III- 1.3. La radiophonie

Grâce à la multiplication des stations de radiophonie diverses, les programmes sont multiples. Chacune des stations de radio allemandes diffuse ses émissions sur ondes moyennes et courtes pendant les principales heures de réception. Quelques stations diffusent quand même à certaines heures de la journée un autre programme qui s’adresse à des auditeurs éventuellement plus exigeants. Depuis 1956, des programmes spécifiques étaient diffusés pour les Allemands d’Union soviétique sur les ondes des stations de radiophonie soviétiques. Radio Moscou fut la première à proposer ces programmes ; l’émission était alors dirigée par W. Rath. Les temps de diffusion étaient limités à 55 minutes par jour et les émissions destinées aux Allemands de l’Est. Durant les émissions, les informations, des commentaires, des revues de presse et des débats sur des questions culturelles ainsi que des thèmes religieux étaient abordés. Étaient proposées également des lectures littéraires et des émissions musicales (de la musique classique à la musique populaire allemande en passant par les variétés). En 1967, les émissions de radiophonie de langue allemande furent placées sous le contrôle du département « Paix et Progrès » (Мир и Ппогрéсс) de la radiophonie soviétique et l’étaient toujours en 1991.

Les émissions régionales en langue allemande sont importantes car elles concernent davantage le quotidien des auditeurs. C’est le cas de « Radio Alma-Ata » qui a inséré dans ses programmes dès 1957 des émissions en allemand qui commençaient en 1958 à être reçues et écoutées dans des Républiques d’Asie centrale autour du Kazakhstan. La rédaction allemande était composée au début, en 1957, de deux personnes (Dietrich Friesen et Konstantin Ehrlich), mais comptait neuf collaborateurs en 1979 564 . « Ici radio Alma-Ata et son émission pour la population allemande du Kazakhstan » : avec cette phrase et un indicatif musical reconnaissable, commençait l’émission des collègues de la rédaction allemande de la radio d’État du Kazakhstan dans la capitale. Trente minutes chaque jour (habituellement de 14h à 14 h 30) étaient consacrées aux Allemands, ainsi qu’un concert le samedi d’environ une heure qui était souvent rediffusé le dimanche. Pendant cette émission principale de trente minutes, différents thèmes préparés étaient abordés : informations, rapports sur les récoltes, discussions avec les familles, commentaires. Il fut difficile de trouver des rédacteurs avec un bagage journalistique. L’ingénieur du son travaillait à la télévision, l’un était professeur, la speakerine avait une formation de comédienne. La rédaction reçoit en moyenne quarante lettres par jour, souvent des encouragements et des félicitations, des souhaits musicaux. Leur lecture représente une masse de travail car les formulations en allemand sont parfois confuses, d’un niveau insuffisant mais les auditeurs font l’effort de suivre les conseils prodigués dans les émissions pour entretenir leur langue maternelle. Souvent dans le courrier des lecteurs se mêlent à l’allemand des termes russes ; l’alphabet cyrillique côtoie le latin ; la langue orale devient écrite, et parfois il faut se contenter de courriers rédigés uniquement en russe ou en kazakh, ou de mots allemands en caractères cyrilliques. Néanmoins, d’après la rédaction, des efforts mutuels sont nécessaires et les résultats, même infimes, sont palpables. Cela permet à Radio Alma-Ata d’évoluer, et avant tout de représenter une communauté minoritaire telle qu’elle est au quotidien, avec ses difficultés mais aussi ses richesses.

En 1967, son rédacteur en chef, Dietrich Friesen, obtint son propre studio d’enregistrement. Il travailla avec Johann Hollmann, Peter Mai, Georg Rau, Nora Pfeffer*, Lilli Warkentin, Minna Wagner, Elsa Ulmer*, Albert Iliin, Konstantin Ehrlich. Les émissions duraient en 1957 trente minutes hebdomadaires, puis en 1970 la durée fut portée à 290 minutes avec cinq émissions par semaines. Le programme se calquait sur celui des émissions moscovites. Toutefois, la rédaction a toujours mis l’accent sur les problèmes des auditeurs, les problèmes politiques et n’hésitait pas à diffuser les avis des correspondants locaux. Elle jetait un regard critique sur les publications du journal Deutsche Allgemeine. En 1962, la station Frounze (Kirghizistan) diffusa ses propres émissions en allemand. Elles étaient d’abord menées par Joachim Kunz puis par Paul Gräber. En 1974, la durée des émissions de la station de Slavgorod fut portée à 50 minutes par mois, les émissions étant menées par Andreas Kramer, et à Omsk les émissions duraient deux heures par mois. Les programmes allemands pour la population locale étaient aussi diffusés dans les stations de Barnaoul, de Tselinograd et de Karaganda. Mais ils étaient rarement retransmis dans les rayons éloignés à plus forte population allemande. C’est donc la moitié des citoyens soviétiques d’origine allemande (deux millions environ au total en U.R.S.S. selon le recensement de 1989 et qui représentaient la 14ème nationalité d’U.R.S.S. à l’époque) qui vit au Kazakhstan, où ils sont la troisième nationalité représentée. Alors qu’en 1936 95 % des citoyens soviétiques de nationalité allemande considéraient l’allemand comme leur langue maternelle, seulement 57,7 % le considéraient toujours en 1979. Comme nous l’avons déjà expliqué, la politique d’assimilation a provoqué cette évolution. Les jeunes en 1989 ne maîtrisaient plus ou mal leur langue maternelle. La tâche que les membres de Radio Alma-Ata se sont assignée est de faire revivre cette langue maternelle pour la population au travers de ses émissions. Le Soviet Suprême a aidé la communauté allemande en ce sens en instituant en 1987 les cours de langue maternelle allemande. Á Tselinograd, 30 collèges et 17 jardins d’enfants ont introduit l’enseignement de l’allemand dans leurs cours. Les élèves étudient ainsi des œuvres des auteurs classiques germanophones, des poètes et écrivains allemands de l’Union soviétique et les grands classiques de la littérature étrangère. L’objectif est que les jeunes sachent lire et écrire l’allemand. L’enseignement se fait au départ de façon ludique, avec l’utilisation de devinettes, de chants, de contes, de poésies, d’histoires courtes. Cependant, le manque de personnel qualifié et de matériel pédagogique, notamment de livres scolaires et d’appareils de projection, s’est rapidement fait sentir et a compliqué l’enseignement de l’allemand.

La radio allemande ramifie régulièrement son réseau de collaborateurs pour être plus efficace. Par exemple, Radio Alma-Ata recruta au sein de l’association des écrivains dont le siège est situé à Alma-Ata deux éditrices de livres pour la jeunesse, Nora Pfeffer et Elsa Ulmer, l’une en tant qu’animatrice et l’autre comme rédactrice. Le second problème pour la radio est de trouver des animateurs qui peuvent parler du quotidien des membres de la minorité nationale allemande. Beaucoup parlent un dialecte, le plattdeutsch ou le souabe. Il s’agit donc de recruter des animateurs parlant l’allemand standard couramment. Cela représente un travail colossal pour la rédaction. Néanmoins, comme l’expliquait l’ancien directeur de la rédaction allemande, Adam März, il ne faut pas pour autant négliger la langue dialectale car elle fait partie intégrante de la culture des Allemands soviétiques. Les rédacteurs doivent donc jongler avec une langue simple, compréhensible pour tous mais qui respecte les normes actuelles linguistiques, grammaticales et usuelles. Dans une interview TASS en collaboration avec les radios soviétiques, de Moscou et Radio Alma-Ata accordée à ses collègues de R.D.A. 565 , Adam März confiait qu’un accord entre tous avait été conclu en 1986 permettant l’échange de journalistes entre les rédactions afin de faciliter l’acquisition d’expérience professionnelle et d’engager la communication et la compréhension. Beaucoup d’actions ont été menées avec la radio « Stimme der D.D.R. » (La voix de R.D.A.). Les collaborateurs ont reçu une formation sur place à Alma-Ata, dispensée par les journalistes est-allemands, qui avaient amené en outre du matériel pour améliorer le contenu des émissions (disques, musiques, enregistrements de conversations). Chaque collaborateur a également la possibilité de recevoir une formation annexe sanctionnée par un certificat de cours de diction et d’animation. Les journalistes est-allemands ont, de leur côté, pu se rendre compte des difficultés existantes à Alma-Ata pour mettre en place une émission radiophonique pour l’équipe de journalistes (composée d’un directeur, de quatre rédacteurs, de deux animateurs, d’un régisseur de plateau, d’une secrétaire, d’un responsable musical) et des quatre correspondants permanents à Djamboul, Nord Kazakhstan, Karaganda et Pavlodar. Ils sont tous de nationalité allemande. La preneuse de son, fin 1989, était kazakhe et comprenait peu l’allemand, la secrétaire était alors russe mais pouvait préparer les manuscrits en allemand sans parler la langue.

Les émissions de radiophonie sont régulièrement diffusées depuis Alma-Ata. Elles étaient dirigées par Alexander Frank jusqu’à son départ en Allemagne, puis par Adam März. Bien que la rédaction ait utilisé en 1990 des programmes de la « Deutsche Welle », la rédaction enregistre ses propres émissions mais celles-ci sont de moins bonne qualité en raison du manque de personnel qualifié et de matériel performant. Les émissions sont néanmoins très appréciées par la population kazakhe. Nous remarquons que les émissions de radiophonie se font plus fréquemment en alternant russe et allemand. Le gouvernement fédéral a, par exemple, mis à disposition du public 30 000 ouvrages d’accompagnement des cours de langue sur les ondes allemandes (en particulier la « Deutsche Welle »), en plus des revues illustrées et des journaux hebdomadaires, qui contribuent à l’amélioration des connaissances linguistiques en allemand et qui donnent des informations sur la vie en Allemagne.

Cependant, les stations de radiophonie connaissent actuellement de sérieuses difficultés 566 . Les émissions de radiophonie connaissent un net recul de leur taux d’écoute par rapport aux taux qu’il y a dix ou quinze ans. Six fois par semaine (avec quatre émissions de vingt minutes et deux de trente minutes), les Allemands soviétiques avaient l’occasion d’entendre parler allemand, d’entendre des chansons allemandes ou des émissions sur la culture et l’histoire allemande. Les émissions populaires étaient destinées aux jeunes comme aux moins jeunes. Mais depuis le 10 mars 1997, la rédaction des émissions de radiophonie allemandes est au bord du gouffre. Le bâtiment où elle avait élu domicile ayant été racheté par l’agence nationale Chabar, la rédaction a dû se réorganiser complètement. Cela touche toutes les stations radiophoniques nationales. De plus, en raison du changement d’horaires des émissions et des changements d’ondes dès le 1er juillet, toutes les émissions sont décalées, y compris celles des stations allemandes du Kazakhstan. Il faut donc revoir toute la conception des émissions, dont la durée a été également raccourcie.

Les thèmes traités à l’antenne restent cependant les mêmes : ils tournent autour de la vie quotidienne des Allemands du Kazakhstan et leurs inquiétudes ; toutefois, on aborde de nouveaux points : les étudiants de la faculté d’études allemandes qui sont privés de la « Deutsche Welle » à cause de ces réformes radiophoniques ; les retraités qui ne peuvent donc plus écouter les chants populaires allemands comme ils le faisaient depuis quarante ans, etc. À la place, on peut entendre sur les ondes : « Voici maintenant une émission pour la population allemande du Kazakhstan proposée par la rédaction allemande de la radio kazakhe… » (« Hier ist die deutsche Redaktion des Kasachischen Rundfunks mit ihrer Sendung für die deutsche Bevölkerung in Kasachstan… »). Les ennuis techniques et le manque de moyens n’arrangent pas la situation. La nouvelle rédactrice en chef, Gulnara Kurmangalïeva, espère que les choses vont s’améliorer. Mais sans sponsors, cela semble difficile. L’ambassade d’Allemagne a tenté d’apporter son aide, mais elle ne peut rien faire seule. En septembre 1997, la rédaction a dû licencier des employés. Il est donc clair que la rédaction allemande de la radiophonie kazakhe est dans une très mauvaise passe, dont elle se sortira avec l’aide des autres médias.

Notes
564.

Cf. Freundschaft, 07/05/1979.

565.

Cf. Neues Leben, n° 31, 26/07/1989.

566.

« Deutsche Rundfunkredaktion in ernsten Schwierigkeiten », in Deutsche Allgemeine Zeitung, 13/09/1997, p. 1.