2.2.3.3. La texture d’une surface est-elle envisagée différemment ?

Les effets contextuels qui influencent l’activité des neurones, dont le champ récepteur est situé sur une surface uniforme, ont également été démontrés lorsque la surface est constituée d’une texture et non pas d’une luminance uniforme (Lamme, 1995). Lamme, Rodriguez-Rodriguez et Spekreijse (1999) ont testé directement l’hypothèse selon laquelle la détection des contours est suivie par un processus de remplissage de la surface. Les stimuli étaient composés d’une figure où un carré et un fond se distinguait, sur la base de l’orientation des lignes qui formaient leur texture (un exemple est présenté à la Figure 18). Au cours de l’expérience, le carré se déplaçait verticalement afin d’être à l’intérieur, sur les bords ou à l’extérieur d’un champ récepteur (15 positions ont été enregistrées). Pour l’analyse des résultats, les auteurs ont principalement examiné les caractéristiques temporelles de l’activité des neurones, chez un singe, après la présentation du carré. Les résultats ont indiqué qu’une faible activité se produisait entre 70 et 80 msec après la stimulation pour les contours et la surface. Ensuite, entre 90 et 100 msec, la réponse obtenue pour les bords augmentait, et l’activité pour la surface était toujours la même. La réponse des neurones pour les contours du carré était maximale à partir de 115-125 msec et, c’est à partir de 150-160 msec que l’activité augmentait pour la surface. Par la suite, les variations enregistrées diminuaient lentement mais de façon uniforme, c’est-à-dire que la réponse aux contours était toujours plus importante par rapport à la surface et ce jusqu’à la fin (420-430 msec). En d’autres termes, une réponse neuronale est donnée très rapidement aussi bien pour les contours que pour la surface, et immédiatement après, une augmentation de l’activité est enregistrée pour les contours, et plus tardivement pour la surface. Les résultats sont présentés à la Figure 18. La première étape de l’activité neuronale impliquerait un traitement précoce de la surface et ce, de façon parallèle aux traitements des contours. Toutefois, pour Lamme et al. (1999), cette première étape de réponse serait générée par un traitement ascendant du CGL en direction de V1, ce qui permettrait de déterminer les réponses ultérieures. Un résultat similaire était également trouvé pour des tailles importantes (12 deg) de la figure centrale (Zipser, Lamme & Schiller, 1996). Cette dernière expérience est incompatible avec l’idée d’un processus de remplissage, puisqu’en effet, dans les expériences de Lamme et al. (Zipser et al., 1996 ; Lamme et al., 1999), les temps de réponse des neurones ne dépendent pas de la taille de l’aire centrale. En effet, le processus de remplissage implique l’idée d’une propagation progressive de l’information, si l’implication du remplissage avait été vérifié alors la réponse des neurones aurait du diminuer au fur et à mesure que le champ récepteur placé sur la surface s’éloigne du bord, ce qui n’est pas constaté. Les résultats de Zipser, Lamme et Schiller (1996) ont toutefois été controversés par Rossi, Desimone et Ungerleider (2001) qui ont observé, dans les même conditions, une diminution de l’activité des neurones lorsque le champ récepteur était positionné au centre du signal et pour des tailles importantes du signal (de 4 à 8 deg).

Figure 18 : La figure de gauche représente le type de stimulus utilisé pendant les expériences de Lamme, Rodriguez-Rodriguez et Spekreijse (1999). La figure de droite montre les résultats obtenus dans leurs expériences en fonction du temps d’enregistrement et de la position des champs récepteurs.

Les études, qui ont utilisé une surface uniforme ou une texture, indiquent que la surface est traitée dès l’aire V1. Rossi et Paradiso ont également montré que certaines cellules du CGL étaient activées par la dimension de surface. Néanmoins, pour des structures encore plus précoces, comme la rétine, ce traitement ne se retrouvait pas (Rossi & Paradiso, 1999). Par ailleurs, les résultats de Komatsu et al. (1996), de Mc Evoy et al. (1998), mais aussi de Lamme et al. (Lamme, Rodriguez-Rodriguez & Spekreijse, 1999 ; Zipser, Lamme & Schiller, 1996), concernant la taille de leur stimuli, sont en contradiction avec l’hypothèse du phénomène de remplissage.

La représentation de l’information de surface dans l’aire visuelle primaire est surprenante puisque, depuis les travaux précurseurs de Hubel et Wiesel (1962), l’aire V1 avait surtout été étudiée en terme de réponse à des contours lumineux ou colorés. En d’autres termes, on supposait que seuls les neurones dont les champ récepteurs sont situés aux frontières de la surface, peuvent être activés dans le cortex visuel. La perception de la surface serait la conséquence du codage des contours. Mais, de nombreuses expériences plus récentes (Komatsu, Kinoshita & Murakami, 1996 ; Lamme, Rodriguez-Rodriguez & Spekreijse, 1999 ; Rossi & Paradiso, 1999 ; Rossi, Rittenhouse & Paradiso, 1996) ont mis en évidence une activité neuronale dans V1 non seulement au bord d’un stimulus mais également à l’intérieur de celui-ci. Par ailleurs, l’expérience de Hung, Ramsden, Chen et Roe (2001) a permis de préciser que la luminosité d’une surface à partir des bords est essentiellement représentée dans l’aire V2. De plus, Lamme, Rodriguez-Rodriguez et Spekreijse (1999) ont mis en évidence l’existence d’un traitement hiérarchique depuis les contours vers l’intérieur de la surface. Dans cette étude, différents niveaux d’activité ont été observés dans le temps, et il est tout à fait possible que ces variations de réponse soient modulées par des processus « feed-back » provenant du cortex extra-strié. Ces connexions « feed-back » permettraient d’augmenter l’activité de V1 au cours du temps, pour des neurones dont le champ récepteur est situé à l’intérieur d’une surface (Lamme & Roelfsema, 2000 ; Lamme, Supèr & Spekreijse, 1998). Dans la continuité de cette idée, les travaux de Hung et al. (2001) permettent de compléter l’hypothèse de l’existence d’un processus « feed-back » depuis le cortex extra-strié pour le traitement de la surface à partir des contours.

Les premières études que nous avons présenté dans cette partie démontraient l’existence précoce du processus de remplissage (Fiorani et al., 1992 ; Gilbert & Wiesel, 1992). Par la suite nous avons voulu déterminer le rôle de ce mécanismes dans la perception de normale de la surface. L’ensemble des études portant sur des stimuli uniformes ou composés d’une texture ont permis d’indiquer l’importance accordée à la dimension de surface par V1. Toutefois, ces études montrent que la surface est une dimension qui est reconstruite dans une seconde étape. En effet, l’expérience de Rossi et Paradiso (1999) a montré que les cellules de la rétine n’encodaient pas cette dimension, ce qui est cohérent avec les travaux de Hubel et Wiesel (1962, 1968). Néanmoins, cette étude est à notre connaissance la seule à avoir réalisé des enregistrements de la rétine lorsqu’une surface uniforme était présentée. Par contre, ces expériences ne démontrent pas explicitement le rôle du processus de remplissage dans le traitement de la surface. Mais, cela ne veut pas dire que le remplissage ne joue pas un rôle central pour certains phénomènes tels que la tache aveugle ou les scotomes.