B) Le manque de livres scolaires, de matériel

À l’automne 1957, en parallèle à l’introduction des cours de langue maternelle pour les élèves allemands, apparaissent les premiers abécédaires, notamment ceux d’Heinrich Klassen. Rapidement épuisés, leur production ne couvre pas la demande. De nombreuses écoles qui avaient commandé ces ouvrages pour la rentrée scolaire 1957-1958 ne les ont jamais reçus. En réalité, il y avait plus souvent un exemplaire par classe qu’un par élève.

‘« Les critiques sur le manque de livres scolaires et de documents de lecture pour les enfants ne se sont toujours pas taries » 467 . ’

En outre, ces abécédaires ont également vite trouvé leurs détracteurs. Heinrich Klassen les avait en effet conçus pour un programme basé sur un large nombre d’heures. Or, ce n’était pas le cas. Il était donc difficile, dans la pratique, pour les professeurs de travailler avec ces abécédaires. Jusqu’en 1960, les discussions sur le programme établi par le ministère furent nombreuses. En 1958 déjà, R. Schlotthauer avait tenté de rédiger un nouvel abécédaire, plus adapté à la réalité sur le terrain. En 1960, un nouveau programme fut établi, largement allégé, trop dirent certains. Les livres publiés jusqu’en 1961 correspondaient au premier programme élaboré, comme le premier abécédaire de Heinrich Klassen. Les ouvrages devaient être entièrement repensés. Les éditions scolaires de l’État soviétique stoppèrent la publication de l’abécédaire de H. Klassen, ce qui en fait ne fit qu’aggraver la situation quant à l’approvisionnement en livres dans les écoles et mit en péril le début de la cinquième rentrée scolaire depuis l’introduction des cours d’allemand. De plus, les élèves des classes de la 5ème à la 8ème ont dû suivre de nouveau les cours du premier cycle selon le premier programme établi, c’est-à-dire les cours pour débutants, à la rentrée 1960-1961. Ce fut une perte de temps et un gâchis, d’autant que le programme avait été entre-temps changé. Le rédacteur Erich Richter fit en février 1961 un constat alarmant :

‘« Même dans la centrale de répartition des ouvrages Soïuzkniga, il n’y a aucun stock de livres scolaires allemands et les commandes en cours ne peuvent plus être satisfaites » 468 . ’

Le ministre de l’éducation soviétique, J. Afanassenko, lui répondit :

‘« Sur ma recommandation, l’éditeur de livres scolaires publiera en 1961 de nouvelles éditions des livres nécessaires. La pratique de l’enseignement selon le programme approfondi sur une période de quatre ans a prouvé que les programmes existants et les livres scolaires ne correspondent pas aux besoins, puisque les enfants maîtrisent mal leur langue maternelle et parlent différents dialectes. Afin que ce cours de langue soit efficace, il faut que les programmes en cours et les livres des professeurs soient améliorés. C’est pourquoi le Ministère de l’éducation de la R.S.F.S.R. projette d’évaluer les livres de professeurs actuels pour le programme approfondi et d’effectuer les modifications nécessaires » 469 . ’

Le 5 avril 1961, une ordonnance ministérielle du ministre de l’éducation fut publiée, précisant donc :

‘« En vue de l’amélioration du cours et du travail éducatif dans les écoles présentant un contingent important d’élèves de nationalité allemande qui apprennent dès la deuxième classe leur langue maternelle comme matière à part entière, je décrète que : § 1 l’administration chargée des programmes d’enseignement et de méthodologie doit 1) présenter d’ici un mois au corps enseignant un programme d’enseignement de la littérature allemande destiné aux enfants de nationalité allemande dans les écoles de huit niveaux ; 2) dresser une liste de moyens d’enseignement pour l’enseignement par l’image et la méthodologie de langue allemande, et d’ici le 1er juillet 1961, le soumettre au corps enseignant ; 3) tenir compte des expériences dans les écoles qui sont fréquentées par des enfants de nationalité allemande. Il faut élaborer les lignes directrices pour les livres d’enseignement de la langue allemande et de la littérature dans ces écoles » 470 . ’

Fin 1961, E. Richter s’éleva de nouveau contre le ministère en signant un article intitulé « Papier ist geduldig ». Il y contestait le point 1 de l’ordonnance. En fait, l’examen de fin d’année était fixé au 1er juillet 1962 et à la fin de l’année 1961, personne, au gouvernement, ne s’était encore penché sur le problème de la réorganisation des livres scolaires par rapport au programme et de l’approvisionnement des écoles en livres. Seul Victor Klein avait travaillé sur le sujet, en remodelant le programme pour les classes inférieures. Son nouveau programme était prêt fin novembre 1961 mais le ministère ne prit pas le relais. E. Richter était résigné :

‘« Impatients, les professeurs et les centaines d’élèves dans les écoles sont très impatients. Ils attendent le nouveau programme, de nouveaux moyens documentaires et de nouveaux ouvrages scolaires… et ils ne veulent pas s’accommoder de la gestion menée par V. Strekosin qui a repoussé à une date ultérieure l’exécution d’une ordonnance juste du Ministère » 471 . ’

Un trimestre après cela, un porte-parole du ministre prit position contre Richter, prétextant que tous les soucis rencontrés venaient uniquement du manque de professeurs qualifiés. L’année scolaire 1961/1962 (la cinquième donc depuis l’introduction des cours d’allemand) se termina malgré tout. Victor Klein avait entre-temps travaillé sur le nouveau programme des classes de 8ème. Des modifications s’étaient opérées pour les livres scolaires d’allemand et de lecture. À la rentrée 1963/1964, de nouveaux livres étaient annoncés, et notamment Fibel (mein erstes deutsches Buch) de J. Wall, Lesebuch für die 3. Klasse (Dritte, unwesentlich geänderte Auflage des Lesebuches für die 2. Klasse) de R. Schlotthauer, Lesebuch für die 4. Klasse (Dritte geänderte Auflage des Lesebuches für die 3. Klasse) d’E. Katzenstein, Lesebuch für die 5. und 6. Klasse de V. Klein et J. Warkentin, et enfin Grammatik für die 5. und 6. Klasse de D. Chaldina. Néanmoins, les enseignants exprimèrent quelques inquiétudes quant aux délais d’impression des ouvrages nécessaires à l’éditeur moscovite, et quant au nombre d’exemplaires publiés. Six ans après la mise en place du programme d’enseignement de l’allemand, l’on aurait pu penser que la mise en application serait bonne. Pourtant, de nombreux élèves allemands n’ont suivi aucun cours d’allemand – langue maternelle parce qu’il manquait des professeurs ou parce que ces derniers n’avaient pas été nommés. Les failles dans la mise en place du programme d’enseignement de l’allemand étaient donc diverses et les mesures prises pour y remédier étaient largement insuffisantes.

Le problème de l’approvisionnement en livres pour les cours d’allemand-langue maternelle était significatif de la situation. Les fables de Jakob Wall pour les classes de 2ème dont l’ouvrage parut en 1975 furent publiées à 9 000 exemplaires alors que plus de 25 000 avaient été commandés. Une nouvelle parution était prévue pour 1977 mais comment faire entre-temps. Le livre de lecture littéraire de V. Klein et J. Warkentin pour la classe de 7ème a été publié à 9 000 exemplaires au lieu des 15 000 prévus. Les ouvrages de poésie et la prose des écrivains germanophones ont été publiés à 9 000 exemplaires pour les classes de 8ème ; La littérature allemande livre de lecture et d’apprentissage de V. Klein et J. Warkentin parut à 10 000 exemplaires pour les classes de 10ème et en 10 000 exemplaires pour les classes de 8ème et de 9ème. La grammaire allemande de J. Wall et E. Wagner pour les classes de 7ème et de 8ème devait être rééditée en 1978. Certains n’ont pas pu avoir de livres de lecture pour les classes de 5ème et de 6ème parce que l’éditeur n’avait pas terminé la préparation de l’ouvrage à temps et la parution fut retardée. À la fin des années 1980, plusieurs nouveaux livres scolaires étaient à disposition et notamment le livre de lecture Deutsch als Fremdsprache (pour les classes de 5ème). Les classes de 5ème et de 6ème avaient pourtant reçu la recommandation d’utiliser le livre de lecture de la classe de 7ème. Il y avait également deux livres de lecture pour les classes de 3ème et de 4ème : Unsere Muttersprache, de J. Wall, publié aux éditions Prosvechtchenia (à Moscou en 1976 et 1978).

Le principal problème qui se posait était donc véritablement le manque de matériel scolaire 472 . En effet, nous l’avons vu, cela empêchait les enseignants d’élargir la palette des techniques pédagogiques. Le plus inquiétant était le manque dramatique de livres scolaires. Ceci, freinant les résultats durables en lecture, ne donnait pas suffisamment aux enfants le goût de lire, le goût des mots. Certains professeurs trouvèrent une parade : dès 1957, avec la parution du journal Neues Leben, beaucoup d’entre eux se sont abonnés au journal et s’en sont servis comme support pédagogique. Nous verrons plus loin que cela a fortement contribué à la propagation des journaux et à la hausse des abonnements. Leurs rubriques, très variées (de l’histoire au sport en passant par la littérature) donnent matière à travailler, à défaut d’autre support scolaire. En juin 1987, la Douma a reconnu ce manque de matériel scolaire, de livres mais aussi de disques. Les directeurs d’écoles espèrent que leur appel sera entendu en Allemagne et qu’on leur enverra le matériel espéré pour le bon fonctionnement des cours 473 . Il est évident que c’est aux bibliothèques qu’incombe le rôle, certes complémentaire de celui des professeurs et de la famille, de donner aux enfants le goût de lire et d’apprendre. Cependant, le manque de moyens financiers et matériels a empêché toute construction de bibliothèques et toute constitution d’un fonds de livres suffisant dès l’installation des Allemands au Kazakhstan. Le manque de moyens a évidemment tout retardé dans le processus de renouvellement culturel des Allemands.

Notes
467.

« Die Klage über de Mangel an Lehrbüchern und Lesestoff für die Kinder ist bis heute nicht verstummt », in Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 105.

468.

« Auch in der zentralen Bücherverteilungsstelle Sojuskniga ist kein Vorrat an deutschen Schulbüchern vorhanden und die eingegangenen Bestellungen können nicht mehr befriedigt werden », in Neues Leben, n°23, 1961.

469.

« Auf meine Anweisung wird der Lehrbuchverlag 1961 die notwendigen Bücher in einer Neuauflage herausgeben. Die vierjährige Praxis des Unterrichts nach dem erweiterten Programm hat erwiesen, dass die bestehenden Programme und Lehrbücher hier für nicht geeignet sind, da die Kinder ihre Muttersprache schlecht kennen und verschiedenen Mundarten sprechen. Damit aber dieser Sprachunterricht wirksam sei, müssen die bestehenden Programme und Lehrbücher verbessert werden. Deswegen beabsichtigt das Ministerium für das Bildungswesen der R.S.F.S.R. in Zukunft die vorhandenen Lehrbücher für das erweiterte Programm zu prüfen und entsprechende Änderungen vorzunehmen », in Neues Leben, n°37, 1961.

470.

« Zwecks Verbesserung des Unterrichts und der Erziehungsarbeit in den Schulen mit einem bedeutenden Kontingent von Schülern deutscher Nationalität, die von der zweiten Klasse an die Muttersprache als selbständiges Fach lernen, verordne ich: § 1 Die Verwaltung für Lehrpläne und Methodik soll 1) binnen Monatsfrist dem Kollegium einen Lehrplan der deutschen Literatur in der 5. bis 8. Klasse sowie einen präzisierten Lehrplan der deutschen Sprache für die Kinder deutscher Nationalität in der Achtklassenschule vorlegen; 2) Eine Liste der Lehrmittel für den Anschauungsunterricht und die Methodik der deutschen Sprache aufstellen und bis 1. Juli 1961 dem Kollegium unterbreiten; 3) unter Berücksichtigung der Erfahrungen in den Schulen, die von Kindern deutscher Nationalität besucht werden, sind die Rechtlinien für die Lehrbücher der deutschen Sprache und Literatur zur Verwendung in solchen Schulen auszuarbeiten », in Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 106.

471.

« Ungeduldig, sehr ungeduldig sind aber die Lehrer und Hunderte von Schulen. Sie warten auf den neuen Lehrplan, auf Anschauungsmittel und auf die neuen Lehrbücher... Und sie wollen sich nicht damit abfinden, dass die von W. Strekosin geleitete Verwaltung die Ausführung einer richtigen Verordnung des Ministers auf die lange Bank schiebt », in Heimatbuch 1964, Stuttgart, 1964, p. 106.

472.

Cf. « Neue Kenntnisse erworben », T. Ievsioukova, R. Markovzeva, in Freundschaft, n° 45, 4/3/1977, p. 4 : « Für einen Lehrer, der in Deutsch als Muttersprache unterrichtet, ist das Zusatzmaterial von besonderem Wert, weil die Schulen bis jetzt noch nicht vollkommend mit Lehrbüchern, Unterrichtsprogramm und die Lehrer mit methodischer Literatur versorgt sind. Bisher wurden noch keine Anschauungsmittel für den muttersprachlichen Deutschunterricht herausgegeben. In den Schulen des Gebiets mangelt es noch an Kadern mit Hochschulbildung. Nebst den objektiven Schwierigkeiten entstehen in einzelnen Schulen auch rein subjektive : die Kontrolle in diesem Fach von Seiten der Leitung ist nicht ganz richtig. Der muttersprachliche Deutschunterricht wird nur selten in den pädagogischen Räten behandelt ».

473.

in Neues Leben, 03/06/1987, p. 10.