Selon le point de vue de A. Eisfeld, le mouvement pour l’autonomie allemand de l’après-guerre est organisé en plusieurs phases.
Nous pouvons affirmer que nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle phase transitoire marquée par l’hésitation entre la volonté de rester, éventuellement sur un territoire national allemand, voire autonome, et le désir d’immigrer. Qui sont les initiateurs et les leaders du mouvement ? Nous pouvons établir plusieurs grandes lignes :
L’émigration des personnes de souche allemande en provenance du Kazakhstan reste possible mais la procédure suppose, depuis le 1er juillet 1990 une reconnaissance comme Allemand dans leur pays d’origine, donc a priori et non plus après leur arrivée en Allemagne. Cela fait référence au droit à l’autodétermination, dont il est nécessaire ici de rappeler les fondements. C’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Constitué au XIXe siècle, il fut un des thèmes de revendication des mouvements libéraux et nationaux, repris ensuite par les mouvements socialistes dans une perspective internationaliste. Déjà en 1896, le Congrès international des Travailleurs socialistes et des Syndicats, à Londres, soutenait « le plein droit à l’autodétermination de toutes les nations ». La Selbstbestimmung en allemand ou samopriedielienii en russe, est alors au centre des préoccupations de nombreux partis socialistes. La déclaration aux peuples de Russie (décret du 15 novembre 1917 du Conseil des Commissaires du Peuple, rédigé par Lénine et par Staline, alors commissaire aux nationalités) avait proclamé :
Ces principes repris d’après un texte de 1913, furent réutilisés par Staline, développés en 1924 dans Des principes du léninisme et dans le rapport, plus tard en 1956, de Khrouchtchev au XXe congrès du Parti. Toutefois, ils n’ont pas été appliqués. Les Allemands n’avaient pas été complètement réhabilités et n’étaient pas considérés par les autorités comme ayant les mêmes droits que les nationaux. L’accusation de collaboration avec l’ennemi pendant la guerre a perduré pendant longtemps, et les médias, en particulier les journaux, ont attisé le feu des polémiques. Le décret du Præsidium du Soviet suprême de l’U.R.S.S. du 29 août 1964 a levé les soupçons de collaboration qu’il avait fait peser sur la population, mais n’a pas levé l’interdiction, toujours en vigueur, de retourner sur les anciens lieux de colonisation. La population allemande a de nouveau essayé de convaincre l’État, le gouvernement et la direction du Parti de la nécessité d’une réhabilitation complète, politique et juridique, et d’un rétablissement de la République autonome de la Volga, ce qu’elle n’avait pas fait depuis l’amnistie de 1955. Jusqu’en 1964, on n’a pu noter que de simples requêtes émises par des particuliers ou des groupes non influents.
‘« Le problème du regroupement des familles montre de façon exemplaire que la négociation porte plus de fruits que les déclarations véhémentes en faveur des droits de l’homme et du droit à l’émigration. Cette constatation vaut tout autant pour les Allemands de l’U.R.S.S. qui bénéficient d’une tolérance accrue depuis quelques années. En 1957-58, les dirigeants de la R.F.A. avaient cherché à obtenir de l’U.R.S.S., au cours de dix mois de négociations extrêmement ardues, le droit de retour dans leur patrie pour tous les Allemands ayant possédé la citoyenneté allemande le 21 juin 1941 et leurs descendants. L’accord de rapatriement entre l’U.R.S.S. et la R.F.A. du 8 avril 1958 conclu sous la forme d’échange de déclarations orales que le gouvernement fédéral était seul à publier, avait apporté un certain nombre de résultats pour les Allemands restés en U.R.S.S. du fait de la guerre ou des déplacements de frontières intervenues à la suite du pacte germano-soviétique de 1939. En vertu de cet arrangement, complété en 1965 par un accord entre la Croix Rouge soviétique et celle d’Allemagne, environ 18 000 Allemands ont pu revenir en République fédérale » 286 . ’L’ambassadeur de R.F.A. à Moscou, en 1958, était M. Haas et faisait état à l’époque de 100 000 démarches diverses dont 80 000 demandes de sorties. L’année 1965 marqua la naissance du mouvement pour l’autonomie. Devant l’utopie d’un tel projet, certains se résignèrent rapidement et l’on assista à l’accroissement des mouvements migratoires dans les années 1970. En 1970, le recensement effectué en U.R.S.S. enregistrait plus de 1 800 000 citoyens d’origine allemande, sans compter les 20 000 Allemands des républiques baltes qui n’apparaissent dans aucune statistique officielle. Au cours des dernières années, les demandes de visas de sortie ont augmenté de façon significative et lors de la visite du Chancelier Schmidt à Moscou, en octobre 1974, les autorités soviétiques se sont engagées à assurer un quota de 3 500 à 4 000 permis de sortie pour les années suivantes. Ces chiffres furent dépassés dès 1975 avec près de 6 000 autorisations de sorties, et les années 1976-1977 connurent de nouveaux records, avec 9 700 et 9 300 départs légaux. Avec la Perestroïka et la Glasnost, le débat sur l’autonomie des Allemands s’est renforcé et est revenu au premier rang. Le mouvement pour l’autonomie des Allemands se déroulait relativement dans le calme, à la différence des mouvements pour l’autonomie dans les États baltes, en Crimée ou des conflits de nationalité dans le Caucase et en Asie centrale. Depuis 1987, les journaux de langue allemande ont commencé à traiter des thèmes tels que la République Socialiste Soviétique des Allemands de la Volga, les camps de travail, la déportation, le mouvement pour l’autonomie. La conscience nationale et le sentiment de fierté en furent tout naturellement renforcés et cela donna naissance aux premières revendications.
La question allemande, ou « Deutsche Frage », s’est posée également au Kazakhstan, à un tel point dans les années 1970 que les autorités ont parlé d’épicentre de cristallisation politique et culturelle au Kazakhstan central 287 . En juin 1979, un rayon allemand fut fondé dans le territoire de Tselinograd dont le centre était la ville de Ermentau. Une administration allemand fut constitué, avec à sa tête le premier secrétaire du Parti du territoire de Tselinograd, Andreï Braun. Cette mesure fut entreprise car Tselinograd regroupait de nombreuses familles allemandes présentes depuis plusieurs générations (depuis 1941). Cette création souleva une vague de mécontentement au sein de la population autochtone, en l’occurrence kazakhe. Ainsi, le 16 juin 1979, plus de 5 000 étudiants et enseignants kazakhs descendirent dans les rues de Tselinograd pour manifester, scandant des slogans en faveur de leurs intérêts nationaux : « le Kazakhstan aux Kazakhs » ou « le Kazakhstan est indivisible ». Ce mécontentement était d’autant plus virulent que les Kazakhs, minoritaires au Kazakhstan, ne représentaient que 36 % de la population totale et ne souhaitaient pas voir leur situation se dégrader. De ce fait, afin d’apaiser les esprits, le gouvernement et le rayon allemands furent dissouts, ce qui relança les demandes d’émigration des Allemands.
En avril 1988, parmi les différents groupes officieux pour l’autonomie, un groupe de travail composé de quatorze personnes s’est formé. Il devint par conséquent la troisième délégation et prit en charge les négociations avec la direction du Parti et le gouvernement. La quatrième délégation du mouvement pour l’autonomie a fait état, dans divers écrits, des différents problèmes rencontrés par les minorités durant son séjour en juillet-août 1988 à Moscou et a même proposé des solutions. On comprit alors que le mouvement avait gagné toutes les régions du pays, toutes les classes d’âge et surtout toutes les couches sociales. En 1989, on nota beaucoup d’activités autour du mouvement pour l’autonomie, ainsi que des signes du côté officiel qui laissaient entrevoir une chance de réhabilitation juridique et une opportunité de restructuration de l’autonomie d’ici la fin de cette même année. Fin mars 1989, les différents groupes décidèrent de se réunir en une seule association appelée Wiedergeburt (Renaissance), de son nom entier « Allunionsgesellschaft der Sowjetdeutschen Wiedergeburt für Politik, Kultur und Bildung », mais elle a aussi été surnommée « Zwischenstaatliche Vereinigung der Deutschen der ehemaligen UdSSR – Wiedergeburt », en abrégé Z.S.V.D. (en russe M.O.N.). L’association comptait en 2000 plus de 170 000 membres et est actuellement établie sur l’ensemble des territoires de la C.E.I. Ses objectifs sont le soutien, le maintien de la langue, de la culture et des traditions des Allemands de Russie, ainsi que la conduite de recherches sur l’histoire des Allemands de Russie. Le facteur de l’autonomie allemande est prépondérant dans le combat de l’association. Son nom, même s’il semble retranscrire une virulence politique, n’a rien de connoté si ce n’est qu’il traduit les tentatives effectuées pour une renaissance culturelle des Allemands de Russie. Son président est Hugo Wormsbecher*, qui pour sa part avoue qu’il se contenterait bien d’une autonomie même sans territoire. L’autre co-président, Heinrich Groth, est pour sa part favorable au rétablissement de la République de la Volga. Cette scission a fait que Hugo Wormsbecher et ceux qui adhéraient à ses opinions ont formé un nouveau groupe, l’association « Verband der Deutschen der UdSSR » en juin 1991, qui fut rapidement renommée en « Zwischennationaler Verband der Deutschen in der GUS » en raison des événements à l’époque. Même si, de prime abord, ces deux associations semblent s’opposer, elles n’en poursuivent pas moins des objectifs semblables, à savoir le rétablissement de la République autonome de la Volga ainsi que la création de rayons allemands dans les territoires à population allemande importante et concentrée. En octobre 1991, le congrès du conseil inter-États pour la réhabilitation des Allemands de Russie « Zwischenstaatlicher Rat für die Rehabilitierung der Russlanddeutschen », regroupant plus d’une centaine de représentants, fut rebaptisé « Zwischenstaatlicher Rat der Deutschen », soit en abrégé Z.S.R.D. Fut fondée à l’époque l’association « Internationaler Verband der deutschen Kultur », ou I.V.K.D., en russe M.S.N.K. Les efforts de toutes ces associations ont fait qu’en mai 1991, le parlement russe a voté une loi sur la réhabilitation des peuples opprimés.
L’association Wiedergeburt ne fut pas jusqu’à aujourd’hui enregistrée et donc reconnue par l’État, mais elle a été largement mise en avant par les problèmes qu’elle a soulevés et attira ainsi l’attention. Le 12 juillet 1989, la Chambre des nationalités du Soviet Suprême de l’U.R.S.S. délégua une Commission de recherche sur la situation des Allemands en U.R.S.S. Cette commission enquêta dans plusieurs colonies et fit part, dans un rapport au Soviet Suprême le 28 novembre, de la nécessité de rétablir l’autonomie. En théorie, le Soviet Suprême était d’accord sur ces éléments. La Chambre centrale du P.C.U.S. avait en septembre formulé ses vœux en matière de politique des nationalités, et le Soviet suprême d’U.R.S.S. déclara le 14 novembre 1989 que les déportations durant les années de guerre étaient contraires à la loi et étaient un crime contre l’humanité. Il exigea et garantit les droits des peuples déportés. Les populations russes qui étaient contre toute autonomie organisèrent de nombreuses manifestations près de Saratov et de Moscou et empêchèrent ainsi toute politique de progresser. Les discours anti-allemands étaient encore fréquents en mars 1991 ; des slogans se lisaient partout sur les murs de béton. Le ministère public n’est pas intervenu malgré les provocations et les insultes anticonstitutionnelles à l’encontre de l’appartenance nationale. Ces protestations ont conduit à un envenimement de la situation des Allemands résidant dans la région de la Volga et à l’émigration. L’association Wiedergeburt a de son côté exigé une attitude ferme et a conseillé lors de sa seconde conférence de janvier 1990 aux populations de partir, massivement, pensant que l’autonomie ne serait jamais acquise. Le durcissement des revendications entraîna une division du mouvement pour l’autonomie en un courant populaire conduit par H. Groth, et un mouvement placé sous l’égide du P.C.U.S. et dirigé par H. Wormsbecher. En 1990-1991, avec l’aide de ses membres, la direction du Parti et le gouvernement tentèrent de créer une autre association transitoire pour trouver une solution : l’idée d’une autonomie culturelle sans territoire fut émise. La majorité des délégués de la troisième conférence extraordinaire de l’association Wiedergeburt refusa cette proposition et se prononça en faveur d’un rétablissement de l’autonomie territoriale, comme seule garantie de la continuité du peuple allemand en U.R.S.S.
Les décisions pour l’avenir de la communauté allemande furent prises lors du 1er Congrès des Allemands soviétiques pour lequel le Conseil ministériel de l’U.R.S.S. créa un comité d’organisation. Le travail hésitant et non officiel de ce comité d’organisation, qui était composé de membres des autorités et de quelques Allemands, et l’instabilité inquiétante dans le pays, due à une méfiance grandissante parmi la population, eurent comme conséquence de repousser le congrès et d’entériner la division du mouvement pour l’autonomie. Le Congrès fut reporté du 11 au 15 mars 1991 à Moscou. Au sein des comités d’organisation régionaux, qui étaient soutenus par des députés du peuple et des autorités régionales du point de vue organisationnel et financier, des élections de plus de mille délégués eurent lieu. Le Gouvernement a ajourné le congrès le 7 mars. En effet, les décrets juridiques du Soviet Suprême de l’U.R.S.S. et du gouvernement n’étaient pas encore prêts. Malgré le report du congrès et la pression exercée sur les délégués, plus de 500 délégués élus se rendirent à Moscou. Sur la demande de l’association Wiedergeburt, on proclama symboliquement l’existence de la République Soviétique Socialiste Allemande de la Volga. Un Conseil provisoire fut formé pour régler les différents problèmes et veiller à la bonne application des résolutions prises. Le Ministre Gousiev déclara que ce congrès était illégal et que les décisions qui avaient été prises étaient caduques. Il annonça que la question de la République ou territoire allemand autonome en Union soviétique serait résolue avant la fin de l’année.
Ainsi, de nombreux Allemands de Russie au sens large du terme ont choisi de regagner leur patrie d’origine. Et on parle désormais d’un nouveau Berlin russe, pour qualifier cette grande communauté d’Allemands de Russie qui s’est constituée dans la capitale allemande, notamment dans le quartier de Marzahn, banlieue est de Berlin, à Marienfeld, ainsi qu’à Berlin-Mitte. On parle de près de 100 000 Allemands, pour la plupart des descendants d’Allemands de la Volga 288 . Les changements politiques en Europe de l’Est et l’effondrement du bloc de l’Union soviétique ont facilité pour beaucoup le retour dans le pays de leurs ancêtres. Ils reviennent aujourd’hui en Russes, partis jadis en Allemands. Berlin représente pour beaucoup l’eldorado. La plupart des derniers venus ne peuvent que rêver. Ils ont grandi avec l’image d’une Allemagne conte de fées et se découvrent souvent Allemands étrangers dans une Allemagne étrangère. Ils réalisent avec amertume que personne n’a besoin d’eux car dans ce paradis, il n’y a pas, ou peu, de travail. La situation est à l’exemple de Gennadi Bauer, qui dirige une auto-école berlinoise : « Les gens viennent du Kazakhstan, de Sibérie ou de régions éloignées de l’ancienne U.R.S.S. […]. Moi-même parfois, je dois m’y reprendre à deux fois avant de les comprendre ». Au Kazakhstan, Klara Zens conduisait un tracteur ; chez Gennadi Bauer, elle apprend à conduire un taxi et apprend tout ce qui s’y rapporte (mécanique, code de la route, etc.). Tous deux aiment parler et chanter. Gennadi est le fils d’une Russe et d’un soldat de la Wehrmacht et appartient à la première génération d’immigrants de l’après-guerre puisqu’il est arrivé en Allemagne dans les années 1970. Berlin est une ville magique pour beaucoup. Le mari de Klara Zens vient aussi du Kazakhstan où il était paysan. Paradoxalement, maintenant en Allemagne, ils parlent russe ensemble, chantent russe, la vodka et les pains russes étant sur la table chez eux ; mais aux journalistes et au quotidien, ils parlent allemand. De leurs résultats aux examens de langue allemande (très controversés comme nous le verrons plus loin) dépendra leur classement en émigrés d’origine allemande ou en étrangers. Il est moins facile pour eux de nos jours d’être reconnus comme Allemands que ce n’était le cas dans les années 1980. Leur situation peut être comparée à celles des Allemands de l’ancienne R.D.A. 289
Ce sont plus de 200 000 personnes qui arrivent chaque année d’où les mesures restrictives du gouvernement. Le processus d’intégration est complexe. Pour les plus jeunes, comme on parle de plus en plus rarement allemand dans ces familles mixtes kazakhes, russes et allemandes, les problèmes avec la langue sont fréquents, sans parler du fait qu’ils ont souvent suivi leurs parents contre leur gré. Si nous prenons l’exemple de la famille Krauss de Sibérie, les parents sont des anciens Allemands de la Volga. Le fils est allemand et la belle-fille est russe. Tous leurs biens sont restés sur place et ils n’ont pris avec eux que le strict nécessaire, et notamment des photographies de famille, recommençant à zéro en Allemagne. La mère a peur d’avoir le mal du pays. Beaucoup d’immigrés, à l’image d’Elvire et Heinrich Frank, retraités, se plaignent de la situation actuelle :
‘« Pour nous c’est bien ici, mais pas pour nos enfants […]. Mais les gens ne connaissent pas notre histoire. Ils pensent que tous ceux qui viennent de Russie sont des Russes. Que faire ? Un gouvernement qui accueille tout un peuple devrait au moins expliquer à son propre peuple qui sont ces gens-là ! » 290 ’Les Allemands d’Allemagne sont peu intéressés par le destin des Allemands de Russie. On sait peu de choses en Allemagne, en dehors des cercles scientifiques et historiens, du destin de ces compatriotes qui connurent en Russie au moment de la Seconde Guerre mondiale déportations et discriminations et se virent interdire de parler allemand ou de donner des cours d’allemand à leurs enfants. Ceux qui ont connu dans leur chair ce destin douloureux sont aujourd’hui peu nombreux.
Rares sont ceux, à l’instar d’Alexander Meider (qui possède l’un des plus importants complexes de sauna russe à Berlin), ont réussi leur intégration sociale et professionnelle. Une agence de quartier, dirigée par Alexander Reiser*, un Russe-Allemand de Vladivostok, conseille les nouveaux immigrants russes-allemands pour leur recherche de logement, de travail, voire d’emprunt bancaire. L’organisme tente de résoudre les inquiétudes et les conflits sociaux. A. Reiser, journaliste de profession à Berlin depuis cinq ans, se plaint des clichés et de la pression que la société exerce sur les immigrés de l’ancienne U.R.S.S. Pour se libérer de ses angoisses, il écrit des nouvelles pleines d’humour et répète sa maxime sans cesse : « On est suspendu entre deux mondes ». Nadejda, quant à elle, tient un café dans le centre de Berlin. Chanteuse, elle interprète ses chansons russes pour un auditoire qui, lorsqu’il était au Kazakhstan, ne rêvait que de chansons folkloriques allemandes. Presque personne n’exerce en Allemagne le même métier qu’en Russie ou qu’au Kazakhstan. Gennadi Bauer, ancien professeur d’histoire de l’art et aujourd’hui moniteur et directeur d’auto-école, déclare : « Dans ma génération d’immigrants des années 1970, on était très peu, on se connaissait tous. C’était toujours une joie de se retrouver ». Aujourd’hui, les immigrés se connaissent peu ou mal, bien que concentrés principalement dans les mêmes quartiers ou dans la banlieue dortoir de Marzahn. Pourtant, il y a des magasins russes qui fleurissent un peu partout dans la capitale, même à Berlin-Mitte, les plaques en alphabet cyrillique ne sont pas rares pour guider les arrivants. Hermann Schreiber, pour sa part, aime prononcer son prénom à la russe, Germann. Il cultive sa double origine avec fierté et son mode de vie à la russe bien que vivant depuis son plus jeune âge en Allemagne : « J’ai toujours parlé allemand et rêvé en russe. Allemand de Russie… Allez, adjugé » 291 .
Désormais, les Allemands de Russie de retour en Allemagne tentent de conserver leur culture russe. Ce n’est pas un paradoxe, car beaucoup d’enfants arrivés en Allemagne ne rêvent plus en russe. Pour éviter tout fossé entre les générations, des cours et des activités en russe sont mises en place le samedi pour les enfants. Ces derniers vont souvent au Kazakhstan ou en Russie en été, revoir leur famille restée là-bas. L’institutrice Erna Wormsbecher a eu l’idée de donner des cours de russe aux enfants à Berlin. Elle fait ses cours par idéalisme, selon elle. Au départ, elle a commencé avec les parents et avec des cours de langue allemande et s’est rapidement rendue compte que les enfants parlaient tous allemand ou l’apprenaient rapidement, aux dépends du russe, qu’ils oubliaient. « C’est important le russe pour l’intégration. L’intégration suppose aussi de ne pas oublier ce qu’on a déjà », déclare E. Wormsbecher, percevant le manque d’intérêt général pour l’histoire qui est la leur 292 .
Cf. B., MEISSNER, H., NEUBAUER, A., EISFELD, Die Russlanddeutschen, Gestern und Heute, Cologne, 1992, p. 47.
R. FRITSCH-BOURNAZEL, L’Union soviétique et les Allemagnes, Paris, 1979, pp. 248-249.
« Politischer und sozialer Schwerpunkt », C. BÖTTGER, Lexikon der Russlanddeutschen, Berlin, 2000, p. 39.
G. CONRAD, G. DENECKE, « Étrangers ici et là-bas (Dort ein Fritz, hier ein Iwan) », Arte, 2002.
On constate aujourd’hui que, dix ans après l’unification officielle, beaucoup de gens de l’Est continuent à se sentir différents de leurs compatriotes de l’Ouest. Un cinquième seulement d’entre eux ont vraiment l’impression d’être citoyens de l’Allemagne fédérale, selon une étude publiée récemment par l’institut de recherches sociologiques de Berlin-Brandebourg. Les trois quarts d’entre eux se définissent avant tout comme des Allemands de l’Est, bien que les perspectives d’avenir soient améliorées. Cela ne veut pas dire qu’ils souhaitent la restauration du régime de la R.D.A. 6 % seulement en ont la nostalgie (contre 10 % en 1997). Pour les chiffres, voir http://www.amb-Allemagne.fr
G. CONRAD, G. DENECKE, « Étrangers ici et là-bas (Dort ein Fritz, hier ein Iwan) », Arte, 2002.
Ibid.
Ibid.