II- 2.2. L’absence de système éducatif allemand de 1941 à 1956

En 1946, les enseignants allemands, qui revinrent du front et des camps de travaux forcés, n’ont pas tous repris leurs activités professionnelles dans l’enseignement. Beaucoup de ceux qui enseignent aujourd’hui sont des élèves de ces professeurs talentueux qui ont eu une influence positive sur les Allemands soviétiques et ont réussi à maintenir l’enseignement de leur langue maternelle, bien qu’elle n’ait alors bénéficié que du statut de langue étrangère dans les cours et n’était plus enseignée comme langue maternelle comme avant 1941. Cela est particulièrement marquant au Kazakhstan et en Sibérie. Voici quelques noms de ces jeunes professeurs, de pédagogues qui enseignèrent la langue allemande ou la philologie allemande dans les écoles supérieures et qui ont su prolonger le travail effectué par leurs prédécesseurs en matière linguistique. Certains ont disparu depuis ou sont en retraite : Pr. Zacher (Irkoutsk), W. Ekkert* (Krasnoïarsk), Pr. Dulson* (Tomsk), Victor Klein* (Novossibirsk), V. Wormsbecher (Novokouzniesk), Pr. Jedig* (Omsk), A. Kerbs (Tioumen), K. Welsch (Ielabouga), Pr. Heinrich Klassen (Oufa), Pr. Pankraz (Minsk), Pr. Herd (Rostov), F. Bellendir (Abakan), Pr. Wedel (Voronej), Dr. Kronewald (Nijni Tagil), Pr. Gourvitch. La plupart d’entre eux ont par ailleurs publié des ouvrages ou des recueils de germanistique ou des méthodes pour les professeurs de lycées ou de l’enseignement supérieur. Après la guerre, il ne s’agissait pas de réformer le système scolaire sur l’ensemble de l’Union soviétique comme cela a été le cas pour les Allemands de la Volga. Pour les Allemands du Kazakhstan, il fallait reconstruire un système ex nihilo 395 .

Dans toute l’Union soviétique, avant 1945, les enfants étaient sélectionnés au sortir de l’école primaire, et, comme dans le système en Allemagne, orientés ensuite vers des formations brèves préparant à une entrée rapide dans la vie active, soit vers des écoles de niveau intermédiaire permettant l’accès à des formations techniques de bon niveau, soit encore en direction de lycées permettant l’accès à l’université. Dans le cadre de la réforme scolaire de 1946, réforme qui fut passée sous silence à l’époque puisque l’existence de la minorité allemande n’était pas reconnue, les filières traditionnelles furent remplacées par une filière unique sur huit ans 396 . Furent instaurées plus tard, une fois le système mieux développé et dans les régions où la communauté était le mieux organisée, des pratiques de sélection des jeunes. L’éducation est devenue un véritable instrument de reconnaissance et d’intégration. C’est à Moscou que nous avons rencontré Ludmila Alexandrovka Ribakova, médecin à la retraite. Quelques mots sur son enfance nous apprirent beaucoup sur la situation qu’établirent rapidement les Allemands au Kazakhstan. Ludmila Ribakova racontait :

‘« Je suis arrivée au Kazakhstan à l’âge de sept ans, avec mes parents. C’était en 1930 à Alma-Ata. Nous nous rendions souvent dans deux autres villes plus au nord. Sur le chemin, on voyait des villages allemands, complètement isolés. Chacun avait son école, son église. Les villages se concentraient à l’époque autour des entreprises allemandes, principalement des usines de textile ou de papeterie. Les Allemands n’étaient pas du tout intégrés à la population soviétique. L’éloignement des villes soviétiques par rapport aux villages allemands, en général pas moins de 70 km, en était la preuve. Les hommes n’avaient pas le droit d’entrer dans les rangs de l’Armée soviétique, même si, en cas de guerre, il n’y avait plus d’hommes soviétiques disponibles. Je suis partie en 1941 parce que la situation devenait de plus en plus difficile pour ma famille. De plus, beaucoup de monde arrivait. Trop de monde. Des Allemands. Mais nous ne savions ni pourquoi, ni comment. Nous avions juste reçu l’interdiction de parler allemand en public – ce qui ne m’a pas empêché d’apprendre cette langue en cachette et de m’améliorer ensuite : j’ai appris cette langue en séjournant quatre mois en Allemagne pour mon métier. Nombreux sont ceux qui, de ma génération, parlent quelques mots d’allemand… Le Kazakhstan est un pays au climat varié. […] Il compte beaucoup de richesses. Le système éducatif est bien développé. Je ne saurais dire en détail ce qu’il en était pour les Allemands. Ce que je peux dire, c’est que beaucoup de jeunes Allemands étudiaient en même temps que mois à l’Université de médecine… mais en russe… » 397 .’

S’il est un pan culturel des Allemands au Kazakhstan qui fut difficile à reconstruire, c’est bien celui-là. Comme nous allons le démontrer maintenant, les Allemands de Russie n’ont certes jamais retrouvé de territoire autonome, mais ils n’ont pas non plus réussi à construire un système éducatif propre tel que celui la République de la Volga. Est-ce volonté délibérée des Allemands de ne pas se constituer un système propre ? Est-ce véritablement un échec de ne disposer que de sections allemandes au sein d’établissements kazakhs ? Telles sont les questions qui nous préoccupent à présent.

Notes
395.

« Es gibt im europäischen Teil der Sowjetunion keine geschlossenen deutschen Siedlungen mehr. […] Es gibt in der Zerstreuung keine deutschen Schulen mehr. […] Es gibt keine geschlossenen deutschen Kirchengemeinden mehr, keine Kirchen, keine Pfarrer, keine religiösen Bücher. […] Die bange und sorgenvolle Frage ist daher berechtigt : Wird dieses Deutschtum sich in fernen Zukunft als deutsche Volksgruppe erhalten und behaupten können ? », in Russlanddeutschen, 200 Jahre unterwegs, K. STUMPP, Stuttgart, 1993, p. 40.

396.

R. BRETON, Géographie des Langues, Paris, 1976, p. 12.

397.

Entretien enregistré accordé par Mme Ludmila Alexandrovka Ribakova, Moscou, 15/02/1998 (traduit du russe par nos soins).