La répression (iejovchtchina) se généralisa en 1937-1938 124 . À partir de 1937, en parallèle, la Russie s’est re-nationalisée. Les droits des Allemands en Union soviétique étaient restreints petit à petit. La situation en Europe, avec l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie et la crise des Sudètes, s’est aggravée. Des signes avant-coureurs démontraient que quelque chose allait changer en U.R.S.S. par voie de conséquence.
Avec l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, une chasse effrénée aux Allemands avait donc commencé. En outre, le pacte germano-soviétique signé entre Molotov et Ribbentrop le 23 août 1939 puis le traité de non-agression soviétique-japonais qui le suivit le 15 septembre modifièrent les priorités de la politique de Staline. Tous les territoires qui furent attribués à l’U.R.S.S. par le Pacte Ribbentrop-Molotov 125 du 23 août 1939 subirent, dès leur occupation, des déportations, des liquidations soviétiques puis nazies, et de nouveau soviétiques (comme les États baltes dès juillet 1940, l’est de la Pologne dès septembre 1939 et la Bessarabie dès juillet 1940). Sans le pacte entre les deux puissances totalitaires, nazie et communiste, il n’y aurait pas eu d’occupations, de déportations et de liquidations de ces États. Les mesures de déportation et d’accusation des Allemands offrait au gouvernement la possibilité d’écarter les personnes gênantes de la scène politique. Entre 1939 et 1941 et en raison des traités de déplacements de populations signés avec l’U.R.S.S., 389 000 Allemands des pays Baltes, de Bessarabie, de Bucovine et de Pologne (Volhynie, Galicie) durent s’installer sur les terres du gouvernement. Leur choix se porta pour la plupart sur une région appelée Poznanie 126 (Wartheland, ou Warthegau, voire Reichsgau), où des fermes et des habitations furent mises à leur disposition. Ces dernières avaient appartenu aux Polonais qui avaient été expulsés. 145 000 autres Allemands furent concernés par les Traités de Roumanie (1940), de Croatie (1942) et de Bulgarie. Les premières déportations (de plusieurs dizaines de milliers de Polonais en l’occurrence) commencèrent le 17 septembre 1939, commanditées par Staline et effectuées par l’Armée rouge. Ces actions durèrent dans un premier temps jusqu’en octobre 1941. Les dissolutions des territoires et des républiques commencèrent également. Nous en parlerons plus loin au moment de la description des vagues de déportation.
À la rentrée scolaire 1938-1939, toutes les écoles, à l’exception de celles de la République des Allemands de la Volga, furent contraintes de donner des cours en russe ou en ukrainien, et en 1939, tous les districts (Landkreise) furent dissous. Les Allemands furent victimes de pillages avant le début de la guerre, et tous leurs droits, en tant que minorités, leur furent enlevés. La russification fut imposée sans aucune échappatoire possible. L’application et les rendements des Allemands soviétiques furent toutefois reconnus. Pourtant, la situation des Allemands changea bien radicalement en U.R.S.S. au début de la Seconde Guerre mondiale. L’invasion de l’U.R.S.S. par les armées de Hitler le 22 juin 1941 décupla l’espionnite stalinienne et posa très vite le problème d’un million et demi d’Allemands citoyens de l’U.R.S.S… Quoique averti de l’invasion allemande, Staline n’a pas placé l’Armée Rouge en état de défense. Sa passivité et celle du haut commandement le premier jour de la guerre entraînèrent la destruction au sol de près de 1 200 avions soviétiques, de centaines de chars et de canons, et donnèrent à la Luftwaffe la maîtrise de l’air. Près de deux millions de soldats soviétiques furent capturés en trois mois. Les armées allemandes se ruèrent sur Leningrad, dont le blocus commença le 8 septembre, sur Moscou, sur Kiev, prise le 19 septembre après une manœuvre d’encerclement imposée par Staline à ses propres troupes qui livra aux nazis près d’un million de prisonniers. Il « fallait » trouver des boucs émissaires à punir et des saboteurs à dénoncer. Les Allemands soviétiques étaient alors tout désignés pour jouer les deux rôles à la fois. Staline a commencé à expérimenter une pratique répressive meurtrière dont les effets à retardement se sont faits sentir sur plusieurs années : la déportation partielle ou totale de peuples, transférés en masse au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan ou dans les régions centrales ou orientales de la Sibérie et soumis au régime dit des « peuplements spéciaux ». En outre, la politique de collectivisation, dirigée principalement contre les koulaks (paysans riches, russes ou allemands) et la préparation de la déportation passive de peuples entiers ayant commencé et se généralisant, les taxes imposées aux paysans furent doublées. Les réquisitions 127 se multiplièrent. Les villages furent décimés par la famine et les cartes de rationnement instaurées (les paysans avaient droit à une miche de pain tous les deux jours, allemands ou russes). 350 000 Allemands de Russie mourraient de faim à l’époque.
L’attaque allemande sur l’Union soviétique en 1941 a fait se précipiter les événements. Pendant les premières semaines qui ont suivi l’éclatement de la guerre, le 22 juin 1941 (date de l’offensive allemande contre l’U.R.S.S.), les troupes soviétiques ont perdu le contrôle des territoires occidentaux. Les réfugiés et les unités militaires qui reculaient ont condamné les voies de transport, compliquant la situation des troupes soviétiques. En effet, Hitler a déclenché l’opération Barbarossa 128 , et l’Armée Rouge, désorganisée par les purges staliniennes et malgré les nombreux avertissements des espions russes à Berlin et Tokyo, est submergée. De ce fait, en septembre 1941, l’Ukraine est entièrement occupée et à l’automne, les troupes allemandes sont devant Moscou et Leningrad.
La déportation des Allemands est un des exemples de théorie appliquée dans toute son ampleur, exemple de méthode dynamique consistant à exiler des peuples entiers, et on vit alors à quel point il était plus facile et plus fructueux d’utiliser une seule et unique clé, c’est-à-dire l’appartenance nationale plutôt que de traîner des affaires judiciaires et nominatives concernant chaque individu. Seule question pour déterminer si un individu était ennemi ou non : quel est votre nom ? La consonance germanique suffisait souvent. Tout Allemand était par définition suspect et cela suffisait à justifier des actes tels que les déportations et les déplacements lointains 129 . Prenons le temps de nous arrêter sur les différentes vagues de déportation ordonnées par le gouvernement soviétique. Ces mesures sont désignées sous l’expression Grosse Säuberung soit « grande purge », notamment en raison des nombreuses exécutions 130 . Parce que cet événement a déterminé l’avenir de la minorité allemande en U.R.S.S., nous allons exposer dans quelle ampleur, quelles conditions les Allemands d’U.R.S.S. ont été déportés. Nous distinguerons trois phases de déportations 131 .
Voir ANNEXE XXIV. Il s’agit de la liste des 3 176 Allemands de Russie, nés entre 1870 et 1915, fusillés entre 1937 et 1938 à Odessa. Ce nombre de victimes pour Odessa donne une idée de l’ampleur du nombre de victimes total du régime à l’époque, dont nous parlerons plus loin.
Dit aussi pacte germano-soviétique. Traité signé à Moscou le 23 août 1939 entre l'Allemagne et l'U.R.S.S. et qui fut une des causes du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’un véritable coup de théâtre diplomatique qui scelle l’alliance, à première vue impossible, entre l’Allemagne national-socialiste et l’U.R.S.S. communiste. En réalité, Hitler et Staline ont tous deux de bonnes raisons de s’entendre et de signer ce traité : Hitler estime que l’Allemagne ne peut pas faire la guerre sur deux fronts, l’alliance avec l’U.R.S.S. doit lui permettre d’écraser rapidement la Pologne avant de reporter tous ses efforts sur l’ouest ; quant à Staline, il pense que l’Armée rouge récemment épurée n’est pas prête et il n’a pas confiance dans les démocraties occidentales, espérant ainsi tirer de l’accord de nombreux avantages (à court terme, la récupération des territoires perdus par la Russie en 1918 et à long terme, l’épuisement des pays européens dans une guerre à l’ouest dont on peut croire à l’époque qu’elle va durer). Ce n’est donc pas sans arrière-pensées que ce pacte est conclu pour dix ans. La partie officielle comportait un engagement mutuel de non-agression, valable pour dix ans : « Article Premier. Les deux Parties Contractantes s'engagent à renoncer entre elles à tout acte de violence, à tout acte d'agression et à toute attaque, que ce soit individuellement ou bien en coalition avec d'autres puissances. Article II. Si une des deux Parties Contractantes est attaquée par une tierce puissance, l'autre Partie Contractante ne devra en aucun cas aider cette tierce puissance ». Dans un protocole secret, des accords économiques étaient envisagés, notamment on prévoyait le partage de la Pologne entre les deux États, l'annexion de la Finlande, de l'Estonie, de la Lettonie et de la Bessarabie par l'U.R.S.S., celle de la Lituanie par l'Allemagne : « 1) Dans le cas d'un réarrangement territorial et politique dans les régions des États baltes (Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie), la frontière nord de la Lituanie représentera la limite des zones d'influence de l'Allemagne et de l'U.R.S.S. A cet égard, chaque Partie reconnaîtra l'intérêt de la Lituanie dans la région de Vilnius. 2) Dans le cas d'un réarrangement territorial et politique des régions appartenant à l'État polonais, les zones d'influence de l'Allemagne et de l'U.R.S.S. devront être limitées approximativement par la Narew, la Vistule et la San. […] 3) En ce qui concerne le sud-est de l'Europe, les Soviets attirent l'attention sur leur intérêt en Bessarabie. Les Allemands déclarèrent leur désintéressement politique complet dans ces régions ».
On pourra consulter le document dans son intégralité Gazette de Lausanne, n° 185 du 8 août 1946, cité dans B. KASLAS, La Lituanie et la Seconde guerre mondiale , éd. G.-P. Maisonneuve et Larose, Paris 1981, p. 92 et p. 100. Également (avec photographie des signatures sur le protocole secret) in Lettonie, en commémoration du 50ème anniversaire de la Déclaration d'Indépendance de la République de Lettonie, American Latvian Association in The United States, Washington D.C., 1968, p. 43 . Pour une étude complète du pacte, on pourra consulter Y. SANTAMARIA, 1939, le Pacte germano-soviétique, éditions Complexe, Paris, 1999 : l’auteur propose la seule synthèse récente sur cet événement fondamental dont la signification devrait être à tout le moins interrogée pour comprendre les causes de la guerre, mais aussi pour juger de la recevabilité d'une comparaison entre fascisme-nazisme et stalinisme. Pour une consultation rapide, voir http://www.letton.ch
Cf. F. FURET, Le passé d’une illusion, essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, R. Laffont, 1995, p. 365.
Durant la Seconde Guerre mondiale mais surtout entre octobre 1943 et mai 1944, environ 220 000 Allemands de Russie sont envoyés en Poznanie, les populations polonaises (principalement juives) ayant été chassées et/ou déportées. L’Allemagne nazie annexe toute la Poznanie (Gau de Wartheland), qui redevient entièrement polonaise en 1945. Les populations allemandes de Russie seront alors renvoyées en U.R.S.S. Pour une description détaillée de ces mouvements et de leurs objectifs, on pourra consulter notamment C. BÖTTGER, Lexikon der Russlanddeutschen, Berlin, 2000, pp. 18-19 et 106-107. Voir ANNEXE XXV pour un aperçu cartographié de la Poznanie.
Lors des déportations en effet, les biens de toute nature des personnes déplacées étaient confisqués. L’administration soviétique mettait à disposition des formulaires de saisie (Requirierungsscheine ou Beschlagnahmeformular) sur lesquels étaient listés et évalués les biens confisqués aux colons allemands.
Le 18 décembre 1940, Adolf Hitler donna l’ordre de préparer l’invasion de la Russie pour la mi-mai 1941. En raison de la guerre des Balkans, l’opération « Babarossa » ne put avoir lieu qu’un mois plus tard. Le 26 juin, 3,2 millions d’hommes, 3 flottes aériennes avec 3 000 avions et 17 divisions de blindés furent mis en marche. Un régiment avança sur Leningrad, un autre sur Moscou et un troisième sur Kiev. Face à ces divisions se trouvaient les généraux soviétiques Vorochilov, Tomochenko et Budionny. Le 23 juin, la Finlande se mit du côté de l’armée allemande (Cf. guerre russo-finlandaise). Le 26 juin, deux armées russes furent enfermées près de Bialystok, le 30 juin marqua la chute de Riga. En juillet et en août, les troupes allemandes franchirent le Dniepr et se rapprochèrent de Moscou. Le régiment au nord pouvait encercler Leningrad. Au nord, Mourmansk fut menacée par les troupes du général Dietl. Près de Briansk et de Viasma, 600 000 Soviétiques furent faits prisonniers dans des batailles d’encerclement (du 2 au 20 octobre). Les troupes allemandes qui se trouvaient à moins de 50 km de Moscou furent surprises par l’hiver précoce. Les armées devant Leningrad commencèrent à faire un siège qui devait durer deux ans. Les premières contre-attaques des Russes incitèrent Hitler à prendre en personne le commandement des armées à l’est.
Toutefois, il existe d’autres raisons qui ont motivé les Allemands, de leur plein gré, à quitter leurs anciennes habitations. Beaucoup craignaient les vengeances après la guerre. D’autres, parce qu’ils étaient englobés dans les zones d’occupation, ont choisi de partir. Les Allemands avaient peur du traitement qu’on pouvait leur infliger et, comme des rumeurs couraient sur les atrocités commises par les troupes soviétiques, ils choisirent de fuir loin.
Cf. C. BÖTTGER, Lexikon der Russlanddeutschen, Berlin, 2000, pp. 127-129.
Selon Dr B. PINKUS, « Die Deutschen in der Sowjetunion beim Ausbruch des Zweiten Weltkrieges », in Heimatbuch 1973/1981, Stuttgart, 1981, p. 9 et suiv.