II- 1.1.2. Soutien de la langue allemande

Les associations allemandes ont toujours soutenu l’idée de protéger et de transmettre la langue maternelle. L’association Gesellschaft für deutsche Sprache (ou GfdS, Société de la langue allemande) existe depuis 1947 et œuvre en ce sens. Elle fut créée à Lüneburg et a toujours veillé au développement de l’allemand au sein des communautés allemandes hors d’Allemagne. Comme l’indiquait la rédaction de Neues Leben, l’association travaille aujourd’hui en étroite collaboration avec le Deutscher Akademischer Austauschdienst (D.A.A.D., Centre académique allemand d’échanges) 357 . L’association est aujourd’hui présente dans 25 pays, a 2 500 membres répartis dans 43 villes, dont Alma-Ata, qui est l’un des sites les plus anciens. Elle a également contribué à la réorganisation des systèmes scolaires. Depuis 1980, les conférences se succèdent pour essayer de définir des programmes d’enseignement de l’allemand comme langue maternelle. C’est un thème qui inquiétait beaucoup le gouvernement kazakh, car sur le territoire, il y avait une forte concentration d’Allemands par rapport aux autres républiques. Une commission avait été créée en 1975 à cet effet au sein de l’Académie des Sciences pédagogiques. Les journaux avaient largement pris part à la discussion, comme Neues Leben ou encore les éditeurs, comme par exemple Prosvestchenïe 358 .

Le problème se posait donc pour les classes de la 1ère à la 11ème. Le professeur Heinrich Klassen, en revanche, se prononçait pour un enseignement de l’allemand de la 5ème à la 11ème classe. La littérature ne serait étudiée qu’à partir de la 8ème, la traduction à partir de la 7ème et des domaines connexes (économie, droit) dès la 9ème. La méthodologie pour la réalisation des dissertations (travaux écrits longs) serait abordée dans les 10ème et 11ème classes. Le ministère de l’éducation souhaitait donc résoudre les problèmes suivants :

Nous pouvons aisément remarquer que les souhaits des autorités gouvernementales d’une part, et des Allemands soviétiques d’autre part, concourent au succès de l’instauration de l’allemand dans les programmes. Il aura fallu de longues années pour en arriver à ce stade. Mais nous pouvons alors nous demander, si effectivement ils sont parvenus à un consensus, pourquoi cela n’a pas encore été appliqué sur l’ensemble du territoire. Certains semblent vouloir résister encore et toujours. Nous avons pu constater qu’il y a beaucoup d’instabilité dans les cours d’allemand - langue maternelle. Eugen Warkentin a pu en témoigner de nombreuses fois en confiant ses témoignages à Neues Leben 359 . Il enseignait dans une école du rayon de Makinsk, dans le territoire de Tselinograd. La difficulté qu’il évoque le plus souvent est celle du manque de pratique de la langue chez les enfants. Chaque professeur confirme ses affirmations. Cependant, il arrive que dans de petits îlots culturels allemands, la langue allemande soit si bien préservée et transmise que c’est le contraire qui se passe : par exemple, à Rosa Luxemburg, un village situé à 100 km du centre du rayon de Makinsk, les enfants connaissent à peine le russe. Et ceci est un des grands arguments apportés en faveur de l’enseignement de l’allemand chez les fervents défenseurs de l’identité allemande : les parents doivent encourager leurs enfants pour qu’ils apprennent l’allemand. Le problème est que les enfants mélangent les langues, les alphabets et cela leur donne beaucoup de soucis. Vladimir Rohr est le directeur de l’école primaire dans ce même village. Lui et un professeur, Emma Voïtsekovskaïa, ont souvent eu à se plaindre de l’attitude des parents. Ils déplorent la nervosité que cela engendre dans les relations parents - professeurs, surtout avec les associations de parents d’élèves. Ils espèrent pouvoir instaurer à nouveau des cours d’allemand - langue maternelle et les maintenir durablement. Mais il semble difficile de convaincre en ce sens les parents qui ne voient pas l’avenir de leurs enfants construit ainsi. L’allemand est enseigné comme langue maternelle théoriquement jusqu’en classe de 8ème. Selon les professeurs, cela est préjudiciable car les enfants pourront en avoir bien besoin lors de la recherche d’un emploi, les connaissances en allemand étant de plus en plus appréciées. C’est donner une chance supplémentaire aux enfants que de pousser leurs connaissances linguistiques en allemand au maximum. Valentina Waal nous donne le point de vue des parents à ce sujet : il faut que les enfants aient la possibilité d’apprendre l’allemand à l’extérieur de l’école, et sinon qu’ils commencent dès la 1ère classe. Une autre mère d’élèves, Katharina Wachtel, était contre cette idée, mais elle a dernièrement expliqué que les temps ont changé et qu’il lui faut maintenant reconnaître que l’allemand est sa langue maternelle et qu’elle souhaiterait la transmettre à ses enfants. Les parents qu’elle côtoie se joignent à cet avis mais n’osent pas l’avouer, car faire suivre aux enfants des cours d’allemand - langue maternelle à l’école suppose une aide à la maison. Les parents disposent souvent de trop peu de temps pour cela ou ne sont pas assez sûrs de leurs compétences en la matière. Cette responsabilité n’incombe pas seulement aux parents. Tous connaissent l’histoire de leurs origines, de leur peuple et le présent, mais tous n’ont pas l’opportunité au quotidien de parler allemand, d’entendre de l’allemand parce qu’ils n’ont pas de vie culturelle allemande à proprement parler : aucun événement culturel, aucune littérature, ou tout du moins aucune accessibilité à ces éléments ou événements culturels. Connaissent-ils même suffisamment la littérature soviétique allemande, le théâtre, ou les personnalités marquantes ?

La rédaction du journal Neues Leben a fait un état des lieux. Les journalistes ont visité six écoles dans le rayon de Makinsk et toutes ont leurs problèmes. Les questions qu’ils ont posées au personnel enseignant au sujet des cours d’allemand-langue maternelle sont restées sans réponse. Ce n’est qu’à l’école de Nikolskoïe qu’ils ont obtenu des réponses : la directrice Nina Felde a expliqué qu’une jeune diplômée, Irene Romme, allait prendre en charge les cours d’allemand pour les élèves dès six ans. Cela devait déjà être le cas mais pour des raisons administratives et matérielles, la mise en place a pris davantage de temps. Le problème principal de Irene Romme est qu’elle n’a pas de programme pré-établi et qu’elle ne dispose d’aucune aide. Elle ne sait pas encore par quoi elle va commencer. A l’école n° 2 de Makinsk, les professeurs d’allemand, Ida Leibgarn et Kaman Alchanova sont au contraire plus enthousiastes. Les élèves apprécient déjà leurs cours. Les parents apprécient également que les cours commencent dès la classe préparatoire. Les enfants apprennent des contes, des chants populaires et font différents jeux. Les professeurs, pour une fois, se plaignent de la surcharge des groupes car les parents souhaitent que tous leurs enfants participent. La directrice, Ouliana Andouïenka ne sait pas comment elle doit enseigner l’allemand aux tout-petits. Est-ce obligatoire ? Doit-on commencer si tôt ? Telles sont les questions qui se posent dans les établissements où l’allemand a du succès. Cette attitude est paradoxale par rapport à ce que nous avons vu jusqu’à présent. Trois langues étaient enseignées à l’école : l’allemand, le français et l’anglais et trois langues niveau langue maternelle : l’allemand, le kazakh et l’ingouche ou galgay. Il était difficile d’organiser les cours, les emplois du temps, même si le nombre de langues enseignées n’était pas élevé par rapport à une école occidentale 360 .

En août 1957, lorsque le ministère de l’éducation de la République Socialiste Soviétique de Russie décide d’introduire des cours de langue maternelle en allemand selon un programme spécial pour les enfants allemands soviétiques, cela devait s’appliquer dès la rentrée scolaire 1957-1958 dans les écoles fréquentées par des élèves allemands si leurs parents en exprimaient le souhait. Quand dans les classes, il y avait des enfants de différentes nationalités dont des Allemands, les élèves des classes de 2e étaient répartis en plusieurs groupes et étudiaient l’allemand deux heures par semaine selon le programme défini. Jusque-là, l’allemand avait été inculqué aux élèves des classes de 5e et uniquement comme langue étrangère.

En somme, nous pouvons dire que la génération de plus de 60 ans a appris un dialecte comme étant leur langue maternelle dans leurs lieux d’habitation. Le hochdeutsch (allemand standard ou haut allemand) était enseigné à l’école et a joué un grand rôle en tant que langue administrative dans l’existence de la République des Allemands de la Volga. La génération dite « du milieu » n’a pas profité des cours scolaires d’allemand entre les années 1941 et 1955. L’ordonnance du Ministère de l’éducation de la R.S.F.S.R. du 9 avril 1957 a donc permis la réorganisation des cours dans une certaine mesure 361 . De plus, en raison du manque de professeurs (entre autres) le succès de ces efforts fut très mesuré. Les connaissances linguistiques en allemand de cette génération se limitaient principalement au dialecte. La génération de l’après-guerre eut enfin la possibilité, dans le cadre de cours scolaires réguliers, de choisir l’allemand comme matière d’enseignement. Certes, ils avaient perdu l’opportunité de bénéficier d’une éducation en famille en haut allemand, et nous pouvons aujourd’hui qualifier d’insuffisantes les connaissances linguistiques des jeunes Allemands de Russie. Cette tendance a été longtemps maintenue en raison de la qualité médiocre de l’enseignement de l’allemand et du manque de matériel pédagogique. Le russe devint donc la langue du contact et de la communication avec l’environnement russophone, un langage familier des Allemands éparpillés sur le territoire.

Notes
357.

« 50 Jahre im Dienste der Sprache », in Neues Leben, 14/03/1998, p. 5.

358.

in Neues Leben, 25/06/1986, p. 10.

359.

« Muttersprachlicher Deutschunterricht : Instabilität », in Neues Leben, 16/11/1988, p. 10.

360.

A. KAPPELER, La Russie, Empire multiethnique, Paris, 1994, p. 170.

361.

Id., p. 171.