3.3.1. Description du paradigme

Cette nouvelle méthode permet d’estimer le prototype d’un observateur en mesurant l’influence relative de chaque pixel d’un bruit externe sur les réponses de l’observateur. L’image qui montre l’influence de chaque pixel du bruit est appelé l’image de classification, elle permet ainsi de déterminer les éléments d’un stimulus qui sont utilisés pour prendre une décision dans une tâche donnée. L’avantage de cette nouvelle démarche est de pouvoir obtenir visuellement une représentation de ce prototype.

Cette technique a tout d’abord été utilisée dans le domaine de l'audition (Ahumada & Lovell, 1970 ; Ahumada, Marken & Sandusky, 1975 ; Sandusky & Ahumada, 1970), puis récemment appliquée à la vision (Ahumada, 1996 ; Beard & Ahumada, 1997 ; Gold, Murray, Bennett, & Sekuler, 2000 ; Thomas & Knoblauch, 1998 ; Watson, 1998 ; Watson & Rosenholtz, 1997). Le principe est le suivant. Au cours de l’expérience, on présente aléatoirement à l’observateur soit un bruit seul, soit un signal de faible intensité en même temps que le bruit. En vision, un bruit est une variation aléatoire des caractéristiques du signal. Un tirage aléatoire du bruit est effectué à chaque essai. Cette méthode est radicalement différente des techniques psychophysiques traditionnelles puisque les variables ne sont pas choisies au départ, mais sont au contraire totalement aléatoires pour chaque essai. Dans les expériences de vision spatiale, le bruit qui est utilisé est constitué de petit carré dont la luminance varie aléatoirement.

La tâche est par exemple de détecter le signal (présent/absent). De la même façon que pour la TDS, il existe quatre types de réponses possibles : une détection correcte (réponse correcte « présent »), une fausse alarme (réponse « présent » alors que seul le bruit était présenté), une omission (réponse « absent » alors que le signal était présent) ou un rejet correct (réponse correcte « absent »). Nous avons pris l’exemple d’une tâche de détection, mais ce paradigme peut aussi bien être utilisé dans une tâche de discrimination ou tout autre tâche ayant un nombre fini d’alternative.

Les caractéristiques du signal sont choisies pour le rendre difficilement visible, et il est présenté dans un bruit. Par conséquent, la probabilité de répondre « détecté» est plus importante lorsque les indices visuels présents dans le bruit correspondent à ceux utilisés par l'observateur pour traiter le signal.

Une fois que les données sont récoltées, nous allons déterminer comment la distribution du bruit a influencé la réponse de l’observateur tout au long des essais. Ceci est réalisé par la corrélation entre les perturbations aléatoires et les réponses de l’observateur à chaque essai. Pour analyser les indices du bruit qui ont influencé l’observateur dans sa réponse, une première étape consiste à trier les différents bruits à chaque essai en fonction des quatre possibilités de réponses. La seconde étape est de moyenner les différents bruits pixel par pixel selon les quatre possibilités de réponses. Ainsi, les moyennes des bruits présentés aux essais ayant engendrés les deux types de réponse « présent » (détection correcte et fausse alarme) contiennent les indices visuels du bruit qui sont corrélés avec la stratégie de classification de l'observateur. Dans une dernière étape, les moyennes des bruits ayant entraîné la réponse « absent » (omission et rejet correct) donneront la partie qui est anti-corrélée. En combinant ces moyennes (les catégories anti-corrélées recevant un poids négatif), on obtient une image qui exprime l’influence de chaque pixel sur la réponse de l’observateur. En d’autres termes, ces pixels sont considérés comme des indices visuels utilisés par l’observateur pour traiter le signal. Un exemple du traitement des données de cette nouvelle technique est présentée à la Figure 33.

C’est l'image de classification perceptive, révélatrice de la façon dont l'observateur a pondéré ou classifié les informations du stimulus pour prendre sa décision. En effet, il s’agit d’une estimation des indices du signal qui sont utilisés par l’observateur pour prendre sa décision.

Figure 33 : Exemple du déroulement d’une expérience utilisant la technique de l’image de classification. La cible est ici un carré présent dans la moittié des essais, ce signal est alors superposé à une variation aléatoire. L’observateur doit alors détecter la présence ou non de la cible. Pendant le traitement, les bruits sont classés en fonction de la catégorie de réponse. L’image de classification est ensuite obtenue par la soustraction entre la moyenne des bruits ayant engendré une réponse de type présent et absent.

La question abordée avec ce paradigme est très nouvelle : l’intérêt ne se porte pas sur le signal, mais au contraire sur le bruit dans lequel le signal est présenté, puisque la réponse du sujet n’est pas seulement influencée par le signal lui-même mais est aussi déterminée par le bruit dans lequel il apparaît. Ce bruit, qui peut représenter les perturbations de l’environnement ou les perturbations du système lui-même, donne des indications sur les indices pertinents qui engendrent un percept. Pourvu qu’un nombre suffisant d’essais expérimentaux permette de faire émerger, des variations aléatoires de la structure du bruit, les indices ayant provoqués de façon systématique l’une ou l’autre réponse, on peut déterminer quelles dimensions du signal sont pertinentes pour la réponse.

L’utilisation de ce paradigme est extrêmement pertinente puisqu’il nous permet de déterminer visuellement le prototype utilisé par l’observateur. Cette nouvelle démarche est donc liée à la TDS par l’intermédiaire du critère de décision. En effet, nous avons vu que la TDS permettait d’évaluer le critère que l’observateur se fixe tout au long des essais. L’image de classification que nous obtenons est en quelque sorte une estimation visuelle de la distribution spatiale ou temporelle du critère de l’observateur.