1.3.4. Discussion

L’objectif de la première expérience était de déterminer les éléments utilisés par l’observateur au cours d’une tâche de détection grâce à la technique de l’image de classification perceptive. Cette expérience a mis en évidence deux résultats. Le premier résultat montrait une zone centrale claire pour les quatre observateurs. Bien que le signal soit un carré, les images de classification présentaient une zone centrale arrondie. Ce résultat est conforme à notre hypothèse pour laquelle l’information de surface serait la seule utilisée par l’observateur. Il est donc tout à fait possible d’interpréter nos données de la façon suivante : la surface est une information précoce et très importante pour le traitement visuel.

La partie théorique suggère que cette dernière interprétation est contradictoire avec l’hypothèse dominante de la littérature et conduit à réviser la conception classique du traitement de la surface par un processus tardif. En effet, la notion de champ récepteur classique développée dans le modèle de Hubel et Wiesel (1962, 1968) laissait à penser que les bords d’un stimulus stimulaient fortement les neurones du système visuel. La surface serait ensuite reconstruite à partir de l’information de bord. Mais, la présence de la surface dans l’image de classification ne peut pas être une reconstruction puisqu’elle implique que, à chaque essai, les cellules qui codaient les bords ou la luminance de la surface dans la zone centrale véhiculaient une information qui correspondait à ce que le système visuel attendait du signal.

Par ailleurs, nos résultats ne démontrent pas l’implication du processus de remplissage pour le traitement de la surface. En effet, le processus de remplissage est déterminé, par définition, à partir de l’information des bords, et notre expérience indique que les observateurs utilisent principalement le centre du stimulus pour répondre, sans que l’information de contour n’apparaissent dans les images. Nos résultats ne remettent pas en cause l’existence du processus de remplissage qui a été démontré dans de nombreux phénomènes comme la tache aveugle, les scotomes ou les images stabilisées (voir partie théorique). Toutefois, notre expérience indique que le processus de remplissage n’est pas une condition nécessaire pour traiter l’information de surface.

Ce premier résultat était identique pour les quatre observateurs, mais l’ajustement de la fonction DoG a permis de montrer que la taille de la zone centrale était différente entre les observateurs. Ces différences indiqueraient que les observateurs utilisent différents prototypes pour la tâche de détection ou qu’ils n’arrivent pas à localiser correctement la position du signal. Cette dernière explication est probablement due aux mouvements oculaires ou à des erreurs de fixation.

Le deuxième résultat est la zone sombre entourant cette zone claire. Ceci indique que la réponse « signal présent » est privilégiée lorsque le pourtour immédiat de la zone où le signal était attendu était sombre. L’ajustement de la fonction DoG a permis de montrer que le pourtour était 2-4 fois plus large que la zone centrale et contribuait faiblement à la détection (3-8 % de l’amplitude de la zone centrale). Ainsi, la région qui entoure le centre contribuait, de façon complémentaire, à la détection du carré. Il apparaît donc que le système visuel traite une information relative, plus qu’une information absolue. Tout se passe comme si la décision, concernant la détection, reposait sur la différence de luminance entre la région du centre et la région qui l’entoure. Cette faible influence du pourtour a déjà été démontrée dans des expériences utilisant l’image de classification pour la détection d’une fonction Gaussienne (Abbey & Eckstein, 2002 ; Solomon, 2002).La faible participation d’un pourtour sombre pourrait révéler une tendance à intégrer l’information de contour du stimulus dans la détection. En effet, la présence du pourtour sombre reflète un contraste entre deux régions qui est par définition un contour.

De plus, la taille importante du pourtour indiquerait que l’étape de décision où l’observateur compare le prototype et le signal ne serait pas d’ordre pré-cortical, puisque cela implique une intégration sur plusieurs degrés d’angle visuel. Le traitement cortical nécessite une intégration de l’information de surface dans une étape préalable. De nombreuses études (MacEvoy, Kim & Paradiso, 1998 ; Rossi & Paradiso, 1999 ; Rossi, Rittenhouse & Paradiso, 1996) indiquent que les neurones de V1 sont sensibles à la luminosité d’une surface, mais l’origine de cette réponse est incertaine. En effet, les neurones sont-ils activés à partir des bords de la stimulation ou à partir des caractéristiques de la surface. Cette question n’a pas encore trouvé de réponse satisfaisante à l’heure actuelle. Toutefois, si les neurones sont activés par les contours du signal, un mécanisme de remplissage permettrait de traiter l’information de surface par l’intermédiaire des connexions horizontales long-range et indépendamment de la surface réelle. Ce mécanisme ne permet pas d’expliquer notre résultat principal puisque l’information sur laquelle l’observateur base sa réponse est essentiellement située au centre du carré. Ce résultat pourrait être expliquée par le fait que les neurones corticaux répondent à une surface uniforme, mais pas à la dimension de contours qui induit un processus de remplissage.

Les résultats qui ont été présentés ne remettent pas en cause le fait que l’information de contour soit essentielle dans d’autres contextes, ou encore que le mécanisme de remplissage est réalisé par le système visuel. En effet, le processus de remplissage a été démontré de façon comportementale (Paradiso & Hahn, 1996 ; Paradiso & Nakayama, 1991 ; Ramachandran & Gregory, 1991) et physiologique (DeWeerd, Gattass, Desimone & Ungerleider, 1995). De même, les contours sont importants dans certains contextes comme les contours illusoires (Gold, Murray, Bennett & Sekuler, 2000) ou encore pour une tâche de discrimination (Neri & Heeger, 2002). Notre résultat montre par contre que l’information de surface dans le stimulus est aussi transmise à travers le système visuel, puisque cette dimension est utilisée par l’observateur pour donner sa réponse de détection. Ainsi, un mécanisme « top-down » comme le remplissage n’est pas nécessaire pour expliquer comment la surface est perçue à l’intérieur des contours (processus « bottom-up »), puisque la surface est codée par les neurones (MacEvoy, Kim & Paradiso, 1998 Rossi & Paradiso, 1999 ; Rossi, Rittenhouse & Paradiso, 1996).

Par ailleurs, les images, pour lesquelles les pixels significatifs sont exagérés, indiquaient la présence de zones significatives dans l’extrême pourtour de l’image. Toutefois, ce traitement est assez grossier puisque ces pixels sont d’amplitude trop faibles pour être visibles dans l’image statistique. Néanmoins, il est tout à fait possible que les observateurs prennent en considération le champ visuel dans son entier pour donner leur réponse de détection.