Les colonisations allemandes et russes se sont suivies sans se ressembler. Il y a toujours eu un contact entre les deux pays. Les diplomates, les hommes d’Église et les commerçants sont à l’origine de cette évolution. Le rappel de faits historiques certes connus auquel nous allons nous livrer est nécessaire afin de poser les bases de notre étude.
Bien avant la colonisation par les fermiers allemands, il y avait déjà des Allemands en Russie. En effet, cela faisait longtemps que l’on notait des immigrations de paysans allemands en Russie. Déjà au Moyen-Âge, des commerçants allemands s’établirent à Novgorod, au nord de la Russie, abandonnant leur patrie. Déjà au XVe siècle, Ivan III (1462-1505) souhaitait convaincre les spécialistes de tous les domaines professionnels de s’installer dans son Empire. En effet, sous le règne d’Ivan le Terrible (1533–1584), on fit appel à des savants, des artisans, des entrepreneurs, des architectes, des médecins, des officiers, des administrateurs et autres. À Moscou apparut une ville (Vorstadt ou Deutsche Siedlung) allemande, appelé niemetskaïa sloboda 54 , dans laquelle Pierre le Grand (1682-1725) s’arrêtait volontiers étant enfant. L’appel de l’Impératrice Catherine II (1762-1796) 55 fut le premier mais pas le dernier. Il y eut ceux de Paul I (1796-1801) et d’Alexandre I (1801-1825).
L’implantation allemande, notamment au XVIIIe siècle, s’est par conséquent faite rapidement en Russie. À l’époque, préoccupés par les guerres civiles, les querelles religieuses et les questions d’unité nationale, les Allemands, sauf sous les règnes de Frédéric I et de Catherine II, s’intéressaient peu au monde extérieur, sinon à titre individuel, privé pourrait-on dire. Il semble impossible d’esquisser avec précision le destin tragique des Allemands de la Volga à compter de 1941 sans devoir revenir un minimum sur leurs origines, leur histoire avant 1941. Cela constituera la pierre angulaire de ce qui suit.
C. HIGOUNET, Les Allemands en Europe centrale et orientale au Moyen Âge, Paris, 1989, p. 297.
Ce nom est en effet apparu en 1570 sous le règne de Ivan IV lorsque, à environ un kilomètre de la banlieue est de Moscou, des ressortissants de plusieurs pays européens de l’ouest se sont installés en une colonie concentrée sur deux petites rues uniquement. Le qualificatif de niemtsi signifiant « les muets », appliqué alors à tout émigré en Russie (même non-Allemand) c’est-à-dire à tous ceux qui ne maîtrisaient pas la langue russe et donc ne parlaient pas, était un jeu de mots avec le terme niemiet signifiant allemand. De plus, le terme niemtsi exprimait la haine des Russes envers les Allemands et devint rapidement synonyme de « fasciste ». La petite colonie fut donc appelée niemetskaïa sloboda . Elle fut détruite en 1580 et reconstruite à la fin du XVIe siècle. Elle brûla en 1610. Sous la dynastie des Romanov, les émigrés eurent le droit de s’installer dans toute la capitale. En 1652, le tsar Alexeï autorisa la création de la nouvelle colonie allemande (Neue Deutsche Siedlung, Novo niemetskaïa sloboda ) en dehors des murs de la ville. En 1682, on y comptait 18 000 habitants, majoritairement des Allemands sur une population moscovite totale de 200 000 habitants. La colonie était alors communément appelée Deutsche Vorstadt, voire simplement Sloboda, ce terme étant largement employé dans les ouvrages scientifiques et historiques.
Pour une biographie complète sur Catherine II, on pourra consulter notamment H. CARRÈRE D’ENCAUSSE, Catherine II, Fayard, Paris, 2002. Il existe aussi les ouvrages suivants sur la tsarine et sur la période dont nous venons de parler : D. BRANDES, « Die Ansiedlung von Ausländern im Zarenreich unter Katharina II., Paul I. und Alexander I. », in Jahrbücher für die Geschichte Osteuropas, Stuttgart, n° 34, 1986, pp. 161-187 et « Die Ansiedlung von Ausländergruppen an der unteren Wolga und in Neurußland unter Katharina II. : Plan und Wirklichkeit », in Rußland zur Zeit Katharinas II. Absolutismus, Aufklärung, Pragmatismus, Böhlau, Cologne, 1998, pp. 303-314. E. DONNERT, Katharina II., die Große (1729 - 1796), Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1998, 397 p. E. HÜBNER, Rußland zur Zeit Katharinas II. : Absolutismus, Aufklärung, Pragmatismus, Böhlau, Cologne, 1998, 431 p. C. SCHARF, Katharina II., Russland und Europa : Beiträge zur internationalen Forschung, von Zabern, Mayence, 2001, 607 p.