I- 4.5. Evaluation de la communauté allemande du Kazakhstan de 1989 à nos jours

Avec la Glasnost et la Perestroïka, les voyages à l’étranger ont été facilités. On donna à ceux qui le souhaitaient de nouvelles terres. Les Allemands étaient plus libres. Le 20 novembre 1989, une commission d’enquêtes de la Chambre des nationalités du Soviet suprême établit la nécessité de réhabiliter la République de la Volga. Le 14 novembre 1989, on établit que les déportations avaient été menées dans l’illégalité et étaient répréhensibles. On exigea donc la garantie des droits des peuples déportés, mais des manifestations dans la région de la Volga furent organisées : la population soviétique locale se prononça contre la réhabilitation de la République de la Volga. Ces protestations empêchèrent toute négociation et tout progrès. Cependant, dans un protocole germano-russe daté du 12 juillet 1992, le gouvernement russe se prononça à nouveau en faveur d’un rétablissement progressif de la République de la Volga 275 . Dans la région de Saratov, on créa un rayon national et un district (Okrug) dans la région de Volgograd 276 . En novembre 1990, C.E.I. et Allemagne signèrent un pacte « pour un bon voisinage, un partenariat et une collaboration » 277 . Les droits des minorités allemandes sont traités dans l’article 15. C’est de là que se sont construits les fondements pour un usage plus juste de la culture et de la langue allemande dans les Républiques de l’actuelle C.E.I. Afin qu’ils retrouvent des territoires propres et afin de donner aux Allemands en C.E.I. un point de ralliement et d’attache pour leurs valeurs culturelles et les traditions, des aides sont nécessaires. Il faut en effet atténuer les conséquences de l’histoire de l’après-guerre dans les domaines culturel et social.

Néanmoins, le processus de kazakhisation 278 , dit de souveraineté, n’allait pas en ce sens et contribuait plutôt à attiser les tensions existantes ou latentes. Il fallut donc renforcer, par une déclaration du 25 octobre 1990, les liens entre les peuples. Cela fut confirmé dans la loi sur l’indépendance de la République kazakhe le 16 décembre 1991 (article 6) 279 . L’entretien et le soutien des cultures, des traditions, des langues et le renforcement du sentiment de conscience nationale devinrent les premiers devoirs de l’État 280 . La langue kazakhe fut placée en première place ce qui eut des implications sur le processus de migration. Une nouvelle loi sur l’immigration fut promulguée le 26 juin 1992 281 . L’article 17 précisait que les personnes arrivées dans les années 1920-1930 pouvaient bénéficier du statut de réfugiés. Le fait est que les conditions économiques et sociales dramatiques au premier semestre de 1992 eurent des conséquences sur la population. Le favoritisme accordé à la langue kazakhe et aux Kazakhs dans les sphères de la société fit jaillir une peur des conflits ethniques et de l’effondrement économique.

Lors de la chute du mur de Berlin en 1989, hommes politiques et commentateurs de l’Europe de l’Ouest ont commencé à manifester de l’inquiétude à la perspective de voir arriver dans leurs propres pays un grand nombre de migrants en provenance d’Europe centrale et de ce qui subsistait alors de l’Union soviétique. Ces préoccupations se sont encore renforcées lors de la dissolution de l’Union soviétique en décembre 1991 282 . Or, il n’y a pas eu d’exode massif vers l’ouest et, depuis, le monde extérieur a plutôt adopté une attitude bienveillante face aux nombreux problèmes auxquels sont confrontés les États de l’ancienne Union soviétique. Alors qu’ils étaient complètement ignorés par le monde extérieur, des mouvements d’une ampleur et d’une complexité étonnantes se sont produits entre temps à l’intérieur de la Communauté des États indépendants (la C.E.I.), qui compte douze des quinze États indépendants surgis des cendres de l’Union soviétique. Depuis 1989, le nombre de personnes qui se sont déplacées dans ou entre des pays de la C.E.I. est de neuf millions soit un habitant sur 30 de la région. Ce chiffre, fruit d’études entreprises dans le cadre du processus préparatoire à la conférence internationale qui s’est tenue à Genève les 30 et 31 mai 1989, concerne les déplacements involontaires de population. Il ne comprend pas de nombreux migrants internes qui se déplacent pour des motifs purement économiques, ni d’autres catégories qui ne relèvent pas du domaine de la Conférence sur la C.E.I., notamment les militaires rentrant chez eux. Les mouvements de population, thème de la Conférence, sont les plus importants, les plus complexes et potentiellement les plus déstabilisateurs et ils se poursuivent.

Bien que certains de ces mouvements dans l’ancienne U.R.S.S. soient d’un type qui ne nous est que trop familier (quelque 2,3 millions de personnes déplacées dans la région et environ 700 000 réfugiés suite à des conflits), d’autres sont spécifiques et résultent des caractéristiques particulières de l’Union soviétique et de la dissolution inattendue d’un État unique en quinze États distincts. On estime qu’en 1991, lorsque l’Union soviétique a éclaté, le nombre total des personnes qui vivaient en dehors de leurs républiques ou régions autonomes d’origine se situait entre 54 et 65 millions, soit un cinquième de la population totale. Parmi elles, 34 millions étaient des Russes, des Ukrainiens et des Biélorusses vivant dans d’autres républiques. Pour eux, le chez soi, c’était jadis l’Union soviétique qui, tout à coup, n’existait plus. Bon nombre d’entre eux, à l’exemple des pays Baltes, du Caucase, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, de la Tchétchénie se trouvaient face à un avenir extrêmement incertain. Les républiques où ils habitaient ne leur offraient plus de sécurité. Presque partout, le nationalisme gagnait du terrain et, en maints endroits, le niveau de vie était en chute brutale. Dans certains pays, les lois nouvelles sur les langues et la nationalité les défavorisaient et certains risquaient (et risquent encore) de devenir des apatrides. Et lorsque les tensions ethniques se sont transformées en conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et que d’importantes guerres civiles ont éclaté dans le Caucase et au Tadjikistan, ils ont commencé à rentrer chez eux en grand nombre, en particulier en provenance de l’Asie centrale. Dans bien des cas, toutefois, c’était pour rejoindre un chez-soi qu’ils n’avaient jamais vu ou avaient presque oublié et où leurs perspectives économiques étaient pour le moins extrêmement incertaines. Au début de 1996, plus de trois millions de rapatriés avaient ainsi quitté les pays où ils résidaient pour rejoindre celui de leurs ancêtres et il semblait que d’autres suivraient même si, finalement, le rythme des départs avait commencé à ralentir. Un autre type de mouvement spécifique aux pays de la C.E.I. actuellement en cours est le résultat d’une politique adoptée et appliquée impitoyablement par Staline il y a plus d’un demi-siècle et dont tous les détails commencent seulement à être révélés maintenant, avec l’accès des chercheurs à des dossiers secrets détenus à Moscou. Trois nations, les Allemands de la Volga, les Tatars de Crimée et les Meskhets, n’avaient pas encore été autorisées à réintégrer leurs patries ancestrales au moment de l’effondrement de l’Union soviétique. Toutefois, 850 000 Allemands soviétiques ont reçu une aide à l’émigration vers l’Allemagne depuis 1992 et, depuis qu’ils ont été autorisés pour la première fois à quitter l’Union soviétique en 1961, le chiffre des émigrés a atteint près de 1,4 millions.

Notes
275.

In Aussiedler, Informationen zur politischen Bildung, Munich, 1991, n°222 , p. 17.

276.

Rappels : Le rayon (ou cercle) ou ouïesd désigne une région administrative. Un rayon national est donc un territoire clairement délimité réservé en priorité à une ethnie précise, mais pas exclusivement.

Okrug est un terme administratif russe et soviétique désignant l’arrondissement, subdivisé en volost, district rural. Il a remplacé le viloyat, qui désigne une division administrative en arabe, ouzbek et turkmène. Oblast est la division administrative tsariste désignant la région. Ayant servi à structurer l’Asie centrale coloniale, puis soviétique, elle est toujours en usage en russe et kazakh. Les Rayons allemands de Halbstadt, Russie, et d’Asovo dans l’Altaï sont également des projets désormais bien avancés.

277.

Voir ANNEXE LXIII, le Traité germano-soviétique « pour un bon voisinage, un partenariat et une collaboration » est donné dans son intégralité.

278.

O. ROY parle du processus de kazakhisation, mis en parallèle avec celui de russification. Cf. O. ROY, L’asie centrale contemporaine, p. 116.

279.

Déclaration de souveraineté étatique de la République soviétique socialiste kazakhe, in Kazakhstankaïa Pravda, 21/10/1990, p. 1. Problèmes des nationalités, différentes lois récentes notamment : 2 avril 1990 : Über die Verstärkung der Verantwortung für Anschläge auf die nationale Gleichberechtigung der Bürger ; 3 avril 1990 : Über das Verfahren über die Lösung von Fragen, die mit dem Austritt einer Unionsrepublik aus der UdSSR verbunden sind ; 4 avril 1990 : Über die Grundlagen der Wirtschaftsbeziehungen zwischen der UdSSR, den Unionsrepubliken und den Autonomen Republiken ; 9 avril 1990 : Über die allgemeinen Grundlagen der lokalen Selbstverwaltung und der örtlichen Wirtschaft ; 24 avril 1990 : Über die Sprachen der Völker in der Sowjetunion ; 26 avril 1990 : Über die Abgrenzung der Befugnisse zwischen der Union der SSR und den Subjekten der Föderation ; 26 avril 1990 : Über die freie nationale Entwicklung der Bürger der UdSSR, die außerhalb der Grenzen ihrer national-staatlichen Gebilde leben.

280.

« de l’indépendance étatique de la République du Kazakhstan », in Kazakhstankaïa pravda, 18/12/1991, p. 1.

281.

Cf. Loi de la République du Kazakhstan sur l’immigration, Kazakhstankaïa pravda, 25/8/1992, p. 2.

282.

Cf. http://www.unhcr.ch/