Départements allemands dans les instituts pédagogiques

Dès 1957 la formation de professeurs pour les cours d’allemand-langue maternelle débuta. Le cours étant introduit dès la deuxième classe, il s’agissait de former suffisamment de professeurs, pour ensuite introduire les cours dès la première classe. Les départements d’allemand, en fait des départements russes dans lesquels l’allemand était une extension du programme, furent ouverts dans les collèges pédagogiques d’Issilkul (territoire d’Omsk), Orenbourg (Oural), Slavgorod (Altaï) et Saran (Kazakhstan). Le russe prenait une place importante dans l’enseignement, les professeurs devaient donc donner les cours aussi bien en russe qu’en allemand. Le programme comprenait des matières telles qu’orthographe, écriture, lecture, conversation, restitution de textes, grammaire, littérature allemande. Les autres matières étaient dispensées exclusivement en russe.

Durant les quinze premières années de leur existence, les départements d’allemand eurent une force d’attraction impressionnante, si bien que dix à douze candidats se présentaient pour une seule place. Puis l’intérêt que les candidats leur portaient diminua puisque les jeunes diplômés ne trouvaient pas forcément un poste à leur sortie près de leur région d’origine, mais devaient s’expatrier dans d’autres régions, souvent non germanophones. Par ailleurs, les professeurs affectés dans les régions germanophones n’avaient souvent pas suivi la formation nécessaire pour enseigner l’allemand. L’attribution des postes était à première vue hypothétique. De notre point de vue, la situation n’avait rien d’aléatoire mais reposait sur une volonté du gouvernement soviétique d’enliser l’enseignement de l’allemand, selon une politique de russification et d’assimilation plus ou moins avouée. Cela étant, leur cursus terminé, leur nomination effectuée, les professeurs avaient la possibilité d’intégrer, au sein des villes ou villages où ils étaient envoyés, des habitations qui leur étaient réservées, et donc d’avoir des conditions de vie très correctes dès le début de leur carrière.

En 1960, il n’y avait au Kazakhstan (comme au Tadjikistan ou au Kirghizstan) aucun établissement de formation de professeurs, encore moins de professeurs d’allemand. Les administrations scolaires recommandaient aux jeunes bacheliers de s’adresser directement aux départements d’allemand de Slavgorod ou de Novossibirsk, donnant ainsi l’impression que l’administration scolaire kazakhe était moins performante, bien que les professeurs locaux aient alors disposé d’une plus grande marge de manœuvre dans leur pratique enseignante. Au Kazakhstan, personne ne semblait se soucier du sort de la langue allemande, et encore moins de son enseignement. Fin 1960, le Ministère de l’Éducation kazakhe, basé à Alma-Ata, a détaché un professeur, Dietrich Friesen* comme inspecteur scolaire dans tous les territoires 444 . Sa tâche était de visiter les écoles, d’exiger et de veiller à la mise en place des cours d’allemand, de conseiller les professeurs d’allemand et d’introduire des cours de formation continue pour ces enseignants. La République kazakhe devait ainsi suivre la tendance des autres républiques de l’Union. Le correspondant local du journal Neues Leben, également professeur à l’établissement d’enseignement supérieur de langues étrangères d’Alma-Ata, E. Messerle, ainsi que les professeurs E. Kontschak et R. Roth ont soutenu D. Friesen dans sa tâche. Leurs rapports à l’issue des visites des écoles ont donné lieu à de larges débats et le ministre kazakh de l’éducation a été rappelé à l’ordre par Moscou pour ne pas avoir été capable de mettre les mesures en application. De toute façon, la situation kazakhe en matière d’enseignement de l’allemand était dès le départ vouée à l’échec en raison du manque cruel d’enseignants. Souvent, les professeurs en place exprimaient leur mécontentement, comme J. Friesen qui rédigea un article intitulé « Neues Schuljahr – alte Sorgen » 445 . À la rentrée scolaire 1962/1963, nombreux étaient ceux qui se plaignaient du manque de professeurs. À défaut, l’allemand n’était parfois plus enseigné pour les classes supérieures. Cependant, le nombre d’élèves intéressés par l’allemand ne cessait d’augmenter. Deux propositions furent formulées pour résoudre le problème :

  1. d’une part, pendant l’année scolaire en cours, d’ouvrir un voire deux départements allemands au sein des instituts de formation de professeurs pour le collège et d’ouvrir un département allemand au sein de l’institut de langues étrangères d’Alma-Ata pour les professeurs des classes supérieures.
  2. D’autre part (en alternative éventuellement), de former des professeurs d’allemand selon le programme en place à Slavgorod, Orenbourg ou Novossibirsk, Alma-Ata et Karaganda et de ne pas ouvrir de départements d’allemand au sein d’établissements existants mais de fonder des établissements spéciaux, à part.

En avril 1963, le ministère assura que les mesures nécessaires à la mise en place de ces propositions étaient en cours. Il restait néanmoins à savoir si cela allait suffire pour résoudre le problème et si les professeurs pourraient sur le terrain mener à bien leur travail. Dans la ville industrielle de Balkhach, sur le territoire de Karaganda, environ 53 000 habitants étaient Allemands en 1963. Anna Enns, professeur en place, menait énergiquement les cours d’allemand avec ses collègues depuis 1960, selon le programme ministériel, dans la majorité des écoles de la ville. Bien que n’ayant trouvé que peu d’écho auprès des administrations scolaires et des dirigeants des établissements scolaires et n’ayant obtenu aucun soutien, les enseignants ont réussi à mener à bien l’année scolaire 1960/1961. Cependant, à la rentrée suivante, les élèves allemands de 5ème ont été mélangés aux autres élèves et ont recommencé le programme d’allemand au début, plutôt que de rester dans des classes spéciales bénéficiant du programme d’allemand – langue maternelle. Aussi, beaucoup d’élèves ont perdu tout intérêt dans la matière. L’allemand – langue maternelle n’était en effet plus enseigné aux classes supérieures par manque de moyens. A. Enns s’est plainte de cette pratique appliquée par les directeurs d’écoles et ses critiques ont été reprises dans le journal Neues Leben. La plainte fut relayée jusqu’au ministre, lequel écrivit au directeur du département de l’éducation de Balkhach.

Le 1er septembre 1962, dans les écoles de la ville furent ouverts des cours d’allemand – langue maternelle, selon le souhait des parents et si le nombre d’élèves allemands était suffisant. Cinq écoles étaient en fait concernées. Neues Leben établit un rapport sur les réussites et les échecs de cette mise en place. A. Enns poursuivait ses efforts et fit le 15 novembre 1962, dans ce même journal, un constat simple : pendant l’été, elle avait rendu visite à des collègues de l’Altaï, commandé des ouvrages à Moscou et avait repris les cours en septembre 1962 avec enthousiasme (c’était la 6ème année après l’entrée en vigueur du programme ministériel). Cependant, dans les autres écoles de la ville, les cours d’allemand n’ont pas repris. Le département d’éducation de la ville avait bien pris en compte les exigences du ministère d’Alma-Ata, mais « il manquait des professeurs ». Il n’était pas possible de nommer des professeurs de langue maternelle quand il manquait déjà des professeurs de langue étrangère en allemand. Les exigences du ministère kazakh ne furent donc pas respectées.

Quelles furent les conséquences de ces défaillances sur le système éducatif, et notamment sur l’apprentissage de l’allemand ? Il nous est impossible d’estimer avec justesse le nombre d’élèves qui bénéficiaient dès 1957 de cours d’allemand – langue étrangère 446 . En effet, les chiffres à notre disposition, provenant des départements des territoires, sont largement critiqués dans une ordonnance du Ministère kazakh en date du 17 avril 1959. Les chiffres ne sont pas vérifiables, car cours de langue étrangère et langue maternelle sont mélangés dans ces statistiques, ainsi que les résultats aux examens de ces matières respectives. Un seul rapport officiel a été publié dans les années 1960 sur la situation des cours d’allemand dans le territoire d’Alma-Ata, rapport visé par le ministre kazakh de l’éducation A. N. Chtchterbakov. Entre 1955 et 1960, il y a eu sur ce territoire 4 275 élèves répartis en 238 groupes d’allemand. Durant l’année scolaire 1961/1962, 4 875 élèves furent recensés. Cependant, nous pouvons reprendre le constat suivant, selon lequel il est évident que le manque de considération porté aux cours d’allemand - langue maternelle a nui à la langue elle-même et à l’ethnie tout entière :

‘« Dans tous les cas, au final, la mauvaise et fatale décision a eu pour conséquence que le cours d’allemand-langue maternelle n’est pas un élément fondamental du programme d’enseignement et qu’on n’a pas non plus créé pour le groupe ethnique allemand d’école avec un cours en langue maternelle pour les enfants, ce qui est le cas pour les autres peuples de l’Union soviétique et ce qui serait en adéquation avec la Constitution » 447 . ’

D. Friesen va même plus loin :

‘« Tous les organes éducatifs doivent accorder une attention particulière à la langue allemande comme langue maternelle. Pour les enfants allemands, l’allemand doit être la langue d’enseignement dès la deuxième classe ; les notes pour l’allemand doivent être reportées sur les bulletins scolaires. Les élèves ne doivent pas être pénalisés par l’introduction d’un cours d’une troisième langue étrangère (en plus du russe et du kazakh, avec par exemple l’anglais). De plus, dans tous les groupes scolaires, il est recommandé de créer un groupe d’inspection bénévole composé de professeurs expérimentés, de professeurs des hautes écoles et d’affecter à cette tâche bénévole des professeurs retraités » 448 . ’

Nous verrons donc, plus loin, comment les Allemands ont tenté de redresser le système de formation de professeurs d’allemand et ainsi d’améliorer l’enseignement de la langue allemande. Il est néanmoins nécessaire de préciser ici que la pédagogie tient une place fondamentale dans le système éducatif russe depuis longtemps. C’est une matière à part entière enseignée en faculté. Cela équivaudrait aux sciences de l’éducation comme on les connaît actuellement en France, et les instituts qui les enseignent, dits pédagogiques, sont des établissements de formation d’enseignants. Eugen Warkentin* a rédigé de nombreux rapports sur le sujet. En décembre 1988, il a d’ailleurs obtenu un entretien avec un éminent professeur de sciences de l’éducation, Viktor Ritter, qui dirige le département d’éducation à Vosvitchenka dans le nord du Kazakhstan 449 . Voici ce qu’il en est ressorti. Il semble que les départements de sciences de l’éducation, et particulièrement à Vosvitchenka, manquent de cohésion. Un conseil de département a été fondé courant 1988 afin de résoudre les problèmes du département mais la mise en application des décisions est difficile voire impossible. Il manque des professeurs. Il est donc très délicat de prétendre former des professeurs à l’enseignement des sciences physiques, des mathématiques ou encore de l’allemand car les futurs professeurs n’ont pas de cours dignes de ce nom. Parce que les départements ont des possibilités financières très restreintes, souvent les chairs de professeurs d’université restent vacantes alors qu’il y a des jeunes professeurs diplômés sans poste. Le problème est que l’on ne pourrait ni leur verser de salaire, ni leur verser d’aides financières compensatoires. Le résultat est que les jeunes qui souhaitent entrer dans l’enseignement gagnent d’autres villes, comme Alma-Ata, Koktchetav ou Semipalatinsk au lieu de Petropavlovsk pour ne prendre que cet exemple. Pour ceux qui ont la chance de pouvoir bénéficier d’une formation puis de pouvoir enseigner, d’autres soucis interviennent : les programmes non fixés à l’avance, le manque de matériel que nous avons souligné à plusieurs reprises et les salaires bas, comme nous le verrons plus loin. Il leur faut donc beaucoup de motivation et d’enthousiasme, de passion pour se lancer dans le métier.

Si la préparation des livres scolaires allemands n’était pas satisfaisante après ces six premières années, la formation d’enseignants qualifiés pour les cours d’allemand connut de grandes difficultés et nécessita encore davantage de travail au Ministère. Le Ministre de l’éducation d’Union soviétique tenta par deux façons de résoudre ce problème :

  • par la reprise d’activité des anciens professeurs ;
  • par la formation de jeunes professeurs en nombre important.

Notes
444.

Voir ANNEXE LXXX : rapport sur les cours d’allemand par D. Friesen, en 1960.

445.

in Neues Leben, 13/09/1962 n° 15,.

446.

Pour l’année scolaire 1958-1959, en ce qui concerne le Kazakhstan, les données chiffrées sont inexistantes à notre connaissance. Cependant, nous savons que dans le territoire de Tselinograd, de 1965 à 1967, le chiffres des élèves est passé de 3 318 dans 159 écoles à 1 175 dans 59 écoles. La même constatation est faite à Aktioubinsk où le chiffre est passé de 1 593 à 790 élèves. B. Pinkus évalue le chiffre des enfants allemands au Kazakhstan à 162 000 soit 19 % de la population locale au début des années 1970. cf. Freundschaft, 11/04/1967.

447.

« Letzten Endes wirkt sich jedoch in all diesen Fällen die verhängnisvolle Fehlenentscheidung aus, in deren Folge der Unterricht der deutschen Muttersprache nicht ein wesentliches Element der Lehrplans ist und für die deutsche Volksgruppe kein eigener Schultypus mit dem Unterricht in der Muttersprache der Kinder geschaffen wurde, wie dies bei den andern Völkern der SU der Fall ist und allein der Verfassung entsprechen würde », in Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 113.

448.

« Alle Volksbildorgane werden aufgefordert, der deutschen Sprache als Muttersprache besondere Aufmerksamkeit zu schenken. Für deutsche Kinder muss von der 2. Klasse an die Muttersprache unterrichtet werden; die Zensuren für Deutsch müssen in die Zeugnisse eingetragen werden. Die Schüler dürfen durch den Unterricht einer dritten Fremdsprache (neben Russisch und Kasachisch z.B. Englisch) nicht überlastet werden. Außerdem wird allen Volksbildungsgruppe empfohlen, eine ehrenamtliche Inspektionsgruppe aus erfahrenen Lehrern und Hochschullehrern zu bilden und zu dieser ehrenamtlichen Arbeit pensionierte Lehrer heranzuziehen », in Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 114.

449.

« Interview mit Viktor Ritter », in Neues Leben, 21/12/1988, p. 10.