De 1914 à 1919

L’éclatement de la Première Guerre mondiale vint bouleverser le système de presse ainsi établi. Les Schwarzhunderter, faisant preuve de forts sentiments patriotiques, attaquaient les magasins et entreprises allemands. Les pogroms commençaient. Dans la presse russe, les journalistes exprimaient clairement la haine de la société tout entière envers tout ce qui était allemand. La langue allemande était interdite en public. La société se cherchait des prétextes pour cette haine envers les Allemands. Cette haine s’exprimait dans toutes les couches de population. David Schmidt écrivit qu’elle était « dans la concurrence entre les nobles russes et allemands, entre les bourgeois russes et allemands, entre les spéculateurs russes et allemands » 518 . Pendant la guerre, les pogroms atteignirent donc tous les territoires à population allemande. Le destin des Allemands était scellé par les projets russes du gouvernement, notamment par les lois dites de liquidation 519 . A. Rennikov, un des journalistes historiens nationalistes les plus populaires de son époque écrivait dans son livre Rheingold (Zoloto Rejna) en 1915 :

‘« La société russe a fait un souhait : celui de signer la paix avec les Allemands de Berlin. Toutefois la société russe ne doit pas oublier qu’il n’y a pas un Berlin seulement en Allemagne, mais qu’il y en a bien un en Russie, dans le rayon (ouïesd) Tirapolski au bord du fleuve Srednij Kujalnik. Le Berlin allemand sera sans doute prochainement détruit par notre glorieuse armée. Est-ce que notre glorieuse chancellerie détruira le Berlin russe ? Ce Berlin russe est… bien plus dangereux que la capitale allemande… Et si la Russie se fait vraiment un devoir de libérer l’Europe de Berlin, alors il semblerait qu’il soit nécessaire d’élargir la loi du 2 février par quelques clauses précises et ainsi de liquider entièrement ce Berlin qui est dans nos murs » 520 . ’

La presse allemande de Russie se rebella contre les attaques des patriotes et des journalistes mais elle n’avait pas assez de pouvoir pour changer le cours de l’histoire, déjà bien trop avancé. Plusieurs rédactions fermèrent leurs portes : le 9 mai 1915 le Rigaer Tageblatt et le Rigasche Rundschau, le 30 juin le Rigasche Zeitung, le 30 septembre le Baltische Post, le Revalsche Zeitung et le Lübecksche Zeitung. Le 29 décembre 1914 la parution des plus anciens journaux allemands de Russie, le St Petersburger (Petrograder) Zeitung et le St Petersburger (Petrograder) Herold, fut interdite. Á leur place Paul et Carl von Kügelgen ordonnèrent la parution dès le début de l’année 1915 de Nordische Zeitung. Dans le premier numéro il était mentionné :

‘« Le Petrograder Herold avait fait part dernièrement de la suspension de sa parution au 1er janvier. En revanche, le Petrograder Zeitung, après de nombreuses tentatives pour le maintien de son titre, avait annoncé que, s’il n’avait plus l’autorisation de reparaître, un Nordische Zeitung serait publié à sa place. En cette difficile période de guerre, le Nordische Zeitung voit donc le jour. Toutes les forces disponibles en Russie doivent s’unir pour repousser les dangers menaçants. Ce sera le devoir particulier de notre journal que d’exprimer les intérêts de l’État russe pour l’aider à se protéger des attaques extérieures et intérieures. Les groupes de populations représentés par le Nordische Zeitung sont placés au premier plan. […] Le Nordische Zeitung est l’héritier de pures traditions journalistiques anciennes qui ont été instaurées par son prédécesseur, le Petrograder Zeitung, suspendu dans sa 188ème année, traditions qui sont fondamentales non seulement pour l’univers international cultivé de la patrie russe mais aussi pour toute l’Europe. Rien n’a plus de valeur, aux yeux du Nordische Zeitung, le représentant politique de Russie se fondant sur des traditions intègres, que l’épanouissement et le développement de la patrie. Tout souhait mesquin qui irait à l’encontre des intérêts de l’État doit être éliminé. Sur le territoire national aussi, il est important, en gage de fidélité, de porter haut la valeur de l’esprit d’État, fidélité que cet organe de presse germanophone a consciencieusement valorisée pour son cercle de lecteurs et dont il s’honore » 521 .’

Les révolutions de février et d’octobre 1917 en Russie ont fait naître un nouvel espoir dans la population russe, mais aussi dans les colonies allemandes, qui espéraient ainsi pouvoir bénéficier d’une vie politique plus active. Les citoyens allemands de Russie commencèrent donc à s’inscrire dans des associations politiques. De nouveaux organes de presse virent le jour pendant que les journaux, dont les activités avaient cessé pendant la guerre mondiale, reparaissaient. Il s’agissait des journaux suivants : Saratower Deutsche Volkszeitung (juillet – décembre 1917), Odessaer Deutsche Zeitung (1863-1914, 6 octobre 1917), Odessaer Zeitung (1917-1918), Deutsche Rundschau (Odessa 1917-1918). Les nouveaux étaient : Deutsche Stimme, Saratov, Mariental (1917-1918) ; Nachrichten, Marxstadt, Pokrovsk, Engels (1918, 1920-1941) ; Moskauer Nachrichten (1918) ; Der Kolonist, Katharinenstadt, territoire de la Volga (1917) devenu dès 1918 le Kommunist publié à Marxstadt ; Flugblatt des Moskauer Verbandes russischer Staatsbürger deutscher Nationalität, Moscou (1917-1918), Deutsche Zeitung für die Krim und Taurien, Simferopol (1918), Kaukasische Post (1906-1914 et 1er mars 1918-1922) ; Deutsche Zeitung für Ost-Taurien, Melitopol, Ukraine (1918) ; Volksfreund, Halbstadt, Ukraine (1917-1918), Vorwärts, Saratov, 1918 ; Deutsche Zeitung für die Krim in Taurien, Simferopol (1918 n°1 à 15) ; St Petersburger Nachrichten, Petrograd (1918-1919) ; Vereinsbote, Odessa (1918-1919) ; Neues Czernowitzer Tageblatt (1918-1922) ; Nachrichten für die deutschen Kolonien, Odessa, 1919 ; Die Rote Fahne, Moscou, 1919-1922 ; Völkerfreiheit, Kiev, 1919 ; Friedensstimme, Halbstadt, Ukraine (1903-1914, 1917-1918) ; Christlicher Familienkalender (1917-1920) ; Adventsbote (1918) ; Der Dorfrat (1920-1922) Omsk et Novossibirsk. Certains des premiers journaux allemands à tendances bolcheviques provenaient d’organisation de prisonniers de guerre autrichiens et allemands. Benjamin Pinkus soulignait qu’après la révolution d’octobre 24 journaux ou magazines étaient publiés par des prisonniers de guerre communistes 522 . L’historien nomme les plus importants : Die Fackel, Moscou (1917-1918) ; Die Kommune (1918-1919) ; Nachrichten der deutschen und österreich-ungarischen revolutionären Arbeiter und Soldaten in Russland, Moscou (1918-1919) ; Die Welt-Kommune, Kharkov, Kiev (1919) ; Petrograder Nachrichten (1918-1919) ; Die Weltrevolution, Irkutsk 1918 ; Die Weltbefreiung, Penza ; Das freie Wort, Samara ; Die dritte Internationale, Ekaterinburg ; Die neue Zeit, Tomsk ; Die Völkerfreiheit, Kiev 1919.

Notes
518.

D. SCHMIDT, Studien über die Geschichte der Wolgadeutschen, I. Teil, Seit der Auswanderung bis zum imperialistischen Weltkrieg, Pokrovsk Moscou Kharkov, 1930, p. 366 : « in der Konkurrenz zwischen russischem und deutschem Adel, zwischen russischer und deutscher Bourgeoisie, zwischen russischen und deutschen Spekulanten ».

519.

Cf. Partie I.

520.

Traduction du russe, A. RENNIKOV, Zoloto rejna, Petrograd, 1915, p. 154.

521.

Citation originale in Volkszeitung du 15/01/1915 : « Der Petrograder Herold hatte seit einiger Zeit die Einstellung seines Erscheinens zum 1. Januar angezeigt. Die Petrograder Zeitung dagegen hatte – nach langwierigen Bemühungen um die Aufrecherhaltung ihres Titel – angekündigt, dass an ihrer Stelle, falls sie nicht weiter erscheinen dürfe, eine Nordische Zeitung zur Herausgabe gelangen werde. In der schweren Kriegszeit tritt nun die Nordische Zeitung ans Licht der Welt. Alle verfügbaren Kräfte Russlands müssen jetzt vereint sein, die drohenden Gefahren abzuwenden. Da wird es auch die besondere Aufgabe unseres Blattes sein, die Interessen des russischen Staates von allen Angriffen nach aussen und innen schützen zu helfen. So stehen auch die von der Nordischen Zeitung vertretenen Bevölkerungsgruppen auf dem ersten Plan. […] Die Nordische Zeitung ist die Erbin alter und reiner journalistischer Traditionen, die von ihrer Vorgängerin, der im 188. Jahrgange gesclossenen St. Petersburger bzw. Petrograder Zeitung geschaffen wurden und nicht nur für die internationale gebildete Welt der russischen Heimat, sondern ganz Europas Bedeutung hatten. Nichts kann der Nordischen Zeitung, als einer auf jenen redlichen Traditionen fussenden politischen Vertreterin Russlands, über das Blühen und Gedeihen des Vaterlandes gehen. Alle engeren Wünsche müssen zurücktreten, sobald sie im Gegensatz zum Interesse des Staates treten. Auch auf nationalem Gebiet, den Staatsgedanken wert und unantastbar hoch zu halten, ist Sache der Treue, die dieses deutschsprachige Organ für seinen Leserkreis zuverlässig zur Geltung zu bringen, sich zur Ehre anrechnet ».

522.

B. PINKUS, I. FLEISCHHAUER, Die Deutschen in der Sowjetunion, Baden-Baden, 1987, p. 135.