I- 4.6.4. Les conditions nécessaires à l’obtention de la nationalité allemande

L’Allemagne de la fin du XVIIIe siècle connaissait une situation dont la politisation n’était pas marquée de l’idée nationale. Dans les écrits des membres de la Bildungsbürgertum d’alors (bourgeoisie cultivée), groupe en pleine floraison, la nation allemande était de moins en moins considérée sous l’angle traditionnel du Saint Empire et de plus en plus comme une entité apolitique, ethnoculturelle, un « empire interne » dira Schiller en 1801 ou une Kulturnation selon la formulation postérieure de Friedrich Meinecke. En Allemagne, tout l’accent était mis sur le Nationalgeist, esprit national défini en termes culturels et littéraires. Dans la pensée sociale et politique, l’ensemble doctrinal plus vaste et plus durable est pénétré de catégories fondamentales ; les nations sont conçues comme des individualités ayant leurs racines dans l’histoire, fruit d’un développement organique dont l’unité repose sur un Volksgeist (esprit de peuple) distinct, avec sa langue, ses coutumes, son droit, sa culture et son État. La conception ethnoculturelle était donc le produit d’une géographie politique et culturelle spécifique, et pourtant, cette même géographie, l’inextricable mélange d’Allemands et d’autres peuples, empêchait de fonder un État allemand sur une nation « ethnoculturellement » définie. L’explication instrumentale n’est pas valable pour ce qui nous préoccupe car dans le cas allemand, l’accès à la citoyenneté est restreint pour les non-Allemands mais ouvert pour les immigrés d’origine allemande. En allemand, la qualité officielle de membre d’un État, la citoyenneté au sens de la participation et de la qualité ethnoculturelle de membre d’une nation sont désignés par trois termes distincts : Staatsangehörigkeit, Staatsbürgerschaft et Nationalität (ou Volkszugehörigkeit).

Si le droit soviétique n’imposait pas la nationalité en vertu de la filiation (jus sanguinis) ou du lieu de naissance (jus soli), en revanche, le droit allemand était basé sur le jus sanguinis 304 . Le droit soviétique préservait le libre choix (critère subjectif) de la nationalité au moment de la délivrance de l’individu de 16 ans du passeport intérieur, soit en adoptant la nationalité de ses parents (sans parler du cas des nationalités différentes) soit en fonction de sa langue maternelle. En fait, dès l’entrée à l’école, une nationalité était attribuée à l’enfant sur les registres scolaires pour mieux apprécier ses aptitudes ou difficultés dans l’étude du russe. La nationalité se définissait en effet pour les Soviétiques aussi par un critère objectif : la référence à une langue qui pouvait être ou ne pas être la langue maternelle. La définition de la langue maternelle variait : c’est celle que l’on parlait couramment dans la famille (critère du recensement de 1926) ou celle que l’on maîtrisait le mieux (critère du recensement de 1959). Les autorités se réservaient en outre de fixer la liste des langues et nationalités reconnues propres à figurer dans le recensement : 194 en 1926, 97 en 1939, 126 en 1959 et 91 lors du recensement de 1969 305 .

Comme la République du Kazakhstan ne reconnaît pas la double nationalité, elle exige de ses ressortissants qui partent à l’étranger de renoncer à leur nationalité s’ils souhaitent postuler pour une autre nationalité. Jusqu’au 31 décembre 1995, la procédure administrative était lourde. Il fallait faire une déclaration de renoncement à la nationalité kazakhe, faire un nouveau passeport et verser l’équivalent de 120 DM comme frais de dossiers. Depuis le 1er janvier 1996, la procédure est simplifiée : il suffit de payer 600 DM en taxes pour renoncer à sa nationalité. Ces mesures doivent être obligatoirement enregistrées auprès des ambassades afin de permettre la sortie du territoire ou le retour provisoire prochain en territoire kazakh. S’il existe une mention contradictoire entre le passeport, le visa et les dossiers des ambassades, le demandeur peut être sanctionné et ne pourra plus voyager par retrait de passeport. Le décret du 33 octobre 1995 (article 21, § 4) mentionne que l’abandon de la nationalité n’est accordé qu’à une condition fondamentale : le demandeur doit prouver qu’il a bien résidé au Kazakhstan pendant les cinq dernières années et ne doit pas justifier d’une adresse permanente à l’étranger au préalable.

La législation allemande sur la nationalité, jusqu’en 2000, bien que remarquablement ouverte dans le cas des Allemands ethniques, était fermée dans le cas des immigrés non allemands. Les règles gouvernant la naturalisation 306 étaient strictes, le taux de naturalisation bas, mais plus lourd encore de conséquences était le système allemand de jus sanguinis pur. C’est en fait en 1913 que s’était cristallisé de manière stricte et conséquente la définition allemande de la nationalité comme communauté d’ascendance. La loi votée était restrictive à l’égard des immigrés et libérale pour les émigrants. Les Allemands résidant à l’étranger, les Auslandsdeutsche, pouvaient conserver leur nationalité indéfiniment et la transmettre à leurs descendants, alors que, jusque-là, tout Allemand résidant plus de dix ans hors du pays perdait sa nationalité. Chaque génération pouvait donc continuer à bénéficier de la nationalité allemande dès la naissance au titre du jus sanguinis. Toutefois, les choses étaient moins simples dans la pratique. La loi de 1913 facilitait aussi l’acquisition de la nationalité allemande par d’anciens citoyens ou par leurs descendants, même installés depuis très longtemps à l’étranger. Les Volksfremde ne pouvaient donc pas obtenir leur naturalisation, étant étrangers au peuple et à sa culture. Les Allemands d’origine devaient, eux seuls, avoir le droit de demander leur naturalisation. Ainsi, on leur rendait la démarche plus facile. Cependant, avec la demande de réintégration des Ausslandsdeutsche arrivait le nationalisme, qui n’était pas d’ordre intellectuel mais plutôt le fruit de pensées et de sentiments diffus concernant le Reich, la germanité (Deutschtum). Les plus anciens émigrants étaient partis sans idées de retour mais les temps changent. Le développement des moyens de communication, de transports, les changements politiques et économiques, la naissance d’une très vivante presse de langue allemande à l’étranger permettent désormais aux Auslandsdeutsche de conserver des liens avec la terre natale. Une forte conscience nationale était apparue et l’argumentation ethnoculturelle parlait de la préservation de la germanité à l’étranger. Jus soli et jus sanguinis, au sens strict, étaient des principes qui gouvernent l’attribution unilatérale de la nationalité par l’État et non l’acquisition volontaire d’une nationalité par un individu recourant à la naturalisation. Le jus soli étant rejeté en 1913, ce fut une célébration du droit du sang et le rejet du droit du sol, afin de préserver la liberté d’action de l’État et la liberté d’expulser les immigrés indésirables. Ainsi, dans le projet de loi initial, tout individu né d’un père allemand ou tout enfant naturel d’une mère allemande pouvait être citoyen allemand même si la naissance intervenait à l’étranger. Le jus soli définissait la communauté de citoyens comme communauté territoriale, le jus sanguinis comme commuanuté d’ascendants. L’affinité entre jus sanguinis et conscience nationale semblait donc plus forte. Le député conservateur Giese à l’époque déclarait que : « le jus sanguinis […] est parfait pour préserver et défendre le caractère völkisch (ethnonational) et l’essence germanique de l’Empire […] ».

L’action politique en faveur du Volksdeutsche vivant en dehors de l’Empire prenait des formes diverses : efforts purement culturels pour aider les écoles allemandes à l’étranger, la diffusion de la langue et de la culture allemande hors de l’Allemagne, demandes d’interventions de l’État en faveur de certaines minorités assiégées, le renouvellement des exigences de réintégrer au Reich des populations qui n’étaient exclues par le système bismarckien. Avec l’effondrement du IIIe Reich et le discrédit de l’idéologie nationale (völkisch), on aurait pu penser que la conception ethnoculturelle de la nation allemande connaîtrait un même discrédit ; pourtant, les circonstances particulières de l’immédiat d’après-guerre (effondrement total de l’État allemand, expulsions massives d’Allemands installés en Pologne et en U.R.S.S., division de l’Allemagne) allaient donner une nouvelle légitimité à cette conception et la renforcer encore. La dimension ethnoculturelle de la conscience nationale était nourrie par les expulsions brutales de populations allemandes en provenance d’Europe de l’Est et d’U.R.S.S.

Depuis 1988, cependant, le principe ethnoculturel de la législation allemande sur la nationalité est revenu sous les feux de la rampe, au fur et à mesure que s’affirmait le contraste entre le traitement réservé aux immigrés allemands et non allemands. Il y a d’abord eu le spectaculaire afflux d’Allemands de l’Est en 1989 et 1990 et ensuite, plus discret mais tout aussi massif, celui des Allemands venus d’Europe de l’Est et surtout d’Union soviétique, plus d’un million entre 1989 et 1991. Ce qui n’était au départ qu’une disposition constitutionnelle provisoire pour les réfugiés de l’après-guerre est devenu une véritable loi du retour pour ces immigrants venus de l’Est. Car à s’en tenir à une interprétation stricte des dispositions de la constitution, ces Allemands qui arrivaient de l’Est n’étaient pas des expulsés ou des réfugiés comme ceux qui avaient été chassés des pays communistes jusqu’en 1947. Il est vrai qu’une loi de 1953 définissait comme expulsés non seulement les populations d’origine allemande qui avaient fui devant l’avance de l’Armée Rouge ou avaient été chassés par elle, mais aussi tous ceux qui, en tant qu’Allemands ethnoculturels, seraient amenés à fuir un pays de l’Europe de l’Est même après la fin des mesures générales d’expulsion.

Il était par conséquent difficile de devenir Allemand. L’acquisition de la nationalité allemande pour un étranger marié à un ou une Allemande pouvait se faire en deux ans après le mariage et cinq ans de séjour ; mais pour les autres étrangers, les conditions étaient plus exigeantes : avoir séjourné au moins dix ans en Allemagne, croire en l’ordre démocratique et libéral et être honorablement connu. Les autres, et surtout les enfants de la seconde génération, scolarisés en Allemagne, restaient, comme leurs parents, des étrangers. Les demandeurs d’asile (Asylbewerber) bénéficiaient de la législation sur le droit d’asile en Allemagne, tout du moins en R.F.A.. Selon l’article 12, paragraphe 2, de la Grundgesetz (Loi Fondamentale, équivalent de la Constitution), « tous les persécutés politiques jouissent du droit d’asile », d’où l’afflux de demandes d’immigration. C’est pourquoi en mai 1993 le gouvernement allemand modifia la loi afin de restreindre le droit d’asile. Comment expliquer l’hostilité quotidienne à laquelle se heurtent les Aussiedler, les Allemands de souche nés à l’étranger mais souvent considérés comme des étrangers et parlant mal l’allemand ? Selon l’article 116 de la Loi Fondamentale, est allemand « quiconque possède la nationalité allemande ou a été admis sur le territoire du Reich allemand tel qu’il existait au 31 décembre 1937, en qualité de réfugié ou d’expulsé d’appartenance ethnique allemande, ou de conjoint ou descendants de ces derniers ». La loi du 3 septembre 1971 précisait dans ses paragraphes 1 et 3 la provenance géographique donnant droit au statut de Aussiedler et donc à la nationalité allemande. Et pourtant, ces Allemands de souche, en particulier ceux venus en 1988 déjà de Russie et du Kazakhstan, ne sont pas perçus comme tels, par exemple dans le Bade-Wurtemberg. Il faut néanmoins préciser que dans le Bade-Wurtemberg siègent de nombreuses associations de réfugiés, les Landsmannschaften, et notamment à Stuttgart la plus importante d’entre elles, Landsmannschaft der Deutschen aus Russland, implantée depuis 1950. La presse 307 parlait de climat de défiance, de rejet anti-étranger, de manque de compréhension. Les articles fourmillent sur ce thème. Dès 1988, plus d’un million d’Allemands de souche ont choisi de s’installer en R.F.A.

Tout récemment, en 2000, les conditions d’acquisition de la nationalité allemande ont de nouveau été modifiées afin de mieux répondre à la situation actuelle des immigrés. Un nouveau droit de nationalité est en vigueur en Allemagne depuis le 1er janvier 2000. Le principe traditionnel de la filiation, selon lequel seuls les enfants de parents allemands acquièrent la nationalité allemande, a été complété par un nouveau principe supplémentaire qui s'oriente sur le lieu de naissance. L'enfant qui naît en Allemagne de parents étrangers est, désormais, dès le début allemand, si les parents vivent ici à long terme. À sa majorité, il doit cependant décider s'il veut conserver la nationalité étrangère de ses parents acquise selon le principe de filiation ou la nationalité allemande acquise au titre du lieu de naissance (devoir d'option). Celui qui opte pour la nationalité allemande doit abandonner la nationalité étrangère, au moins que ceci est impossible ou non raisonnable. Il dispose, à cet effet, d'une période de réflexion expirant à ses 23 ans révolus. Les étrangères et étrangers adultes peuvent demander la naturalisation après huit ans au lieu de 15 ans jusqu'à présent. Les personnes naturalisées obtiennent les droits civiques pleins, tels que le droit de vote, la liberté d'établissement, le droit de choix professionnel ou la protection contre l'extradition et l'expulsion. Le service militaire obligatoire, ainsi que les obligations qui découlent d'une convocation en tant que jurée ou juré ou en tant que scrutatrice ou scrutateur leur sont également applicables. L'intégration avec tous les droits et devoirs et l'engagement dans la société sont de l’intérêt à tous. La modernisation du droit de nationalité est une offre d'intégration dans la communauté nationale. D'importantes exigences d'intégration, à savoir apprendre la langue allemande et reconnaître la loi fondamentale par exemple, en font plus que jamais partie.

Notes
304.

Voir ANNEXE LXIX : ce tableau synthétise les différences que nous venons de formuler entre le jus sanguinis et le jus soli.

305.

Voir Chapitre I.

306.

D’un point de vue très général, on comprend par naturalisation (Einbürgerung en allemand) un mode d'acquisition de la nationalité totalement discrétionnaire, le gouvernement accordant à l'étranger qui la sollicite une « faveur ».

307.

comme le journal Spiegel en date du 22/08/1988.