II- 3.1.2. L’enseignement primaire

Les écoles sont pour la plupart d’enseignement général. Rares sont les écoles spécialisées pour les très jeunes 403 . Dans leurs relations avec les groupes nationaux, les autorités soviétiques avaient élaboré un certain nombre de principes fondamentaux. Elles ne leur accordaient aucune indépendance dans le domaine idéologique, politique, économique ou social ; elles ne toléraient même aucune déviation de la ligne officielle en ces matières. En même temps, les dirigeants soviétiques accordaient aux nationalités une sorte d’autonomie culturelle, affirmant que leur culture devait être « nationale par sa forme et socialiste par son contenu ». Par forme, il faut entendre la langue et les traditions culturelles du peuple en question. Staline et le Politburo entreprirent de mettre à l’honneur la langue russe, et le rôle historique du peuple grand-russe, de manière à cimenter l’unité de leur État multinational. Cette tendance, que nous désignerons de « russification », se poursuivit pendant la Seconde Guerre mondiale et l’après guerre. Les Allemands d’U.R.S.S. durent remplacer l’alphabet latin par le cyrillique et l’étude du russe devint une matière essentielle dans toutes les écoles soviétiques. Le système éducatif après 1945 proposait le baccalauréat soviétique (attestat ) mais ne délivrait plus de diplôme allemand depuis 1941. Après avoir expérimenté différents systèmes d’éducation nouvelle et appliqué des méthodes parfois très audacieuses en matière d’enseignement et d’ouverture de l’école sur la vie dans les années 1920 à 1930, la pédagogie est revenue aux pratiques les plus traditionnelles et les plus strictes du point de vue de la discipline. L’accent est alors mis sur l’apprentissage et la récitation des leçons, avec une énorme quantité de devoirs à la maison. Les programmes insistent sur les mathématiques, les sciences, physique et chimie, la biologie et l’astronomie, la géographie et le dessin. Néanmoins, l’étude de la langue maternelle, la littérature, les langues étrangères et l’histoire ne sont pas négligées. Beaucoup d’étudiants effectuent un stage de deux ans en entreprise (souvent agricole) avant d’entrer dans des études supérieures 404 . Il existe aussi des écoles spécialisées pour les enfants doués sur le plan musical ou artistique, des écoles militaires.

Dans les années 1950, voici quels étaient les chiffres sur le recensement des écoles : dans la République russe, il y avait 8 022 écoles d’enseignement général et 2 013 au Kazakhstan. Combien y avait-il d’écoles allemandes au Kazakhstan ? Officiellement, aucune 405 . En général, 50 % des élèves qui fréquentaient les écoles d’enseignement général étaient d’origine allemande, puisque les classes de vingt élèves en moyenne, comptaient dix à quinze élèves allemands, ce qui semblerait un chiffre suffisant pour justifier l’ouverture d’écoles allemandes spécifiques. Cependant, ces créations étaient inenvisageables selon les contraintes imposées par le Ministère kazakh de l’éducation. En fait, le manque de moyens, de matériel et de professeurs empêchait toute création d’écoles ou ouverture de classes. À notre sens, ce sont plutôt des classes allemandes greffées sur le système soviétique qui se développèrent. Les Allemands du Kazakhstan tentèrent ainsi de résister à la tentative d’uniformisation et de russification qui gagnait tous les pays d’Union soviétique. Néanmoins le fonctionnement des classes allemandes était encore hésitant :

‘« Actuellement, il y a dans presque chaque centre du territoire des clubs ou plutôt des associations d’Allemands soviétiques. Lors des premières réunions, les membres exprimaient encore douleur et nostalgie. Il fallait qu’il en soit ainsi. Désormais, il s’agit de prendre des décisions, d’être plus actif et promouvoir des activités autour de l’allemand dans les jardins d’enfants, d’élargir les groupes assistant aux cours d’allemand-langue maternelle. Il est également temps, aujourd’hui, de faire un nouveau pas en avant, en l’occurrence en ouvrant des classes et des écoles entières dans lesquelles la langue d’enseignement serait l’allemand. Toutes les conditions sont réunies. Mais, comme toujours, la volonté des parents d’envoyer leurs enfants dans une école allemande fait défaut » 406 .’

Chaque colonie s’efforçait de fonder une école selon ses moyens. L’enseignement se répandit avec rapidité dans tous les villages. Certaines personnes se sont ainsi distinguées, souhaitant aider les enfants à apprendre à lire et à écrire en russe et en allemand et à enseigner aux paysans et faire qu’ils abandonnent la religion orthodoxe s’ils l’avaient adoptée. Il faut souligner ici, mais nous le reverrons plus loin, que l’élément religieux n’était que le point de départ d’une réorganisation de la vie sociale et économique sur des bases nouvelles et en aucun cas le seul pilier de reconstruction de la communauté allemande. Il s’agissait plutôt des événements réunis (comme le mécontentement général concernant les difficultés du quotidien, le besoin de retrouver les acquis d’autrefois, le désir ardent qui animait le peuple allemand du Kazakhstan de créer des formes d’existence sociale plus convenables et plus avantageuses) qui firent naître ce mouvement de renaissance. Toutefois, en raison du petit nombre d’écoles créées dès le départ dans les campagnes kazakhes et de la pauvreté qui y règnait, les structures religieuses offraient une meilleure instruction, tant du point de vue du contenu que du matériel. En l’absence d’écoles de l’État dans les villages, les groupes s’organisaient et créaient donc des écoles à leurs frais, souvent clandestinement, à l’insu des autorités qui les surveillaient. Ils organisaient l’enseignement dans des maisons particulières avec le concours des instituteurs itinérants, dont nous parlerons également plus loin, qui portaient leur activité de village en village.

L’organisation allemande au Kazakhstan, qui n’avait rien de novateur, était donc fondée sur des cycles de plusieurs années. Les années regroupées dans des cycles constituaient des itinéraires cohérents, dotés d’objectifs clairs, que les élèves pouvaient parcourir à des vitesses différentes. Le cycle des premiers apprentissages commençait à huit ans. Avant cet âge, rien n’était prévu, il n’existait pas de crèches, les enfants étaient donc gardés et élevés par la famille. La plupart des mères restaient au foyer et s’occupaient d’élever leurs enfants. Si l’une d’entre elles travaillait, une voisine se chargeait de garder les enfants. Les deux cycles suivants d’apprentissages fondamentaux et d’approfondissements étaient de durée modulable selon les besoins et les capacités de l’enfant. L’important était d’adapter les rythmes d’apprentissage aux rythmes de chacun de sorte que chaque enfant ait atteint le niveau exigé à la fin du cycle. Il arrivait que des professeurs rendaient visite aux élèves malades pour des cours particuliers. L’entraide entre les élèves était aussi très importante, mais la lutte pour la première place tout aussi rude. L’adaptation des enseignements aux rythmes des enfants supposait une organisation des classes en groupes, qui pouvaient varier selon les disciplines. Nous noterons que ce système a mis du temps à se développer car les classes avaient toujours été conçues comme un tout homogène.

Régulièrement, des fêtes étaient organisées dans les écoles. Les chants populaires et traditionnels allemands étaient la principale animation de ces fêtes, avec les danses. Beaucoup d’enfants appartennaient à des ensembles folkloriques, comme l’ensemble allemand de Novossibirsk et participaient à des spectacles dans les villages environnants. Les ensembles musicaux étaient très réputés au Kazakhstan, surtout celui de Djamboul, appelé « Lorelei ». C’était un groupe assez polémique : certaines chansons du répertoire furent parfois censurées. En effet, certains chants entonnés représentaient des hymnes en l’honneur des Allemands de Russie ou mettaient en musique le destin tragique des Allemands de Russie, comme en 1976 avec « Volkskunstkollektiv » 407 (ou collectif d’art populaire), ce qui déplaisaient aux autorités. Les fêtes populaires ont toujours été une façon de s’affirmer et de vivre dans le respect des traditions. La plus grande fête en l’honneur des enfants et des écoles était le jour de l’enfant, le 1er juin. Cette journée fut instaurée en 1949 en U.R.S.S. Cela a toujours été l’occasion d’organiser de grandes manifestations populaires. Cette journée était censée contribuer au bonheur des enfants 408 .

Le système scolaire est donc, après la Seconde Guerre mondiale, le même dans l’ensemble des républiques de l’Union soviétique. Les élèves sont répartis en trois niveaux de cours, selon la dernière réforme scolaire de Khrouchtchev du 24 décembre 1958 409 , un système identique à celui existant avant 1939, comme nous l’avons déjà précisé :

‘« L’organisation des cours était à la charge, dans chaque république parallèlement à l’organisation générale pour les matières libres, du Ministre de l’éducation, mais aussi des départements de l’éducation au sein des administrations régionales (kraï), et territoriales (oblast), ainsi que des départements de l’éducation au sein des administrations des rayons et des villes. Chaque république autonome de l’Union a sa propre langue nationale d’enseignement, dans laquelle (du moins en théorie) on enseignant dans les écoles primaires et secondaires. Dans les classes nationales mixtes, en règle générale, la langue d’enseignement était le russe » 411 . ’

Nous allons maintenant analyser l’enseignement secondaire et supérieur général kazakh et tenter de montrer dans quelle mesure les Allemands ont pu en bénéficier.

Notes
403.

Ces établissements spécialisés étaient surtout orientés sur les arts ou l’agriculture par exemple. La diversification des spécialisations et la pluridisciplinarité n’est apparue que très récemment dans le système scolaire kazakh, l’instar de l’école d’éducation esthétique créée au sein du centre pour les jeunes d’Alma-Ata en 1990, où l’on enseigne la musique, la danse, l’art, les langues étrangères et l’éthique, in Freundschaft, 1/5/1990, p. 4.

404.

Cf. R. KORN, « Das deutsche Schul- und Bildungswesen in Russland und in der Sowjetunion », in Deutsche Allgemeine Zeitung, n° 126-131-135-150-156-161-167-171-181-186-191, 1991.

405.

in Freundschaft, 15/6/1990, p. 2.

406.

H. JAKOBS, « Eine deutsche Schule, wie wir sie uns heute vorstellen », in Freundschaft, 20/9/1989, p.1 : « Zur Zeit gibt es in fast jedem Gebietszentrum Klubs bzw. Gesellschaften der Sowjetdeutschen. Auf den ersten Sitzungen hatten sich die Menschen vorwiegend ihren nagenden Schmerz von der Seele gesprochen. Das musste wohl so sein. Jetzt aber heißt es, entschiedener zu handeln, sich aktiver für die Einführung von Deutsch-Beschäftigungen in Kindergärten, für die Erweiterung von Gruppen mit muttersprachlichem Deutschunterricht einzusetzen. Es ist heute auch schon Zeit, einen weiteren Schritt zu unternehmen, nämlich Klassen und ganze Schulen mit deutscher Unterrichtssprache zu eröffnen. Alle Voraussetzungen dazu sind vorhanden. An einem mangelt es nach wie vor – am Wunsch der Eltern nämlich, ihre Kinder in eine deutsche Schule zu schicken ».

407.

in Neues Leben, 17/6/1987, p. 1.

408.

in Freundschaft, 30/5/1986, p. 4.

409.

Point qui fut précisé dans la réforme scolaire de janvier 1984 de M. Gorbatchev. Voir ANNEXE LXXVII, Réforme du système scolaire de janvier 1984.

410.

Cette division en trois niveaux englobe donc 11 classes, dont la dénomination est d’ordre croissant, comme en Allemagne, à la différence de la France. Cf. WERTH, N., Histoire de l’Union soviétique : de l’Empire russe à l’Union soviétique, 1900-1990, Paris, 1990, p. 39 : « La loi du 24 décembre 1958 substitue à l’ancien système scolaire qui comportait un double cursus – scolarité obligatoire de sept ans conduisant à la vie professionnelle, ou une scolarité complète de dix ans – une scolarité unifiée de huit ans, au terme de laquelle les écoliers étaient contraints de travailler dans les usines ou dans l’agriculture pendant trois ans, tout en poursuivant des études s’ils le désiraient. Le passage par la production devient une condition absolue d’accès à l’université, qui doit réserver un nombre croissant de places aux travailleurs et établir un système complexe de passerelles entre entreprise et enseignement ». La réforme est mal reçue dans les nouvelles couches supérieures surtout et provoque une hostilité générale, les couches inférieures parlant d’un ouvriérisme déplacé.

411.

« Die Unterrichtsverwaltung besteht in jeder Republik parallel zur allgemein Verwaltung auf frei Ebenen aus dem Minister für das Bildungswesen, aus den Abteilungen für die Volksbildung bei der Verwaltung der Regionen (kraj) und der Gebiete (oblast), sowie aus den Abteilungen für die Volksbildung bei den Rayon- und Stadtverwaltungen. Jede Unions- und Autonome Republik hat ihre eigene nationale Unterrichtssprache, in der – wenigstens theoretisch – sowohl in den Grund- als auch in den Mittelschulen unterrichtet wird. In gemischtnationalen Klassen ist jedoch in der Regel Russisch die Unterrichtssprache », Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 100.