Afin de relativiser notre perception, la prise en compte du contexte historique, culturel et économique de cette immigration semblait intéressante. Il faut bel et bien inscrire une immigration donnée dans un continuum. Il nous a semblé intéressant de mener une réflexion théorique sur le concept d’intégration. Commençons d’abord par définir le terme d’intégration. Quels sont les éléments qui nous permettent de dire qu’une personne est ou n’est pas intégrée ? La conception contemporaine obéit à une logique d’égalité ou à une logique des minorités. C’est un processus scientifique qui « doit permettre de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents tant en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité » 310 . Sans nier les différences et en sachant les prendre en compte sans les exalter, c’est sur les ressemblances et les convergences qu’une politique d’intégration met l’accent, afin, dans l’égalité des droits et des obligations, de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de la société étudiée et de donner à chacun, quelle que soit son origine, la possibilité de vivre dans cette société dont les règles ont été acceptées et dont chacun devient un élément constituant.
La notion d’intégration est liée à l’établissement d’une interdépendance plus étroite entre les membres d’une société sur la base d’un cadre global de références, de valeurs communes, de droits et de devoirs définis préalablement. De plus, l’intégration suppose également un mouvement dialectique, allant successivement de l’étranger au national et vice-versa. Il faut que l’étranger, doté d’une culture spécifique, ait la possibilité d’éliminer les tensions dues aux différences entre son groupe d’origine et son nouvel environnement. Donc pour que l’étranger puisse s’adapter, intégrer le pays d’accueil, il faut qu’une adéquation soit possible entre culture d’origine et culture d’accueil et que les autres lui renvoient une image acceptable de lui-même. Mais il faut également qu’en contrepartie, il accepte les valeurs fondamentales de la société d’accueil. Tout individu confronté à une culture différente de la sienne met en place des stratégies d’adaptation. On peut en définir quatre selon la typologie de Carmel Camilleri, spécialiste en psychologie culturelle :
L’attitude la plus souhaitable, ou du moins, la plus adaptée, serait la dernière, mais elle nécessite un travail à plusieurs niveaux : pour les étrangers, elle suppose la compréhension par tous des valeurs de la société d’accueil et leur adhésion à ces valeurs ; pour la société d’accueil, elle repose sur l’ouverture vers d’autres cultures au moyen de rencontres et d’échanges. Enfin, elle doit s’accompagner d’un renforcement de la cohésion sociale afin d’éviter les inégalités et au-delà les conflits. Les élites et les différentes représentations sociales jouent un rôle important dans le processus d’intégration. Un regard sur l’immigration des Allemands de Russie nécessite une évocation de la répartition actuelle régionale sur l’ensemble de l’ancienne U.R.S.S. Elle est caractérisée par des points de colonisation compacts 311 . Cependant, nous pouvons préciser qu’il nous apparaît que le point central des nouveaux territoires de colonisation des Allemands de Russie est, depuis très récemment, clairement la Sibérie 312 . Le Kazakhstan fut jusqu’à la fin des années 1980 un centre d’installation important des Allemands de Russie. Là vécurent la plupart des Allemands de Russie, surtout dans le nord du pays au départ ; mais cela a changé dès 1989 en raison des départs définitifs pour l’Allemagne. Dans les territoires du nord, la population d’origine allemande recule fortement dans le territoire de Karaganda, mais aussi dans les territoires où la population était installée depuis bien longtemps, comme à Akmola et Pavlodar.
F. RAPHAEL, « L'intégration des étrangers dans l'Europe contemporaine », in Avancées, Strasbourg, 1996, n° 3, pp. 28-29.
Voir Partie I et ANNEXE LXII.
Rappelons que sur la base du recensement de 1989, dans lequel on note 842 033 personnes qui ont déclaré être d’origine allemande, il y avait 127 731 Allemands dans l’Altaï, 54 254 à Krasnoïarsk, 61 479 à Novossibirsk, 134 199 à Omsk, 47 990 à Kemerevo, 15 541 à Tomsk et 29 569 à Tioumen. Dans le territoire de la Volga, un des importants points d’installation avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait selon le recensement de l’époque comparativement moins d’Allemands (par exemple dans le territoire de Volgograd, 28 008 personnes, et 17 068 à Saratov) qu’avant, c’est pourquoi les points forts de concentration ont été ensuite repérés plus à l’est, après les différents déplacements de population. Néanmoins, se trouvaient dans ces nouveaux territoires de colonisation, bien avant les déportations, déjà des villages d’Allemands de Russie, mais en nombre infime. Nous pouvons citer par exemple les villages allemands de la steppe de Kulunda dans l’Altaï ou dans le territoire d’Omsk, où les colonies allemandes étaient présentes depuis déjà environ cent ans.