I- 4.6.1. La formation des élites au sein des minorités

Au cours de l’histoire, il est évident que les Allemands ont souvent eu un rôle à jouer dans la vie politique russe, mais aussi économique et intellectuelle. En effet, c’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que les élites dites « volga –allemandes » ²⁸³ ont pu influencer les institutions régionales (zemstvo) de l’époque, qui ont depuis longtemps une importance au niveau national. À la fin du XIXe siècle, les Allemands exercèrent davantage d’activités au sein des administrations locales et régionales et, vers 1905-1906, même au sein du Conseil russe. Cela démontre la forte volonté de ce groupe ethnique de s’intégrer, de participer à la vie locale et nationale, de travailler en collaboration avec les autres nationalités présentes sur le territoire. Nous pouvons noter un retour aux méthodes anciennes des années 1920 face aux populations non-russes. Les ethnies déportées dans les années 1930 et 1940 furent réhabilitées mais seulement en partie dans le sens où certaines pouvaient réintégrer leur habitat d’origine et bénéficier du rétablissement de leurs administrations, mais certaines n’eurent pas ce droit, comme les Allemands de la Volga. Le jeu entre flexibilité (concessions) et durcissement (oppression) dura jusqu’en 1972, puis la politique se durcit jusque dans le début des années 1980.

En ce qui concerne l’éducation, l’enseignement du russe fut encore plus poussé. En effet, le russe devait devenir la deuxième langue maternelle de tous les peuples de l’Union soviétique. Au Kazakhstan, les Kazakhs ne représentaient que 36 % de la population, les Russes et Ukrainiens étant majoritaires. Les minorités étaient solidement ancrées dans les campagnes et leur niveau de vie y était plus bas que dans les villes ou dans leurs périphéries. En même temps que le développement économique, la structure sociale des peuples de l’Union soviétique s’était transformée. Avant tout, l’évolution du système éducatif avait eu pour conséquence l’apparition d’élites nombreuses et instruites. Selon une statistique des années 1980-1981 ²⁸⁴ , au moins dix ethnies avaient un pourcentage d’étudiants supérieur à celui des Russes et des Kazakhs. Les tendances à la russification étaient devenues plus fortes parmi les Allemands entre autres. Au sein des minorités ethniques, les intellectuels firent preuve d’une intense activité. Les langues, la littérature et les sciences humaines, l’héritage culturel national et la conscience nationale connurent un épanouissement limité. La frustration des nouvelles élites, qui se heurtaient toujours plus fréquemment aux barrières élevées par Moscou et aux cadres russes toujours pleins de soupçons à l’égard des aspirations nationales, ne cessa de grandir avec le temps. Alors la modernisation accélérée généra, comme au XIXe siècle déjà, la mobilisation sociale de nouvelles couches qui allaient devenir à partir des années 1960 les vecteurs des mouvements nationaux, avec en tête, les élites intellectuelles. Dans les années 1970, les Allemands formulèrent leurs revendications et leur mouvement moins radical eut plus de succès du fait de l’intercession de l’Allemagne. La République de la Volga ne fut pas rétablie mais dès les années 1970, des dizaines de milliers d’entre eux purent émigrer en Allemagne (fédérale). Aucun de ces mouvements nationaux ne présentait cependant, jusque vers le milieu des années 1980, de caractère explosif susceptible de mettre en danger le système. Il semblait à la plupart des observateurs que le régime soviétique, en dépit de difficultés économiques et politiques croissantes, tenait fermement les nationalités en son pouvoir.