3.2.4. Rôle de l’attention dans le paradigme de masquage

Cette partie a pour objectif de présenter un modèle plus tardif de masquage qui remet en question l’intervention de processus précoces. L’implication de mécanisme attentionnel dans le masquage visuel a été étudié récemment à l’aide du paradigme RSVP (“ Rapid Serial Visual presentation ”). L’utilisation de ce paradigme a permis à Brehaut, Enns et Di Lollo (1999) de faire le lien entre les aspects temporels de l’attention visuelle et le paradigme de masquage. Une série de chiffres était présentée, parmi cette série deux lettres étaient insérées et la tâche de l’observateur était d’identifier les deux lettres. Les résultats indiquaient une identification importante de la première lettre mais pas de la deuxième quand elle suivait la première de trop près. Pour Brehaut et al. (1999), ce résultat s’explique par la perturbation de la seconde lettre par la première. Cette perturbation était maximale pour un intervalle de 300 msec entre les deux lettres, et minimale à 100 ou 700 msec, une courbe en “ U ” est ainsi obtenue. Ainsi, la seconde cible n’a pas pu être traitée par l’observateur puisque ses ressources attentionnelles étaient portées sur la première cible. Ce phénomène est appelé la cécité attentionnelle (“ attentional blink ”). Si la cible est masquée par un masque simultané, alors le déficit attentionnel caractérisé par la courbe en “ U ” ne se produit pas (Enns et Di Lollo, 2000). Dans ce cas, l’identification de la seconde cible est répartie de façon égale dans le temps, les performances ne sont plus influencées par l’intervalle temporel séparant les deux stimuli.

Enns et Di Lollo (2000) ont proposé une nouvelle situation de masquage qui est censée isoler les composantes attentionnelles du masque. Une matrice composée de 16 anneaux incomplets est présentée à l’observateur. La partie manquante de l’anneau a 4 positions différentes : à droite, à gauche, en haut ou en bas. L’un des anneaux (la cible) était entouré de 4 points, les autres anneaux étant alors des distracteurs. Ces 4 points restaient à l’écran après la présentation de la matrice. La tâche de l’observateur est de préciser la localisation manquante de l’anneau (à droite, à gauche, en bas ou en haut). Les résultats indiquaient que la persistance à l’écran des 4 points provoquait un effet de masquage. Par ailleurs, aucun effet de masquage n’était observé lorsque les distracteurs n’étaient pas présentés avec la cible. L’utilisation de ce nouveau paradigme indique que des conditions expérimentales bien particulières sont requises pour obtenir les effets de masquage. Ces résultats indiquent que pour obtenir ces effets de masquage l’attention de l’observateur doit être diffuse et non pas focalisée.

Enns et Di Lollo (2000) ont proposé un modèle pour expliquer ce type de phénomène. Dans ce modèle, deux niveaux sont activés : l’input (I) et le pattern (P). De plus, les informations du niveau pattern sont retranscrites au niveau de l’espace de travail (W), ce niveau permet une comparaison directe entre l’input et l’information du niveau pattern.

Le stimulus est reconnu au niveau pattern si les informations de l’input et de l’espace de travail sont identiques. Ainsi, quand la cible et le masque sont présentés simultanément, le niveau de l’input et du pattern sont transposés dans l’espace de travail. Dans l’expérience d’Enns et Di Lollo (2000) lorsque la cible disparaît, seuls les 4 points persistent. Par conséquent, une incompatibilité se produit entre l’information de l’espace de travail (masque et cible) et le niveau de l’input (masque seul). Le masque seul active l’ensemble du système, et du fait de sa persistance, cette information est la seule traitée. La cible n’a pas pu être traitée puisqu’elle a été remplacée par le masque, dans ce cas, seul le masque est perçu. Ce modèle est présenté dans la Figure 32.

Figure 32 : Modèle de Enns et Di Lollo (2000). Les informations du niveau pattern (P) sont transmises dans un espace de travail (W), ce qui permet une comparaison (C) avec l’input (I). Les informations des niveaux I et W doivent être identiques pour être traitées.

Ce n’est que très récemment que les modèles sur le masquage (Breitmeyer & Ogmen, 2000 ; Enns & Di Lollo, 2000) ont inclus des processus feedback. D’un point de vue physiologique, il a été montré que l’activité neuronale de V1 est réduite dans un paradigme de masquage (Macknik & Livingstone, 1998). Une étude de Lamme, Zipser et Spekreijse (2002) a été réalisé afin de corroborer l’hypothèse de processus feedback dans le paradigme de masquage. Lamme et al. (2002) ont utilisé les mêmes stimuli que dans leurs études précédentes (Lamme, 1995 ; Lamme, Rodriguez-Rodriguez & Spekreijse, 1999 ; Zipser, Lamme & Schiller, 1996), mais ici une condition de masquage rétroactif est ajoutée dans laquelle le masque consiste en une texture uniforme à la suite de la présentation de la cible (un exemple est présentée à la Figure 18). Les résultats montrent que la réponse neuronale est supprimée pour un SOA correspondant à la suppression de la cible selon des données psychophysiques. Pour Lamme et al. (2002), la réponse neuronale de la cible dépend des processus feedback depuis les aires extra-striées (Hung, Ramsden, Chen, & Roe, 2001 ; Lamme & Roelfsema, 2000 ; Lamme, Supèr & Spekreijse, 1998), par conséquent, il est tout à fait possible que le masquage interrompe les interactions entre V1 et les aires de plus haut niveau.

Nous avons présenté une revue de la littérature dans cette partie en comparant deux modèles de masquage : un modèle précoce (Breitmeyer et Ogmen, 2000) et un modèle basé sur une situation de masquage attentionnel qui isole les composantes les plus tardives du masquage (Enns & Di Lollo, 2000). Les expériences que nous avons présentées dans la partie expérimentale et celles de la thèse se positionnent à un niveau précoce pour lequel le niveau d’attention du sujet n’est pas manipulé. Par conséquent, nous nous réfèrerons principalement au masquage précoce fondé sur trois mécanismes inter et intracanaux décrit par Breitmeyer (1984) et par Breitmeyer et Ogmen (2000).