I- 4.2. Les recensements soviétiques de l’après-guerre

Jusqu’en 1941, il y eut quatre recensements soviétiques 249  : 1920-1926-1937-1939. En 1926, 1 239 000 Allemands furent dénombrés contre 1 424 000 en 1939. Le recensement de 1939 fixe jusqu’en 1989 250 les modalités de descriptions nationales qui ne diffèrent plus, au fil des recensements, que par quelques détails. Le critère est établi en modèle, il est devenu administratif et le lien étroit entre territoire et nationalité s’exprime désormais par l’affirmation d’une nationalité dominante pour un territoire autonome ou une république donnée et ce à quelques exceptions près, en relation avec la politique répressive de Staline (comme la suppression du territoire des Allemands de la Volga par exemple, lors de leur déportation). Les listes de nationalités, classées selon des principes d’ordre juridique et statistique et non plus anthropologique, sont pratiquement identiques d’un recensement à l’autre. Le concept de nacionalnost’ est devenu le terme consacré, les instructions précisant néanmoins qu’il s’agit de la nationalité dans laquelle les individus se définissent eux-mêmes. La distinction entre une citoyenneté (grazhdanstvo) et une nationalité est faite sans ambiguïté, puisque à la première chacun est tenu de répondre « citoyenneté soviétique ». En 1970, 122 nacionalsti et narodnosti sont distinguées 251 , ainsi que 114 langues. La participation des ethnologues à la constitution de ces listes, mais aussi à la détermination politique des classements est explicitement indiquée :

‘« Ont été prises en compte les remarques et propositions du CSU des Républiques, des administrations statistiques, de l’Institut d’ethnographie, de l’Institut de linguistique (jazykoznanie) et du département sibérien de l’Académie des sciences de l’U.R.S.S. [...]
Dans le dictionnaire systématique les nationalités (nacionalnosti) et les peuples (narodnosti) sont indiqués, comme il convient, dans l’ordre de la disposition constitutionnelle des républiques fédérées et autonomes, des oblast autonomes, des okrug nationaux. Après ceux-ci, dans l’ordre alphabétique, sont indiqués les autres nationalités et peuples de l’U.R.S.S., puis ensuite les nationalités et peuples vivant essentiellement en dehors des frontières de l’U.R.S.S.». ’

Si l’ordre peut changer, notamment en fonction des effectifs de nationalités, comme c’est le cas lors du recensement de 1989, les listes de peuples ne sont pour ainsi dire pas modifiées, variant entre 126 en 1959, 122 en 1970, 123 en 1979 et 128 en 1989. En l’espace de plus d’un siècle, la classification des nationalités a progressivement dérivé d’un processus d’identification, mû par des préoccupations d’ordre ethnologique conduisant à toujours plus de distinctions, vers une fixation institutionnelle des catégories nationales répondant à une logique administrative. Enfin, sans doute en raison d’une contestation croissante des différents territoires nationaux, la grille de lecture nationale est abandonnée en 1989 pour revenir à une conception plus égalitaire des nations distinguées.

Grâce au recensement de 1959 252 , nous connaissons le chiffre officiel des Allemands en Union soviétique, soit 1 619 000 personnes. 120 000 à 150 000 personnes à l’époque vivaient encore au sein de villages allemands. Les plus nombreux, environ 820 000, vivaient au milieu d’autres ethnies notamment dans la partie nord de la Russie occidentale, dans la République de Komi et sa capitale Syktyvkar. Les Allemands y travaillaient dans les forêts, les mines de charbon et de minerais. Beaucoup vivent dans les steppes et les territoires industriels d’Oural. La plupart étaient dans la partie sud-ouest de Sibérie (territoires d’Omsk et de Novossibirsk), jusqu’à Irkoutsk, Iakutsk et Kamtchatka. D’autres, environ 800 000, vivaient dans les anciens territoires de la République du Kazakhstan (650 000 personnes) ou du Tadjikistan (33 000) et du Kirghizstan (39 900). De plus en plus d’Allemands sont des citadins. On estime à 100 000 le nombre de personnes d’origine allemande à Karaganda 253 et 10 000 à Alma-Ata en 1959, ce qui marque un changement fondamental par rapport à 1926, les Allemands étant alors ruraux à 60 %. Au recensement de 1969, 1 846 000 Allemands vivaient officiellement en Union soviétique 254 . Une présentation de ces données chiffrées nombreuses sous forme de tableaux et de graphiques nous permet de mieux appréhender l’évolution de la population allemande et les ruptures ou changements dans le continuum démographique 255 . Nous constatons une reprise nette de la présence germanique dès 1959, après la chute du nombre d’Allemands en 1926 256 .

Notes
249.

publiés dans le journal Isvestia le 20 avril 1940.

250.

Voir ANNEXE VI.

251.

Dictionnaire des nationalités et des langues pour la correction des mauvaises réponses aux questions 7 et 8 des bulletins (concernant la nationalité, la langue maternelle et les 20 langues des peuples de l'U.R.S.S), Administration centrale de statistique auprès du Conseil des ministres de l'U.R.S.S, Direction des recensements de la population, Moscou, 1969.

252.

Les questionnaires pour le recensement de 1959 contenaient quinze questions. Les questions numérotées 7 et 8 sont particulièrement significatives pour notre étude puisqu’elles concernent la nationalité (question 7) et la langue maternelle (question 8). Voici les explications corrélatives des deux questions : « 7 – déclarez votre nationalité. Pour les enfants, la nationalité est déterminée par les parents. Dans les familles où les parents sont de nationalité différente, ou pour ceux qui ne savent pas déterminer la nationalité de leurs enfants, prenez en compte celle de la mère en priorité. 8 – Donnez LA langue que vous considérez être votre langue maternelle. En cas de doute, donnez la langue que vous maîtrisez le mieux ou que la famille parle « habituellement ». La langue maternelle peut diverger de la nationalité ». Les résultats ont été les suivants : sur les 1 619 000 Allemands recensés en Union soviétique, 75 % (soit 1 222 500 personnes) ont donné l’allemand comme leur langue maternelle. Environ ¼ a donc donné le russe comme langue maternelle. Nous pouvons donc en conclure qu’il y a donc bien un lien entre l’origine ethnique et la langue maternelle. Néanmoins, l’aveu de la nationalité se fait plus facilement que l’aveu de la langue maternelle.

253.

Nous rappelons que la ville de Karaganda, au nord du lac Balkhach au Kazakhstan, est un des points d’accueil principaux des peuples déportés ou déplacés au moment de la Seconde Guerre mondiale, d’où les taux importants aujourd’hui de présence de population allemande.

254.

Selon K. STUMPP, Die Russlanddeutschen : 200 Jahre unterwegs, Stuttgart, 1995, p. 36.

255.

Voir ANNEXE LIII, tableaux et graphiques sur les Allemands dans les recensements. Les premiers tableaux ont pour but de synthétiser les données que nous avons utilisées jusqu’ici. Le tableau le plus important est celui sur la répartition des Allemands dans les villes et rayons des territoires kazakhs en 1959. Par rapport à ce que nous avions vu pour l’année 1928, nous pouvons voir qu’en 1959, la ville et le territoire désormais majoritairement habités par des Allemands sont Karaganda. Les graphiques sur l’évolution de la population allemande entre 1914 et 1989 en U.R.S.S. montrent d’une part la hausse régulière de la population allemande depuis 1941, après une chute en 1926, ainsi que la hausse marquée de la part d’Allemands citadins depuis 1918 (part qui a désormais dépassé les 50 %).

256.

Voir ANNEXE LIV : ce tableau sur l’évolution démographique en Russie puis en Union soviétique reprend les éléments des recensements en détaillant la répartition par région résumant les données que nous avons distillées jusqu’ici.