3.3.2.2.Peut on utiliser une variable qui varie aléatoirement dans le temps ?

En dehors des expériences en vision spatiale, notre objectif est de montrer qu’une variable aléatoire temporelle permet également de faire ressortir ce que l’observateur utilise du signal. Thomas et Knoblauch (1998) ont étudié la détection de la variation temporelle d’un patch lumineux qui variait dans le temps de façon gaussienne ( = 160 msec ; durée = 640 msec) et qui était présenté dans un bruit dont la variation de luminance était aléatoire dans le temps. Les images de classifications étaient bien inscrites dans une courbe gaussienne, mais leur largeur (entre 160 et 220 msec) différait de celle de la stimulation réellement présentée, ce qui indiquait une incertitude temporelle des observateurs sur la largeur du signal. Par ailleurs, le maximum de la fonction gaussienne dans l’image de classification était systématiquement plus précoce (d’environ 100 msec) que le maximum de la gaussienne du signal. Un résultat similaire a été trouvé lorsque le signal gaussien était inconnu de l’observateur (Knoblauch & Yssaad-Fesselier, 2000). Ces expériences permettent de généraliser le principe des images de classification : nous pouvons déterminer un prototype à partir d’une variable aléatoire aussi bien spatiale que temporelle.

Neri et Heeger (2002) ont modifié la technique de l’image de classification afin d’utiliser une variable aléatoire spatiale le long d’un continuum temporel. L’objectif était de montrer l’intervention de mécanismes différents pour la détection et l’identification. Dans leur expérience une séquence de neuf bruits apparaissait les uns à la suite des autres (chaque image étant présenté durant 27 ms). Chaque bruit est composé de onze barres adjacentes. Sur la moitié des essais, une barre lumineuse (la cible) apparaissait au bout de la cinquième séquence (au milieu), l’observateur indiquait alors si la barre était présente ou non. Une séquence expérimentale est présentée à la Figure 35.

Figure 35 : La cible était une barre lumineuse présenté au milieu de la séquence (Figure de gauche). Le bruit était constitué de plusieurs barres dont la luminance était aléatoire (Figure du centre). La Figure de droite indique l’image qui était conservée à la fin de chaque essai. Pour chacune des figures x représente la taille et t le temps (l’illustration est issue de Neri & Heeger, 2002).

Les résultats étaient ensuite traités de la même façon que pour une image de classification, c’est-à-dire que les bruits étaient classés selon le type de réponse possible, et l’image de classification était obtenue par la soustraction entre la moyenne des bruits ayant engendrés le type de réponse signal présent et absent. Il est important de noter que la position temporelle de chaque bruit était conservée pendant le calcul de l’image de classification, ce qui permettait d’apprécier la stratégie de l’observateur au cours d’un essai. Les images indiquaient un pic positif à l’emplacement de la cible, mais également un pourtour négatif. Par ailleurs, une zone apparaissait dans l’image de classification qui précédait l’apparition du signal. Le calcul de la variance montrait un pic positif qui précédait de 100 ms la présentation de la cible. Cette expérience permettait de montrer que la détection de cible est basée sur un contraste entre le stimulus et la région adjacente. De plus, le résultat issu de la variance semblerait indiquer l’existence d’une étape préalable pour la détection d’une cible. Dans une seconde expérience, Neri et Heeger (2002) ont testé directement l’hypothèse de deux étapes pour la détection et la discrimination. La cible apparaissait comme plus claire ou plus foncée, et à droite ou à gauche d’un point de fixation. Pour cette expérience, une séquence était composé de 22 barres (au lieu de onze dans la première) et la cible était placé au milieu des onze premières (ou dernière) barres. Les observateurs déterminaient le niveau de luminance (claire ou sombre) et la position (droite ou gauche) de la cible pour chaque essai. La distribution du bruit était calculée séparément pour la tâche de détection et d’identification. Pour la tâche de détection, la variance indiquait un pic positif qui précédait de 100 msec la présentation de la cible, mais rien n’apparaissait pour la moyenne de l’image. Pour la tâche d’identification, l’image de classification montrait un pic positif au moment ou la cible apparaissait dans le temps, et qui dépendait du contraste avec la région du pourtour. Par ailleurs, aucun résultat n’était observé à partir du calcul de la variance. Ces résultats mettent en évidence l’existence de deux étapes de traitement : une étape de détection où seule la position du contraste est traitée, puis d’une étape d’identification dans laquelle la position de l’image sélectionnée permet de déterminer plus précisément la cible (claire ou sombre).

Dans cette dernière partie théorique, nous avons présenté deux techniques utilisant la notion de bruit, mais aussi une technique classique : la masquage. Au premier abord ce dernier paradigme s’oppose d’un point de vue théorique au paradigme de classification perceptive. En effet, l’un suppose que le bruit influence positivement la décision de l’observateur et le second postule au contraire que le bruit perturbe la perception de la cible. La question que l’on peut alors se poser est de savoir si ces deux paradigmes sont aussi contradictoires qu’il ne le paraisse. Nous tenterons de répondre à cette question au cours de la conclusion générale.