Il nous faut faire également un bref historique de l’évolution des villages allemands au Kazakhstan avant 1945, pour une meilleure compréhension de la situation après 1945 et de son évolution. Les données qui vont suivre sont à mettre en parallèle avec celles sur la colonisation des Allemands de Russie, présentées antérieurement.
La colonisation de la steppe kazakhe a commencé avec l’incorporation de parties isolées dans l’Empire russe 210 . Jusqu’à l’abolition du servage en 1861, ce sont d’abord des colonies cosaques qui se sont établies. En 1769, le chiffre des cosaques de l’Oural approchait les 15 000 211 . En 1808, l’armée casaque sibérienne était formée de 9 950 hommes. S’ajoutèrent encore différents détenus qui avaient été bannis à jamais en Sibérie. Dès 1847, la colonisation militaire commença dans le territoire du Semiretchensk, où au cours des deux dernières décennies, vingt colonies cosaques (ou Stanitsa) avec environ 15 000 personnes furent formées. Entre 1860 et 1880, des règlements propres aux installations des fermiers furent adoptés et maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi « sur le déplacement volontaire des habitants des villages et des villes sur les terres de la Couronne » le 13 juillet 1889. Une autre borne dans l’histoire de la colonisation de cette région fut posée avec la loi du 6 juin 1904 intitulée « les directives provisoires concernant le déplacement volontaire des habitants des villages et exploitants agricoles citadins ». Les nouvelles règles devaient garantir une liberté de colonisation illimitée sans permission de l’administration locale. Le territoire des steppes et le Turkestan furent partagés en cinq rayons : Tourgaï, Ouralsk, Akmolinsk, Semipalatinsk et Syr-Darya 212 . Les compléments de loi sur l’obligation d’un changement de domicile, la réforme agricole du Premier Ministre P. A. Stolypine et le décret du 9 novembre 1906 sur le droit de circulation hors des communes ont engendré une large vague d’installations. De 1896 à 1905, le chiffre des colons atteignait 234 000 personnes dans ces quatre rayons ; ce nombre s’éleva dans la décennie suivante à 883 000 individus. Jusqu’en 1905, 579 terrains ayant une superficie de 4 553 000 déciatines 213 furent mesurés ; ils étaient destinés à l’agriculture, alors que l’on comptait d’ores et déjà 19 164 254 terrains d’une surface de 9 375 000 déciatines à cet effet.
Les premiers Allemands sont arrivés au début des premiers courants de conquête vers le Kazakhstan. C’étaient des Allemands des États baltes donc de l’étranger qui servirent de militaires, de commandants de forteresses et d’administrateurs. Certains furent déjà remarqués : les vainqueurs du Turkestan, le Général Konstantin von Kaufman, le Premier Gouverneur Général du Turkestan (période de gouvernement 1867-1882), le gouverneur général de l’ouest sibérien Gustav Christian Gasfort (1851-1861), le gouverneur général de la région des steppes, le baron Maxim Taube (1889-1901), ainsi que le Général Eugen Olton Schmit qui tint son poste de 1908 à 1915.
Des colonies allemandes furent créées en 1882 autour d’Aulie-Ata dans le territoire de Syr-Daria. C’étaient des Mennonites du gouvernement de la Tauride et de Samara qui formèrent quatre villages : Nikolaïpol, Romanovka (Koppental), Vladimirovka (Gnadental) et Andreïevka (Gnadenfeld). En 1890 fut créé Orlov (Orlovka) 214 . La première vague massive d’Allemands du territoire de la Volga vers l’Asie centrale et le Kazakhstan fut déclenchée par les mauvaises récoltes de 1889 et 1891. Pendant plusieurs années, l’exode s’est fait dans la même direction vers l’est, par Orenbourg, jusqu’à l’installation finale et définitive dans le territoire d’Akmolinsk. Avec l’arrivée de nouvelles familles paysannes, entre 1893 et 1896, sont apparus les villages de Alexandrovskoïe, Privalnoïe (Warenburg) et Novinka dans l’arrondissement d’Omsk et de Romanovka, puis Rochdestvenka dans l’arrondissement d’Akmolinsk. Les localités dans le district d’Omsk furent réunies en un volost’ : Alexandrovka. Certains Allemands de la Volga, soit 84 familles démunies, parties pour Tachkent, se sont établis à 30 km de la ville. Leur colonie reçut en l’honneur du gouverneur général du Turkestan, Constantin von Kaufmann, mort peu de temps auparavant, le nom de Konstantinovka. Le premier habitant décrit ainsi le village :
‘« Sur 23 colonies –c’était un peuple plutôt pauvre- ceux qui ne possédaient pas de terres se réunirent avec ceux qui avaient quelques biens. Ils voulaient partir vers le fleuve Amour mais ils n’ont pu atteindre qu’Orenbourg. Mais le président de la colonie nous a dit : vous êtes un peuple pauvre, où voulez-vous donc aller ? Plus loin encore ? Allez donc dans le gouvernement de Tachkent. Nous avons rejoint Kasalinsk. Beaucoup n’avaient pas les moyens de continuer, à peine de manger. Les autorités nous ont aidés à passer l’hiver à Kasalinsk et nous ont menés jusqu’à Tachkent aux frais de la couronne » 215 . ’D’après le recensement de 1897, en Asie centrale, au Kazakhstan et en Sibérie vivaient 8 870 Allemands. La plupart, soit 4 791, vivaient dans la région d’Akmolinsk. 2 878 vivaient près d’Omsk, 1 178 à Akmolinsk. Dans la région de Syr-Darya habitaient 1 887 Allemands, dont 682 près d’Omsk et 512 près d’Akmolinsk 216 . Il y a eu ensuite une autre vague d’installation : les Allemands vinrent des communes principalement catholiques du sud de la Russie dans le Okrug 217 de Koustanaï et de la région de Tourgaï. La première localité allemande, Osernoïe, fut fondée en 1901. Suivirent en 1902 Nadechdinka et Voskresenovka, puis en 1904 Neliubinka, Semenovka et Vikentievka 218 . Osernoïe comptait en 1905 263 fermes avec 1 556 habitants, dont 232 fermes avec 1 237 habitants. Au total, il y avait dans ces six villages composés de 895 fermes, abritant 5 216 personnes. Ces recensements de fermes (soit 541) révélaient que la plupart provenait du gouvernement de Cherson. À partir de 1897, ce fut le tour des colonies mennonites dans la région d’Akmolinsk, principalement dans les arrondissements d’Omsk et de Petropavlovsk 219 .
Afin d’explorer les contrées lointaines, aux XVIIIe et XIXe siècles, un grand nombre d’expéditions scientifiques fut mené. Les scientifiques allemands étaient des précurseurs de l’exploration du folklore et de la langue des Kazakhs et autres peuples d’Asie, de leur histoire, de leur culture et de la faune et de la flore de ce territoire. Ainsi l’on retrouve ceux qui effectuaient des voyages de recherches académiques comme Peter Simon Pallas, Johann Gottlieb Georgi, Samuel Gottlieb Gmalin, Gerhard Friedrich Müller… Ils venaient principalement d’Allemagne, de Saint-Pétersbourg, de Moscou, de la Baltique, mais à Kazan, à Orenbourg et Tachkent ou Omsk, certains se sentaient déjà chez eux. Alexander von Humboldt voyagea en 1829 sur l’invitation du tsar russe dans la région de l’Oural, dans l’Altaï et dans la steppe kirghize. Quelques scientifiques passèrent plusieurs années en Asie Centrale et accomplirent des efforts indispensables à l’exploration de la culture et des modes de vies des peuples indigènes. A. Eichhorn a par exemple travaillé de 1870 à 1883, et ce jusqu’à son départ en Allemagne, à Tachkent comme directeur du corps musical de la garnison locale. A côté des descriptions ethnographiques d’ensemble, il a fait des dessins et a travaillé sur les chants populaires ; il a contribué à deux des plus importantes collections d’instruments de musiques populaires asiatiques. La culture et l’évolution intellectuelle, et donc le sentiment de conscience nationale des Kazakhs, se sont opérées au sein de la communauté des Allemands. Le meneur de ce mouvement culturel était Eugen Michaelis (1841-1913) qui vivait depuis 1869 à Semipalatinsk. Son ami le plus proche, Gerasimov écrivait que Michaelis avait « relevé le niveau de culture des Kirghizes ». Tchkan Valichanov était un des grands penseurs et le premier homme de culture du Kazakhstan. Pendant plusieurs années, il a servi à Omsk auprès du gouverneur général de l’ouest sibérien, Gustav Gasfort, en tant qu’adjudant. Selon des rapports contemporains, ce dernier, tout comme Valichanov, est considéré comme un leiblicher Vater et l’a aidé dans ses voyages de recherche (comme dans l’est du Turkestan 1858-1859) et a contribué au maintien des traditions folkloriques.
Ainsi, avec la conquête des steppes kazakhes et de l’Asie Centrale aux XVIIIe et XIXesiècles, beaucoup d’Allemands sont arrivés sur ces territoires. Au début, il s’agissait de militaires, de fonctionnaires, de spécialistes qui s’intégraient aisément dans les villes. La plupart des colons appartenaient aux États baltes et étaient des Allemands citadins. D’autres courants d’Allemands sont venus de la mer Noire et de la Volga dans le cadre de la politique de colonisation asiatique de la Russie ce qui représente des centaines de milliers de fermiers russes, des Ukrainiens partis vers le Kazakhstan, la Sibérie et l’Asie centrale au XIXe siècle. Selon l’utilisation agricole des sols et les méthodes économiques, les colons s’étaient établis dans différents lieux. Les Allemands de la Volga avaient établi différentes communes autour d’Omsk et de Tachkent. Ils avaient leurs propres propriétés, terres et fermes. Les principales cultures étaient celles des céréales. Les Allemands faisaient de l’élevage de bétail pour le lait et le fromage. On pouvait voir les traditionnels moulins à vent et à vapeur dans chaque village allemand. Beaucoup d’entrepreneurs allemands ont vite remarqué les possibilités de rapide croissance et de rentabilité de cette région, ce qui a généré de nouvelles arrivées.
Nous pouvons citer à ce sujet un exemple typique du développement commercial et d’entreprises au Kazakhstan, celui d’une « joint-venture » russo-allemande qui élaborait un produit à base de santoline à Tchimkent. En 1882, le chimiste Wilhelm Pfaff, originaire de Prusse mais habitant à Moscou, a proposé à l’entrepreneur Nikolaï Ivanov de poursuivre sa production. Son idée a trouvé écho et ils ont décidé de construire une usine chimique. Tous les appareils et installations ont été commandés aux frères Burtdorf à Hambourg-Altona : ils installèrent les équipements de travail et s’occupèrent de la mise en route. La livraison de l’équipement se fit sur un trajet long de 2 000 km entre Orenbourg et Tchimkent de façon étonnante. Autrefois, il n’y avait aucune liaison ferroviaire (les premiers trains depuis Orenbourg vers Tachkent roulèrent en 1906). En raison de leurs qualifications pour les transports à travers le désert, les chameaux remplacèrent les convois de trains. Pour les parties de l’appareil particulièrement lourdes, des voitures furent spécialement équipées de roues massives et furent remorquées par des attelages de plusieurs chameaux. En 1885, l’usine augmenta sa production. Le personnel était composé de 50 à 60 personnes. En moyenne, jusqu’à 600 poud 220 de santonine brute étaient produits puis livrés aux raffineries et aux points de vente à Hambourg. Le partenaire du côté allemand était Johann Dietrich Bieber, qui possédait une usine chimique et faisait du commerce en gros 221 .
Au total, ce ne sont pas moins de 70 000 Allemands qui se sont installés dans les régions géographiques considérées du Kazakhstan avant la Première Guerre Mondiale et qui ont représenté 0,9 % des habitants. Entre 1897 et 1914, le chiffre a pratiquement été multiplié par dix. Sur quatre des régions de colonisation (Akmolinsk, Semipalatinsk, Ouralsk et Tourgaï), les Allemands possédaient 532 850 déciatines de terres (en bail). Afin d’obtenir une terre, certains étrangers ont demandé la citoyenneté russe, car c’était seulement en tant que citoyen russe que l’on pouvait obtenir quinze déciatines de terres de la Couronne ou acheter un terrain. Entre 1885 et 1914, 79 Allemands, huit Autrichiens et deux Hongrois ont obtenu la citoyenneté russe sur le territoire d’Akmolinsk. D’autres ont pris des baux sur des terres et ont élevé du bétail et exercé des activités laitières. Deux autres étrangers, le Suisse Fritz Kraft Taller et l’Allemand Alois Bischof, ont loué des terres en avril 1908 à D. Kornis Weidelard pour élever leur bétail laitier et ont produit du fromage, qu’ils vendaient à Pavlodar.
Ceci étant dit, quelles furent leurs conditions d’installation ? Les colonies allemandes près d’Aktioubinsk sont à l’époque importantes. Entre 1907 et 1911, des terres furent partagées pour les Allemands à l’ouest de la ville d’Aktioubinsk. Chaque homme reçut quinze déciatines. Pendant les cinq premières années après leur installation, les colons n’eurent pas besoin de rembourser l’État. Néanmoins, par la suite, ils durent effectuer des remboursements échelonnés (posemelinii). Après quelques années, ils obtenaient ainsi leur titre d’achat (kouptchaïa) des terres occupées. Leur niveau de vie s’améliorait ; ainsi les maisons de glaise dans les colonies allemandes furent remplacées par des maisons de pierre, et de façon massive et rapide dans les villages suivants : Michaïlovka (fondé en 1907), Neu-Hoffnung (1910), Varchinski (1910), Romanovka (1909), Aktchatzki (1911), Bouchalinsk (1911), Koutoksaï (1911), Choubar-Koudouk (1912).
Les conditions de colonisation dans les années 1900-1910 étaient les suivantes : on donnait à chaque colon masculin quinze déciatines de terres pour lesquelles il ne devrait rien payer pendant cinq ans. Les cinq années suivantes, il devrait payer onze kopecks par déciatine. Les 39 années suivantes, le colon pourrait exploiter ses terres pour 22 kopecks, afin d’en jouir complètement sans payer de frais supplémentaires. Entre 1907 et 1910, 5 030 Allemands sont arrivés dans la région de Pavlodar ; ils constituèrent environ 30 % des nouveaux colons établis dans ce cercle. En 1916, le nombre de Mennonites s’éleva à 1 240 hommes sur les 12 colonies 222 . Le chiffre total d’Allemands en 1914 dans la région d’Akmolinsk a pu être estimé à 7 000, dont 6 000 paysans avec 60 527 déciatines de terres et 728 citadins (dont 649 à Pavlodar). Dans la région d’Akmolinsk, il y avait environ 27 000 Allemands qui étaient répartis sur 56 communes villageoises, dont 20 dans le cercle d’Omsk, 16 à Akmolinsk, 12 à Koktchetav, 7 à Atbasar et un à Petropavlovsk. On estimait que les Allemands étaient la quatrième ethnie en quantité après les Kazakhs (570 238 personnes), les Ukrainiens ( 458 921 Ukrainiens) et les Russes (423 350 Russes). Dans le cercle d’Omsk, alors rattaché au Kazakhstan 223 , il y avait quatre cantons administratifs (volost i 224 ) qui n’englobaient que des colonies allemandes (en 1914) : Rosovskaya (avec les colonies Rosovskoïe, Kusnezovskoïe, Slodovskoïe, Novo-Krasnovskoïe), Alexandrovskaïa (soit Alexandrovskoïe, Krasnoyarska, Kniase Trubezkoïe, Tsvetnopolie, Srebropolie, Yablonovka), puis Novinskaïa (regroupant Privalnoïe, Popovka, Sesnovka, Novinka, Svonarev-Kut, Pobotchnoïe) et enfin le cercle d’Akmolinsk. C’était un volost’ qui n’était composé que de deux colonies allemandes : Dolonskaïa (Dolinskaya et Sarepta) ; deux autres étaient en majorité peuplées d’Allemands : Rochdestvenskaïa (avec Rochdestvenskoïe, Romanovskoïe et Mayorovskoïe et un village russe) et Lifliandskaïa ou Pokornaïa (composée de Smakandskoïe, Krestovskoïe, Kronidovskoïe, Saratovskoïe, Olyan, Novo-Kronstadtskoïe et Krasnokutskoïe) 225 .
Peu de colons ont foulé les terres du sud du Kazakhstan, en raison des conditions naturelles (climat continental extrême, peu de terres déjà colonisées, agriculture possible seulement avec un système d’irrigation). Après la mise en service de la ligne de chemin de fer Orenbourg-Tachkent en 1906, un flux de colons est arrivé dans le territoire de Syr-Darya. Jusqu’en 1914 se formèrent dans le cercle d’Aulie-Ata les colonies de Johannesdorf, de Chivinskoye (Hogendorf) et d’Alexeïevskoïe, ainsi que de nombreux hameaux, souvent sans l’autorisation de l’administration locale de domiciliation, mais seulement avec l’accord de Kazakhs locaux et des Kirghizes (ce fut le cas des colonies arbitraires, les samavoltcheskiie posioldi). En 1912, il y avait dans ce cercle 1 691 Allemands, principalement des Mennonites de Samara. En 1911, le village de Stepnoïe fut créé dans le cercle de Tachkent. À cette époque y vivaient 1 476 Allemands et 4 224 à Tachkent. Dans l’ensemble du territoire, il y avait 7 628 Allemands (soit 0,4 % de la population totale). À part cela, il n’y avait aucune commune paysanne dans le sud du Kazakhstan. À Semiretchïe, 244 Luthériens étaient concentrés en okroug.
Avant l’éclatement de la Première Guerre Mondiale, le nombre d’Allemands dans les villes avait largement augmenté, et en particulier dans les centres gouvernementaux d’Omsk et Tachkent. En 1914 en effet, en moyenne 2,5 % des Allemands étaient des habitants citadins 226 . Les entrepreneurs allemands apportaient un revenu non négligeable à l’ouverture économique de cette région et à l’intégration des richesses naturelles dans l’économie de l’Empire et du monde. On pouvait dénombrer de nombreuses firmes et des sociétés d’Allemands du pays, de colons et d’Allemands d’origine balte, qui étaient autant de représentants en Asie centrale, s’occupant des relations économiques avec les commerces locaux. Toutes les fabriques de machines connues des colons, comme Höhn à Odessa ou A. Koop à Alexandrovsk, étaient représentées par la S.A. « R. et T. Elworti » à Omsk, Petropavlovsk, Kokchetav et Semipalatinsk et dans bien d’autres villes encore. La firme « Konst-Meier & Co. » était l’un des intermédiaires les plus importants entre des producteurs de charrues ou machines Drill comme Rudolf Sock de Leipzig Plagwitz ou l’usine de machines Badenia et le marché commercial qui s’était largement ouvert sur l’ouest sibérien.
Lors de l’éclatement de la Première Guerre Mondiale, les grands groupes d’Allemands du Kazakhstan étaient alors principalement composés d’agriculteurs, venus des colonies principales (Mutterkolonien) de la Volga ou de la mer Noire dans les steppes du Kazakhstan en raison du manque de terres cultivables ; ils formèrent des colonies existant encore de nos jours. Les Allemands peuplaient à l’époque environ trente six villages et trente fermes isolées des deux côtés de la ligne de chemin de fer de l’ouest sibérien, de Petropavlovsk à Tatarskaïa via Omsk. Les terres étaient presque toutes des terres cosaques achetées ou prises en bail. En 1914, les colons allemands (principalement les mennonites 227 ) occupèrent 89 terrains sur 73 841 déciatines au total ainsi que 83 234 déciatines de terrains acquis en bail par l’armée cosaque sibérienne. En outre, de 18 000 à 19 000 déciatines de terres sur la rive droite de l’Irtych, à 30 à 40 Verstes 228 de Pavlodar 229 furent offertes aux Allemands mennonites de Molotchna.
Les indications sur les chiffres des Allemands dans les régions de Tourgaï et d’Ouralsk sont faussées et contradictoires. Certains journaux de l’époque et notamment le Odessauer Zeitung donnent le chiffre de 11 691 personnes dans la région de Tourgaï pour 1914. Selon Viktor Krieger, il y avait 6 711 âmes en 1917 possédant 95 780 déciatines de terres de la Couronne dans la région de Tourgaï. La majorité d’entre eux (6 329 personnes pour être exacte) vivaient dans le cercle de Koustanaï. Dans le territoire d’Ouralsk, mais aussi dans le cercle de Temirsk, il y avait 1 711 âmes exploitant 42 284 déciatines de terres. En outre, il y avait 250 familles allemandes qui vivaient dans des fermes sur les terres cosaques. Selon les sources, nous pouvons estimer le chiffre total des Allemands dans ces deux territoires à environ 20 000, ce qui se reflèterait assez bien dans les résultats du recensement de 1920.
Après la prise de pouvoir des bolcheviks en 1917, les Kazakhs reçoivent l’autonomie territoriale. En 1920 est fondée la République soviétique autonome kazakhe qui doit réunir tous les territoires de population kazakhe, répartis en rayons ou ouezd 230 ; une partie de la périphérie urbaine de Omsk est intégrée au Kazakhstan. En 1924, en raison de la délimitation nationale de l’Asie Centrale, les territoires de Syr-Darya et de Semiretchensk de l’ancien Turkestan se retrouvèrent partagés entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.
Nous avons ainsi montré qu’il y avait des Allemands en Asie centrale 231 avant les grandes vagues de déportation. Aussi présentons-nous le tableau récapitulatif suivant, donnant la répartition en Asie centrale en 1926 des 503 villages allemands et 108 816 habitants dénombrés au total 232 :
Situation des territoires | Nombre de communes allemandes | Nombre d’habitants allemands |
Kazakhstan (sur l’ensemble de la République) | 128 | 44 283 |
Rayon de Tcheliabinsk | 14 | 1 308 |
Rayon de Koustanaï et Gouvernement de Tselinograd | 64 | 26 093 |
Gouvernement de Semipalatinsk | 64 | 18 190 |
D’après ce tableau, nous pouvons donc conclure qu’entre les années 1910 et la fin des années 1920, une concentration d’Allemands s’était opérée dans et autour des villes de Tselinograd, Koktchetav, Tcheliabinsk, Koustanaï et Semipalatinsk. En dehors des villages allemands fermés, les Allemands étaient principalement concentrés dans les grandes villes et non disséminés. À l’époque, ils étaient répartis entre différentes confessions, à savoir 158 colonies mennonites, 165 évangéliques (à Tselinograd, Tcheliabinsk, à l’ouest de Pavlodar et Semipalatinsk notamment), trente catholiques plus diffuses (dont une à Semipalatinsk et six autres au nord de Koktchetav) et cinq communautés d’autres confessions. Nous présentons en annexe un tableau récapitulatif des colonies allemandes existantes au Kazakhstan en 1928 par nom, territoire, année de fondation, nombre d’habitants et confession 233 . Ce document, présentant les 191 colonies allemandes que nous avons recensées, nous permet d’établir que le début de la germanicité allemande au Kazakhstan remonte au XIXe siècle.
Au terme de cette présentation, il nous apparaît que le territoire est une donnée de base permettant de cerner l’ethnie et un élément sur lequel repose la structure ethnique. En tant que société globale, complète, devant se suffire à elle-même, l’ethnie occupe une position géographique qui lui est propre. C’est le cadre physique où elle s’est fixée et, souvent, même, où elle s’est constituée à partir d’éléments de provenance diverse. Le milieu naturel, l’ethnie s’y est adaptée et l’a plus ou moins transformé par l’utilisation de ses ressources. Au Kazakhstan, l’ethnie allemande était présente avant les vagues massives d’arrivée d’Allemands dans les années 1940.
On pourra consulter en ANNEXE III pour un aperçu global de l’évolution du Kazakhstan à travers les âges et afin de mieux appréhender ce territoire.
V. KRIEGER, Deutsche in der Sowjetunion und Aussiedler aus der UdSSR in der Bundesrepublik Deutschland, Munich, 1993, p. 11.
Voir ANNEXE XLV, cartes des territoires du Kazakhstan et du Turkestan avant 1917.
Rappel : Die Deßjatine(n) = déciatina en russe archaïque. Il s’agit d’une mesure de surface équivalant à 1,092 ha. Le français utilise la transcription phonétique « déciatine ».
K. STUMPP, « Das Russlanddeutschtum in Nord-Sibirien und Mittelasien », in Heimatbuch der Deutschen aus Russland, 1964, pp. 14-16.
A.-A. KAUFMANN, Po novym mestam. Ocerki i putevyje zamietki 1901-1903, Saint-Pétersbourg, 1905, pp. 280-281.
Pervaja vseobska j a perepis neseleny j a rossiskoï (1897), Kraktie obscie svederija no imperii, Saint-Pétersbourg, 1905, pp. 4-6.
Rappel : en russe Ó круг, signifiant division administrative, district et par extension cercle (administratif). Équivalent allemand der Kreis.
Materiali po obsleodovanju pereselencheskogo choz j aïstva ve Kustanaïskom i Aktiubinskom ouïezdar Turgaïskoï oblasti, Saint-Pétersbourg, 1907.
J. HILDEBRAND, Sibirien, Allgemeine Übersicht über Sibirien und der Gründung der Mennonitensiedlungen in Sibirien ; Geschichte der evangelischen Mennonitengottesgemeinde in Sibirien, Vol. 1 et 2, Winnipeg, 1952, p. 50. Cf. P. RAHN, Mennoniten in der Umgebung von Omsk, Winnipeg, 1975, p. 14 et p. 190. Voir ANNEXES XLVI et XLVII, qui sont respectivement la carte des colonies allemandes jusqu’en 1926 en Sibérie occidentale et la carte des colonies allemandes jusqu’en 1926 en Asie centrale. Nous souhaitons ainsi montrer que des colonies existaient dans ces régions avant que des Allemands ne soient déportés dans les années 1940. Ce sera important quand nous établirons les nouvelles colonies après 1945, dans une idée de comparaison.
Пуд, ou poud, mesure de poids valant 16,38 kg et utilisée pour l’évaluation des récoltes.
Les dernières factures retrouvées datent de juin 1914. Cf. V. KRIEGER, Deutsche in der Sowjetunion und Aussiedler aus der UdSSR in der Bundesrepublik Deutschland, Munich, 1993, p. 8.
V. KRIEGER, Sozial-ökonomische Entwicklung des deutschen Übersiedlungsdorfes in Kasachstan vor 1917, 1992, p. 14.
Désormais, il est rattaché à la Sibérie.
En russe Волость (pl. Volosti) : petite division administrative territoriale proche du canton ; équivalent allemand der Amtsbezirk. Le canton est la structure de base administrative de la R.S.S.A.A.V. On pourra consulter en ANNEXE XXI la carte de la République de la Volga pour un aperçu desdits cantons.
Ibid., pp. 14-16. Rappel, voir ANNEXES XLVI et XLVII pour situer les villes et villages.
V. KRIEGER, Deutsche in der Sowjetunion und Aussiedler aus der UdSSR in der Bundesrepublik Deutschland, Munich, 1993, pp. 6-7.
Le nombre de Mennonites à cette époque est estimé à environ 5 000 dans les steppes de Kulunda, dans le territoirede Pavlodar, dans la région de Semipalatinsk, dans le territoirede Barnaoul et, enfin, dans le territoire de Tomsk.
Верста, versta, mesure itinéraire utilisée autrefois en Russie et valant 1 067 m.
in Odessauer Zeitung, 24/10/1906, n° 244.
En russe Уезд, signifiant rayon ou région.
C’était, précisons-le par acquis de conscience, également le cas en Sibérie, qui comptait des communes allemandes en 1926 : 205 dans le rayon d’Omsk, 118 dans celui de Slavgorod, 6 dans celui de Barabinsk, 5 dans celui de Tatarsk et 3 dans celui de Rubzovsk, soit un total de 337 communes allemandes pour 57 545 habitants (par rapport au nombre total d’Allemands en Sibérie, soit 114 000 environ, contre 8 874 en 1897).
Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 12.
Voir ANNEXE XLVIII. Nous avons établi un tableau récapitulatif des 191 colonies allemandes au Kazakhstan en 1928 selon plusieurs critères : le nom de chaque colonie, le rayon ou canton où elle était située, son territoire, son année de fondation, le nombre d’habitants et la confession religieuse principale. Pour celles dont nous connaissons l’année de fondation, celle-ci va de 1882 à 1913. Semipalatinsk et Tchéliabinsk sont les deux territoires les plus habités par les Allemands. La colonie la plus peuplée d’Allemands est Irtych sur le territoire de Semipalatinsk avec 2 948 habitants. La confession religieuse majoritaire sur l’ensemble est la confession évangélique.