiriques et non pas purement théoriques.

L’explication neuronale du processus de remplissage est basée sur l’existence des connexions horizontales « long-range » entre les neurones (Gilbert, 1996). Ces connexions ont été mises en évidence chez le chat (Lund, Yoshioka & Levitt, 1993) et le singe (Gilbert & Wiesel, 1992). L’étendue des axones pour ce type de connexion est importante et peut aller jusqu’à 6-8 mm sur le cortex (Gilbert, Das, Ito, Kapadia & Westheimer, 1996). Dans le premier chapitre, nous avons vu que la distance entre deux hypercolonnes est de 1.5 mm, ce qui représente la distance corticale pour que deux champs récepteurs ne soient pas superposés. Par conséquent, la distance couverte par les connexions horizontales permet de relier des cellules qui sont séparées par un intervalle équivalent à la taille de plusieurs champs récepteurs. Cet état physiologique suggère que ces connexions peuvent transmettre une information depuis les contours jusqu’au centre d’une figure (DeWeerd & Spillman, 2003).

Les connexions horizontales supposent que lorsque des neurones d’une même couche sont activés, ces derniers peuvent activer ou inhiber les neurones proches spatialement. Pour illustrer cette idée, prenons l’exemple de trois neurones corticaux : A, B et C. A la suite d’un scotome, le neurone B ne reçoit plus d’afférence des couches inférieures, mais continue à recevoir celles des neurones A et C, qui sont eux activés par les couches inférieures. On peut appliquer ce raisonnement au remplissage : alors que B ne reçoit aucune projection, ce neurone transmettra la même information que A et C, et par conséquent, l’observateur n’aura aucune lacune (Spillman & Werner, 1996). La Figure 14 illustre cette notion.

Figure 14 : Les ellipses représentent les champs récepteurs des cellules corticales A, B et C. Les flèches illustrent les connexions horizontales depuis les cellules A et C en direction de la cellule B. La figure de gauche présente une condition normale d’illumination pour laquelle les connexions horizontales sont relativement faibles. La figure de droite montre une condition pour laquelle le neurone B ne reçoit plus d’activation à la suite d’une lésion de la rétine. Le neurone B est toutefois réactivé par l’intermédiaire des connexions horizontales A et C.

Les différentes parties, qui seront présentées par la suite, permettront de vérifier l’implication des connexions « long-range » pour le remplissage, mais également de déterminer son niveau de traitement (précoce ou tardif). Nous nous interrongerons ensuite sur les aspects physiologiques de ce processus pour le traitement de la surface.