3.2.3. Le modèle de masquage précoce de Breitmeyer

Nous présenterons dans cette partie une approche théorique qui se fonde seulement sur des mécanismes précoces pour expliquer le phénomène de masquage. Ce modèle a été proposé par Breitmeyer (1984) et a été complété récemment par Breitmeyer et Ogmen (2000) ; ces auteurs ont montré comment leur modèle précoce pouvait rendre compte de tous les effets de masquage, même ceux supposés comme plus tardifs..

L’hypothèse de départ suppose que deux canaux de traitement, avec des propriétés différentes, permettent d’analyser visuellement une image, ce sont les canaux toniques et phasiques (Legge, 1978). Ces deux canaux ont par la suite été intégrés dans une théorie du masquage visuel par Breitmeyer et Ganz (1976) : la théorie “ transient-sustained ”. Ces deux canaux de traitements se fondent sur l’existence en physiologie de cellules du même nom (Gouras, 1968). Gouras (1968) avait enregistré la réponse des cellules ganglionnaires pour différents niveaux de luminance, et avait obtenu deux types de réponse différentes (tonique et phasique). Toutefois, des études ultérieures ont établi que les cellules phasiques correspondaient aux cellules en parasol, qui se projettent sur la couche M du CGL, et les cellules toniques correspondaient aux cellules naines, qui se projettent dans la couche P du CGL (Kaplan, 2003).

Comme cela a été présenté au début, les canaux toniques (“ sustained ”) sont impliqués dans un traitement lent de l’intégration des caractéristiques de l’objet comme la couleur, les contours et les détails d’une figure. Les canaux phasiques (“ transient ”) sont impliqués dans une intégration rapide des éléments de l’objet, dans un traitement global mais aussi dans la localisation spatiale d’un stimulus. La présentation de tout stimulus engendre une activité du canal phasique puis du canal tonique. Breitmeyer (1984) suppose que trois mécanismes de masquages sont nécessaires pour rendre compte des différentes perturbations engendrées par un masque : une interaction intercanal (inhibition) et deux interactions intracanal (inhibition et intégration). L’interaction la plus efficace est l’inhibition intercanal selon laquelle les canaux phasiques inhibent les canaux toniques (et inversement). Cette interaction s’effectue principalement lorsque le masque et la cible ne sont pas présentés simultanément à cause des différentes propriétés temporelles des canaux. Une autre interaction, la plus précoce, correspond à l’intégration intracanal qui est la compétition des activités de la cible et du masque pour les mêmes canaux de traitement (intégration des informations phasiques de la cible et du masque ou intégration des informations toniques des deux stimuli). Enfin, l’inhibition intracanal est le troisième mécanisme selon lequel l’activité tonique (ou phasique) de la cible est inhibée par l’activité tonique (ou phasique du masque), par exemple quand la cible active le centre d’un champ récepteur et le masque en active le pourtour, ce qui annule la réponse du canal.

Les interactions intracanal sont maximisées pour des SOA courts. Par contre, l’inhibition intercanal ne peut être activé uniquement lorsqu’un délai sépare les deux stimuli. Si le masque précède la cible, alors le masquage est faible car l’activité tonique du masque est inhibée par l’activité phasique de la cible. En revanche, si le masque succède à la cible alors l’activité tonique de la cible est inhibée par l’activité phasique du masque. Ces interactions permettent de rendre compte de l’ensemble des effets de masquage proactif et rétroactif (Breitmeyer (1984).

Suite aux avancées des connaissances dans le domaine physiologique, ce modèle a été revisité par Breitmeyer et Ogmen (2000). La différence essentielle réside dans le fait que cette approche tient compte de l’existence des connexions horizontales et “ feedback ” du système visuel. Ces modifications sont dérivées du modèle de Ogmen (1993). L’objectif du modèle de Ogmen (1993) concernait l’intégration des contours par le système visuel. Ainsi, l’intégration des contours serait réalisée par l’antagonisme centre/pourtour des cellules du canal tonique. Les contours seraient ensuite affinés par des connexions feedback qui modifieraient l’information en agissant sur le CGL ou le cortex visuel. Si un changement survient dans une scène visuelle, alors il est possible les variations ne soit pas prises en compte à cause de la persistance du “ feedback ”. Mais le système phasique (sensible au mouvement et aux variations soudaines dans le champ visuel) détecte ces modifications et réinitialise le système tonique par le biais de connexions latérales inhibitrices.