2.4.2.L’approche physiologique et computationnelle de Grossberg

Grossberg et Mingolla (1985) ont proposé une théorie afin d’expliquer l’extraction des contours réels et illusoires, et les interactions qui existent entre les contours et la luminosité d’une surface. Dans l’introduction de leur article, Grossberg et Mingolla (1985) précisent que leur modèle tente d’expliquer le processus de remplissage dans le cadre de la tache aveugle, des scotomes, des images stabilisées ou encore des figures à contours illusoires. Par la suite, ce modèle a pu se généraliser au traitement de la surface des formes (Grossberg, 1994). Par ailleurs, la première version du modèle est limitée à une représentation monoculaire qui conduit à une perception en 2D. La présentation du modèle de Grossberg décrite dans cette section se centre essentiellement sur des aspects physiologiques.

La théorie de Grossberg et Mingolla (1985) suppose l’existence de deux systèmes distincts dont le traitement s’effectue en parallèle. Ces deux systèmes sont appelés le « Boundary Contour System » (ou BCS) et le « Feature Contour System » (ou FCS). Le BCS génère les contours (réels ou illusoires), et le FCS induit un processus de remplissage. Pour Grossberg et Mingolla (1985), les contours (BCS) ne produisent pas un percept visible à l’œil humain, ils deviennent seulement perceptibles à partir du moment où ils restreignent le remplissage. Dans ce sens, tous les contours sont invisibles et la visibilité d’une forme est une propriété du remplissage de la surface (FCS).

Le BCS est construit à partir des champs récepteurs, et est donc sensible à l’orientation et au contraste mais pas à la direction 14 du contraste. Ce premier niveau de traitement permet d’estimer la configuration globale des éléments d’une scène à travers deux interactions basées sur la position spatiale des champs récepteurs, soir des CR proches ou ou « short-range interaction », soit des CR plus éloignés ou « long-range interaction ». La première s’explique par l’activation des cellules par la présentation d’une double barre de type noir/blanc d’orientation fixe, qui va aboutir à inhiber les cellules qui codent la même orientation et qui sont proches. La seconde interaction se produit sur une distance plus importante. Cette interaction se traduit par une coopération entre les cellules qui répondent à la même orientation. Pour Grossberg et Mingolla (1985), ce dernier processus permettrait d’expliquer la formation des contours réels et illusoires (en particulier le carré de Kanisza).

Le FCS traite les contrastes ainsi que la direction des contrastes d’une forme, et l’orientation des contrastes n’est pas traitée par ce système. La sensibilité à la direction du contraste détermine la couleur qui est à l’intérieur ou à l’extérieur d’une forme. Le BCS active un processus de complétion de contours, et le FCS permet la propagation du mécanisme de remplissage. Grossberg et Mingolla (1985) ont émis l’hypothèse selon laquelle le mécanisme de remplissage se produisait au sein d’un syncitium de cellules. Par syncitium de cellules, Grossberg et Mingolla (1985) supposaient que les cellules étaient connectées entre elles dans des compartiments, ce qui permettait aux cellules contiguës de transmettre rapidement l’information entre les membranes. Le BCS a également une seconde fonction qui consiste à limiter la diffusion du remplissage aux contours de la forme. Ainsi, l’extraction des contours et le processus de remplissage permettent de finaliser un percept final.

Grossberg et Mingolla (1985) ont émis des prédictions sur la localisation physiologique de ces deux systèmes, et une mise à jour de ces hypothèses a ensuite été réalisée par Grossberg, Mingolla et Ross (1997) ainsi que Grossberg (2000). Les contours seraient élaborés dans une voie CGL-Blob- Inter bande, alors que la surface serait formée à partir de la voie : CGL-Interblob-Bande fine. Les projections, qui sont faites dans les régions blob et inter blob de V1, proviennent de la voie parvocellulaire du CGL. Par ailleurs, la voie magnocellulaire serait impliquée dans le traitement des contours en mouvement (Grossberg, 1994).

Grossberg (1994) a par la suite étendu sa théorie à la vision 3D, c’est le modèle FACADE (« form and color and depth »). Pour obtenir une perception en 3D, Grossberg (1994) prend en compte la vision binoculaire. L’objectif est de mettre en lien les traitements BCS-FCS obtenus de façon monoculaire pour parvenir une représentation 3D. Dans son modèle, une première représentation est déterminée par le traitement BCS monoculaire, et par la suite, une interaction est réalisée entre les deux représentations BCS pour aboutir une séparation binoculaire de la scène. La représentation BCS binoculaire interagit avec le domaine de remplissage monoculaire (« filling in domain » ou FIDO) et est obtenue par les deux systèmes FCS. Par la suite, la représentation 3D du modèle FACADE est déterminée par l’interaction entre les deux domaines de remplissage et la représentation binoculaire du BCS. D’un point de vue physiologique, l’interaction finale se produirait dans l’aire V4. Cette région jouerait un rôle clé dans la séparation figure-fond, mais aussi dans la reconnaissance d’objets.

Des données empiriques (Dresp & Grossberg, 1997 ; 1999) viennent étayer le modèle portant sur les contours illusoires de Grossberg et Mingolla (1985). Toutefois, l’expérience de Mendola, Dale, Fischl, Liu et Tootell (1999) a démontré que des aires visuelles de haut niveau étaient fortement impliquées dans le traitement de contours illusoires. Cette étude ne remet pas en cause ce modèle, mais la relation entre les aires visuelles et les différentes étapes de traitement du modèle. Ainsi le modèle de Grossberg et Mingolla (1985) doit tenir compte de ces données, et notamment par rapport aux hypothèses physiologiques que Grossberg (2000) a émis en fonction du modèle FACADE. Dans le chapitre précédent, nous avons vu que l’aspect temporel était un facteur important dans l’intégration des contours (Beaudot, 2002 ; Hess, Beaudot & Mullen, 2001), or, le modèle de Grossberg (1994) mais aussi celui de Marr (1982) ne tiennent pas compte de cet élément.

Notes
14.

La direction du contraste est définie comme le changement de polarité du contraste : noir/blanc vs. blanc/noir.