III- 2.1.5. La poésie

L’étude de la poésie soviétique allemande nous permet d’affirmer que son développement s’est véritablement opéré dès 1981. Certains parlent de « fleurissement » des œuvres poétiques. Celles-ci sont orientées sur plusieurs thèmes récurrents. Deux de ces thèmes nous apparaissent comme majeurs :

Les autres thèmes littéraires poétiques soviétiques allemands sont : l’amour et l’amitié, la confiance, la vie et la mort. Certains poètes ont écrit plusieurs poèmes sur le thème des saisons et du temps qui passe, dans des cycles comme « Sommergespräche » de H. Henke, « Kreuzwege » d’Oswald Pladers*, « Welt der Farben » de H. Arngold, « Kalenderblätter » d’E. Katzenstein. Le passé (ou l’enfance) est aussi à l’origine de nombreux poèmes : « Wir sassen da im hellen Licht der Kerzen. / Die Mutter trug die guten Speisen auf. / Der Ofen summte » (V. Schnittke). Enfin, le travail, le socialisme tiennent également une place importante dans la poésie par exemple chez H. Henke « Schewtschenko », V. Heinz « Sibirien » ou R. Weber dans « Schweisser » : « die Arbeit ist für ihn / ein Hochgenuss ! / Er kann mit Feuer / seine Lebensfreunde äussern ». La poésie est par conséquent faite de motifs variés qui font sa richesse.

Les journaux soviétiques allemands, tels que Freundschaft et Neues Leben, ont largement contribué à la diffusion des œuvres littéraires, en particulier des œuvres poétiques, ce depuis toujours. Pour ne prendre que cet exemple, certes récent, Neues Leben a publié 496 œuvres poétiques sur l’année 1990 dont 88 poèmes sous la rubrique « Der Leser dichtet » (le lecteur écrit des vers) dans laquelle de nouveaux noms apparaissent régulièrement. Les œuvres classiques (de Schiller, Goethe, Heine) ont fait l’objet de huit articles ; trente prières ont été publiées et quatre-vingt poèmes proviennent de participants du premier festival international de poésie à Moscou. Tous les auteurs n’ont certes pas utilisé les procédés poétiques habituels (rimes, mètres, etc.). En tout cas, le genre poétique semble être le genre qui se développe le plus dans la littérature soviétique allemande. Ce genre est fécond parce qu’il permet d’une part une plus grande liberté d’expression : les auteurs peuvent, par l’utilisation de métaphores ou d’hyperboles, exprimer leurs points de vue politiques par exemple. D’autre part, la poésie permet de laisser libre court à la sensibilité, aux émotions. Enfin, et c’est souvent le cas à la lecture des œuvres dans les journaux allemands de l’ancienne U.R.S.S., les auteurs peuvent à la fois se permettre une « simplicité » de langage et une finesse linguistique. La preuve en est que sur l’année 1990 180 poèmes des auteurs allemands ont été publiés, ainsi que 110 adaptations de textes étrangers que J. Warkentin considérait comme le « moteur du journal pour les pages poétiques » 605 . Certes ces adaptations sont des traductions de bonne qualité, mais le journal en avait-il besoin pour remplir sa rubrique littéraire ? Est-ce le signe d’un appauvrissement de littérature soviétique allemande, d’un manque d’inspiration des auteurs ? Nous pouvons prétendre le contraire puisque les œuvres d’auteurs soviétiques allemands connus restent majoritaires à l’exception de quelques numéros qui laissent les auteurs « amateurs » (les lecteurs en général) s’exprimer. Il semblerait néanmoins que de tels numéros du journal Neues Leben ont déçu les lecteurs, car si certains s’essayent à l’écriture, ils n’en apprécient pas moins les travaux des auteurs renommés de la littérature soviétique allemande. Notons par exemple pour 1990, dans Neues Leben, la parution des poèmes d’auteurs soviétiques allemands importants :

Afin de clôturer cette discussion sur la poésie, nous avons choisi de réaliser l’étude succincte du poème « Wer bin ich ? » de Irmgard Stoldt, donné en annexe. Ce poème, autobiographique, dont la mise en page particulière est voulue par l’auteur, a été publié à plusieurs reprises en raison de son succès. Il traite du problème de l’identité des Allemands de Russie. L’auteur s’interroge ironiquement sur le nom de l’ethnie des Allemands de Russie, les Russlanddeutschen, et sur la multiplicité des expressions connexes, dites « étiquettes » lourdes de sens, qui désignent les Allemands de Russie selon les époques et les pays : Auslandsdeutscher, Volksdeutscher, Russlanddeutscher, Sowjetdeutscher, Deutschstämmiger Sowjetbürger, Deutschrusse, mais aussi Aussiedler, Umsiedler, Emigrant, Einwanderer, Russischer Bürger deutscher Zunge, Fremder Deutscher, Vertriebener, Flüchltling. L’amorce est franche et rude et le lecteur entre tout de suite dans le vif du sujet. La lecture est rapide et l’auteur nous dirige vers le milieu du texte : « Heimkehrer bin ich doch / ein Deutscher, weiter nicht ! » est une phrase forte et porteuse de sens. L’auteur exprime alors tout le paradoxe de sa situation : ne plus être allemand et pourtant vouloir rentrer en Allemagne. Puis il enchaîne sur « Ein Deutscher, der den ganzen Hass, / die Rache gegen Deutschland Stellvertretend fühlen, tragen und erdulden musste ». Il a souffert ainsi que sa famille de la haine envers l’Allemagne dans les années 1940 qui fut rejetée sur les Allemands de Russie. Si l’on s’étonne de cette violence dans les propos, elle nous est ensuite expliquée : l’auteur renie l’Allemagne qui a causé tant de souffrances à sa famille et imposé tant de sacrifices, pour rien à ses yeux. L’absence de reconnaissance lui pèse. Et pourtant, malgré ces difficultées, le retour s’impose et devient possible, comme une délivrance paradoxalement. L’auteur souhaite désormais que son identité de compatriote lui soit donnée. Ainsi il met en parallèle le pronom « euer (Landsmann) » à l’adverbe « daheim » et créé un lien d’intensité entre ces deux pays. L’auteur termine par une dernière question : « qui suis-je à présent ? » C’est en partant à la recherche de ses ancêtres qu’il trouvera la réponse.

Le ton est volontairement sarcastique dans le but d’interpeler, de choquer, de montrer toute l’absurdité de cette situation d’après l’auteur. Les questionnements sont récurrents pour traduire les interrogations auxquelles doit répondre le peuple allemand de Russie, les justifications qu’il doit trouver à son existence, les preuves de son identité. Il semble choqué des qualificatifs qu’on accorde aux Allemands de Russie, tels que « Ausgewiesen, eingewiesen – integriert und angepasst » et le point d’exclamation montre la vexation de l’auteur. La ponctuation est donc importante. Le rythme est rapide, les vers courts. L’œuvre n’est pas sophistiquée d’un point de vue esthétique et technique, cela dit le style est recherché et c’est surtout son sens et sa portée qui en font sa valeur.

Notes
605.

N. WACKER, « Dichter und Reimer, über Poesie in Neues Leben ’90 », in Neues Leben, n° 17, 24/04/1991, p. 10.

606.

« Die Zeit wirkt hellend … / Und auf frohen Festen / wird selten der Verschiedenen gedacht… ».

607.

« Ach wohin, wohin seid ihr verschwunden - / das schmale Ringeln und die warme Hand… ».