III- 3.3. Évolution des confessions religieuses depuis les années 1920

La loi en date du 8 avril 1929 sur le règlement juridique des communautés religieuses comportait une série de mesures punitives qui accentuaient le courant antireligieux 662 . Quiconque défiait le régime dans le domaine religieux risquait la prison, les travaux forcés, voire la mort. Les accusations pouvaient être diverses et de différents degrés : agitation religieuse, dispense de cours à des enfants ou des jeunes, propagande antirévolutionnaire et contre le régime, menaces contre les autorités, réunions, récolte de quêtes, dissimulation de biens ecclésiastiques. Rapidement s’engagea une véritable chasse aux pasteurs. L’Union des athées activistes (Verband der kämpferischen Gottlosen), dont l’influence se faisait sentir dès sa création en 1925, participa à cette chasse. Le 1er janvier 1928, l’Union rassemblait 3 980 cellules et 123 000 membres ; au 1er janvier 1929, elle comptait 8 928 cellules et 465 498 membres. En 1930 existaient 35 000 cellules et environ deux millions de membres 663 , ce qui laisse entrevoir la force du courant antireligieux naissant. Ce mouvement antireligieux se développait donc avec frénésie, ce qui laisse aussi supposer de la suite des événements pour les croyants en général, et les Allemands croyants en particulier 664 . Durant l’hiver 1928, les autorités lançaient déjà une campagne contre les fêtes de Noël, campagne qui fut reconduite pendant plusieurs années et dont les conséquences s’aggravaient petit à petit. Le gouvernement avait pour objectif, à terme, de supprimer la célébration de tous les jours fériés à caractère religieux. Ensuite vint la période de poursuite acharnée contre les cloches des églises et la vague de propagande enfla. L’objectif, cette fois-ci, était la fermeture définitive des églises. Quiconque s’y opposait était accusé d’être un opposant à la collectivisation, donc au régime, et d’être un koulak et était traité en conséquence. La République de la Volga n’échappa en rien à la règle.

Avec le début du nouveau plan quinquennal, la pression antireligieuse fut axée plus précisément sur les écoles. Enfants, écoliers, jeunes devaient gagner la cause du marxisme, rejeter toute religion, voire la combattre, même au sein de leurs propres familles. Les inspecteurs d’écoles avaient comme lourde tâche de sonder la position religieuse des élèves, d’estimer l’influence religieuse des parents et donc d’estimer leur éducation. Les professeurs devaient travailler chaque jour dans le respect de l’objectif, c’est-à-dire du combat contre la religion. Certains s’y refusèrent, furent arrêtés et déportés.

Face à tant de pression antireligieuse, beaucoup de familles ont renoncé à un avenir en Union soviétique et ont choisi de partir, à l’époque, pour les États-Unis d’Amérique ou le Canada, afin d’échapper aux menaces, et ce dès octobre 1929. Le 16 novembre 1929, l’ambassade d’Allemagne à Moscou comptait 12 439 postulants à l’émigration, dont 2 481 luthériens, la majorité étant mennonite. 6 000 d’entre eux se sont établis en Amérique du Nord et ont fondé une nouvelle vie outre-atlantique dans le respect de leurs traditions. Lors de l’épuration stalinienne, dès 1933, la pression du gouvernement soviétique sur les Allemands et sur les fidèles de l’Église évangélique se fit plus forte. De nouvelles accusations furent portés à leur encontre : espionnage pour le compte de l’Allemagne, relations avec l’étranger dans le but de nuire au régime soviétique. La période de terreur commença, dont les points culminants sont ceux que nous avons décrits précédemment, avec les vagues d’épuration et de déportation dès les années 1930. Selon un recensement réalisé à l’époque, sur 340 communes allemandes du territoire de la Mer Noire (comptant environ 168 000 habitants) entre 1928 et 1938 approximativement 10 700 personnes ont été déplacées, notamment vers les camps de concentration et la Sibérie, terre des bannis 665 . En 1934, l’évêque Thomas Meyer (disparu le 28 avril à l’âge de 68 ans), laissait orphelin le consistoire de son rayon. De plus, l’évêque A. Halmgren dut abandonner son poste car il devait se rendre en Allemagne pour une opération médicale (il mourut le 2 février 1947 à Leipzig des suites de sa maladie). Le séminaire de Leningrad était alors géré par Halmgren et il fut fermé dès 1935. Pendant l’été 1936, à Leningrad, il ne restait plus que dix pasteurs luthériens en poste. Entre l’été 1936 et l’automne 1937, neuf d’entre eux furent arrêtés et conduits dans des camps de concentration, et le dernier, Laurikalla, fut renvoyé dans son pays (il était ressortissant finlandais). Piliers de l’enseignement religieux, ils emportaient avec eux la vie religieuse allemande protestante même. L’Église luthérienne avait donc cessé d’exister, comme Église organisée. Sur les 81 pasteurs en place en 1924, et sur les 57 diplômés du séminaire durant les toutes dernières années, aucun ne restait : tous furent victimes de la politique antireligieuse du gouvernement soviétique. Nous ne savons que peu de choses sur leurs destins personnels sinon ceci 666  :

En 1941, on ne dénombrait plus aucune communauté évangélique ou catholique en U.R.S.S. Et pourtant en 1941, selon J. Schnurr, certains services religieux étaient célébrés, de façon sporadique, par l’armée d’occupation :

‘« Lorsque j’arrivai en 1941 dans le sud de la Russie et que je pus visiter des communautés sur mon trajet de la frontière roumaine à la Crimée, zones qui avaient été submergées par les troupes allemandes, je ne trouvai aucun religieux, évangélique ou catholique. Cependant, lorsque le premier dimanche après l’avancée des troupes bolcheviques (le 16 août 1941), je pus rester quelques heures dans ma communauté d’origine, Worms, près d’Odessa, j’assistai au premier service religieux, après cinq années d’interruption, dans l’église nettoyée et provisoirement aménagée... Le prédicateur, un soldat de la Wehrmacht allemande, dut ensuite baptiser les enfants et unir les couples. Quelques couples vinrent avec leurs enfants et les firent baptiser et se marièrent. La même chose est relatée par les communautés catholiques de ces territoires » 667 .’

En 1941, les églises avaient été détruites, totalement ou en partie, y compris celles de la République de la Volga. Les clochers avaient été démontés et les bâtiments ainsi transformés avaient un toute autre utilité. Pendant l’occupation et pendant la guerre, les colons ont fait leur possible pour entretenir et aménager les bâtiments restants, les écoles, les églises. Il n’était pas envisageable de reconstruire des clochers. Les églises et les murs des cimetières avaient été blanchis. Parfois, les colons tentaient simplement d’ériger une nouvelle croix, souvent en bois. Comme beaucoup d’églises avaient été détruites, les croyants fabriquaient ces croix en bois avec les restes des bâtiments. Les quelques cloches en fonte étaient hissées sur un simple socle de bois. La période couvrant 1933 à 1940 a donc été extrêmement difficile pour les Allemands car il n’y avait plus de services religieux. Les prêtres ou pasteurs, comme la plupart des personnes de l’élite allemande, avaient été bannis. C’était les plus anciens qui lisaient les sermons. Parfois, à quelques rares occasions, des hommes d’Église militaires organisaient un service religieux, célébraient mariages et confirmations. Puis, lorsque le temps de la reconstruction revint, les gens s’empressèrent de ressortir leurs affaires du dimanche. Même si les bâtiments étaient en ruine, la population se rassemblait notamment le dimanche, été comme hiver, sous la canicule ou dans le froid. Les femmes s’enroulaient alors dans de grandes couvertures sombres et venaient assister au service. Les chants résonnaient de nouveau dans les villages. Ainsi, les premières communautés religieuses non officielles et « secrètes » (parce que non autorisées) apparurent dans les années 1940. Les Allemands pouvaient y recevoir aide, compréhension et confiance. C’était le seul endroit où l’on prenait soin de l’allemand en tant que langue maternelle, avec les cantiques. À la différence des autres pays, les Allemands soviétiques purent pas profiter du rétablissement des églises pendant la Seconde Guerre mondiale. Les bâtiments ecclésiastiques se trouvaient là où les Allemands s’établissaient en masse. Ils avaient hâte de reprendre officiellement leur vie religieuse et d’ériger leurs églises dans les nouvelles régions colonisées, principalement le Kazakhstan et l’Altaï. Les fonds utilisés étaient des fonds privés. Les bâtiments étaient construits par les membres des communautés eux-mêmes, selon les modèles de l’architecture allemande, mais au fil des ans, l’architecture russe inspira les bâtisseurs 668 .

Notes
662.

La fondation de la première communauté luthérienne de Moscou remonte au XVIe siècle. Cependant, le développement de l’Église évangélique est davantage marqué sur le XVIIe siècle. Les Allemands établis sur la Volga étaient à 75 % évangéliques (soit luthériens, soit réformés). Au XIXe siècle, l’évolution se poursuivit partout en Russie et le 28 décembre 1932 une loi fut même promulguée pour « l’Église évangélique luthérienne de Russie ». Les Allemands étaient les principaux adeptes de cette Église. L’arrivée des bolcheviques modifia le fonctionnement de l’Église évangélique et les pressions sur les groupes religieux commencèrent à se faire sentir. Du 22 au 26 juin 1924 eut lieu à Moscou le premier Synode général de l’Église évangélique luthérienne dans l’objectif de déterminer une nouvelle constitution religieuse et d’élire une nouvelle direction religieuse. Puis ce fut une période de silence (fermeture des lieux de culte, emprisonnement des religieux, camps, etc.) La période stalinienne marqua l’intensification des persécutions et des pressions exercées sur les confessions religieuses. La loi du 8 avril 1929 est un exemple des exigences imposées par les autorités aux communautés religieuses. Cf. C. BÖTTGER, Lexikon der Russlanddeutschen, Berlin, 2000, pp. 100-101.

663.

J. SCHNURR, Die Kirchen und das religiöse Leben der Russlanddeutschen, Evangelischer Teil, 1980, p. 41.

664.

Selon J. BRENDEL, Aus deutschen Kolonien im Kutschurganer Gebiet, Geschichtliches und Volkskundliches, Stuttgart, 1930.

665.

J. SCHNURR, Die Kirchen und das religiöse Leben der Russlanddeutschen, Evangelischer Teil, 1980, p. 43.

666.

Ibid., p. 44.

667.

« Als ich 1941 nach Südrussland kam und auf dem Wege von der rumänischen Grenze bis in die Krim Gemeinden besuchen konnte, die von den deutschen Truppen überrollt worden waren, fand ich keinen evangelischen und keinen katholischen Geistlichen mehr. Als ich aber am ersten Sonntag nach dem Abmarsch der bolschewistischen Truppen, am 16. August 1941, für einige Stunden meine Heimatgemeinde Worms im Kreis Odessa besuchen konnte, fand dort in der gereinigten und behelfsmäßig eingerichteten Kirche nach fünf Jahren Unterbrechung der erste Gottesdienst statt. Anschließend musste der Prediger, ein Soldat der deutschen Wehrmacht, Kinder taufen und Ehepaare einsegnen. Manche Ehepaare waren mit ihrer Kinderschar erschienen und haben diese taufen und ihren Ehebund einsegnen lassen. Dasselbe wird von den katholischen Gemeinden jener Gebiete berichtet », Ibid., p. 45.

668.

Les tours des églises, qui s’élèvent très haut au-dessus des toits des habitations, sont typiques. Les jardins autour des églises ainsi que les murs d’enceinte sont toujours bien tenus. Dans toutes les églises, il y a des orgues qui proviennent en général d’Allemagne. Le style de ces églises est largement inspiré du style allemand, avec une petite adaptation au style orthodoxe, mais les traits dominants sont néoclassiques.