III- 4.2. Les chants populaires

Le chant populaire fait partie intégrante de l’éducation musicale et scolaire. Cela fait référence aux fêtes, aux cérémonies 724 . Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’expression Volkslied n’existait pas. Elle fut introduite sur le modèle anglais par Johann Gottfried Herder (1744-1803) en 1773. Ce dernier attachait une grande importance aux chants populaires de toutes les nations, c’est pourquoi il a appris plusieurs langues afin de pouvoir traduire certains chants populaires en allemand. Il a publié un recueil intitulé Stimmen der Völker in Liedern qui aujourd’hui encore fait référence.

‘« Das Volkslied bildet mithin einen wichtigen Bestandteil der Volksdichtung, und das Singen von Liedern ist ein Grundbedürfnis des Menschen » 725 . ’

Herder a souligné l’importance culturelle des chants folkloriques et le concept de transmission, importance que nous pouvons retrouver et confirmer notamment au travers d’exemples connus, comme :

  • Feldeinwärts flog ein Vögelein, de Ludwig Tieck (1773-1853) ;
  • Bei einem Wirte wundermild, Es gingen drei Jäger wohl auf die Pirsch, de Ludwig Uhland (1787-1862) ;
  • In einem kühlen Grunde, de J. von Eichendorff (1788-1857) ;
  • Es fiel ein Reif in der Frühlingsnacht, Die Loreley, de Heinrich Heine ;
  • Abend wird es wieder, de A. H. Hoffmann von Fallersleben.

L’apogée de la chanson folklorique allemande se situe entre les XVe et XVIe siècles. À cette époque, citadins, fermiers, artisans, étudiants, lansquenets avaient constitué une sorte de fonds culturel musical, au travers duquel s’exprimaient leurs émotions et leurs opinions communes à toutes les couches de la population. Ainsi, les chants étaient entonnés par tout un peuple 726 . Il faut néanmoins différencier les chants populaires dits primaires, c’est-à-dire d’origine anonyme, des chants populaires dits secondaires, c’est-à-dire dont les auteurs sont connus. Ainsi, la Hopsapolka de Johannes Schaufler, la chanson Marienchen bind die Garben fest d’Andreas Saks sont devenus des chants populaires secondaires 727 . Une chanson est cependant un véritable chant populaire si et seulement si elle se propage oralement de génération en génération 728 . Les effets de la transmission orale se remarquent facilement sur les chants populaires. Les mêmes chants sont chantés d’un village à l’autre, colportés, et petit à petit sont modifiés. Ce processus de modification n’est pas forcément un acte volontaire, mais plutôt un acte assujetti à la mémoire des personnes qui chantent les chansons et les propagent. Les chants folkloriques les plus connus sont répandus ainsi avec quelques variantes, ou sont parfois fragmentés de façon à correspondre davantage au folklore ou aux idées locales. Ceux qui ont publié les chants folkloriques allemands les plus anciens sont généralement des troubadours, des musiciens au Moyen-Âge. Cependant, à la fin de la période médiévale, alors qu’une nouvelle éducation humaniste se répandait, avec l’apparition de l’imprimerie, les musiciens purent imprimer plus facilement les chants et les diffuser ainsi plus amplement, touchant toutes les couches de la population. Certaines castes se sont appropriées les chants, y compris (voire surtout) le monde paysan 729 . Victor Schirmunski* estime que ce ne sont pas seulement les paysans qui ont remodelé les chansons au fil des années, puisqu’on retrouve dans certaines des paroles un style soutenu et courtois, signe certain d’une caste aisée et bourgeoise, voire noble. En fait, toutes les couches de la population ont procédé à ce « détournement culturel musical ». Puis, jusqu’au XVIIe siècle, les musiciens ne furent plus les seuls à créer ou diffuser les chants, mais aussi les cavaliers, les écrivains, les lansquenets, les étudiants, les artisans, les marins, etc. Ces nouveaux poètes étaient alors cités à la fin des chants, dont les dernières strophes étaient dédiées à ceux qui chantaient les chansons, et donc les véhiculaient, comme nous le montrent les exemples cités en note 730 .

Ostensiblement, dans les chants folkloriques allemands créés en Russie, le métier, la situation et la résidence du poète sont cités dans ces strophes d’auteurs 731 . Victor Schirmunski souligne avec justesse à la fin des années 1920 que de nombreuses vieilles chansons folkloriques qui font encore aujourd’hui partie du trésor musical allemand des colonies remontent aux XVe et XVIe siècles, et sont parvenus jusqu’à l’époque contemporaine par de vieux recueils de chants manuscrits ou publiés au XVIe siècle. Ces chants sont venus d’Allemagne en Russie à l’époque avec les colons. Au cours des XIXe et XXe siècles, les Allemands de Russie ont repris à leur compte bon nombre de chants issus des Länder germanophones. Des chants se sont depuis ajoutés aux précédents. Victor Klein pour sa part distingue trois groupes de chants folkloriques :

  • les chants qui sont arrivés avec les colons d’Allemagne en Russie et dans beaucoup de cas ont atteint la Russie au cours des XVIIIe et XIXe siècles, et qui concernent pour une majeure partie des chants d’amour et des ballades ;
  • les chants qui, au cours des XIXe et XXe siècles, nous sont parvenus de différentes régions germanophones (Allemagne, Autriche, Suisse et dès les années 1960 surtout de R.D.A.) par le biais de livres de chants, de calendriers, mais aussi par l’intermédiaire de professeurs, d’anciens prisonniers de guerre, et plus récemment par la radiophonie, les disques et la télévision.
  • Les chants qui, soit en Russie, soit en Union soviétique, ont été créés par les colons allemands eux-mêmes, reflétant leurs conditions de vie.
  • les chants apparus en Allemagne, colportés en Russie et sur la Volga, plus ou moins transformés ;
  • les chants créés sur la Volga ;
  • les chants créés ou non sur la Volga et modifiés sous l’influence russe 732  ;
  • les chants apparus après la Seconde Guerre mondiale dans différents territoires d’U.R.S.S.

Quelles sont les bases de recherche qui nous permettent d’envisager et de comprendre la situation actuelle ? La recherche sur le fonds folklorique musical des Allemands de Russie a une tradition qui remonte à une centaine d’années 733 . Les recherches sont nées de l’impulsion d’émigrés allemands de Russie en Allemagne, et de certains pays d’Amérique du Nord et du Sud 734 . Au milieu du XIXe siècle, Johannes Matthias Firmenich a compilé en Russie les différents et nombreux dialectes allemands, au travers du folklore musical, aux fables drolatiques et au langage enfantin chanté. Le résultat de ses recherches a été publié dès 1889 dans plusieurs magazines de chants 735 .

Au XXe siècle, trois périodes sur l’étude de la musique allemande en Russie et U.R.S.S. sont distinguées : avant la Première Guerre mondiale, avant la Seconde Guerre mondiale, après la Seconde Guerre mondiale 736 . Le livre de Walter Salmen Das Erbe des ostdeutschen Volksgesanges restitue l’histoire des chants populaires des Allemands de Russie. La vie musicale est aussi abordée par Hans Joachim Moser. Tous deux contrent avec conviction l’idée d’une influence russe sur les chants des Allemands de Russie 737 . En 1969 sont parus dans le Jahrbuch für ostdeutsche Volkskunde deux articles qui étudient précisément les modes de transmission des chants populaires 738 . Depuis 1989, les chants populaires et la musique instrumentale sont toujours actifs dans les groupes folkloriques. Dans les années 1990, Wilhelm et Helene Geiger de Bachkirie, Alexander Göttich de Tcheliabinsk ont réuni des œuvres musicales et publié des articles dans les journaux à ce sujet. À la même époque, aux États-Unis, et ce depuis la Seconde Guerre mondiale, ce sont Lawrence A. Weigel et Nick J. Pfannenstiel qui recueillent et étudient les chants populaires (un corpus de 300 chants a été identifié). Iris Barbara Graefe a rassemblé 1 000 chants populaires et religieux allemands en Argentine dans les années 1960 et environ 300 au Kazakhstan (à Kirovo, territoire de Karaganda) plus tard dans les années 1980.

Johannes Windholz a réalisé de nombreuses études historiques sur le sujet. Son postulat est le suivant : il estime que le folklore musical proprement dit des Allemands de Russie débute avec le recueil Volkslieder und Kinderreime aus den Wolgakolonien, fruit des travaux de collecte de Johannes Erbes* et Peter Sinner*. Cet ouvrage comprend de nombreux chants très appréciés, encore aujourd’hui, mais, et c’est regrettable, aucune indication sur les mélodies. Georg Schünemann souligne à ce sujet que les chants se sont rarement transmis par l’écrit, ce qui explique le manque d’indications mélodiques :

‘« Le chant reste ancré dans la mémoire des anciens, est rajeuni dans la bouche des jeunes célibataires puis se transmet sans livre ni écrit d’une personne à une autre. Les chants sont échangés quand les fermiers des différentes colonies rentrent de leurs champs ou quand un moment de tranquillité invite à se détendre et se reposer » 739 . ’

Les livres de chants avec annotations musicales existent seulement dans la Volga dans les villages mennonites au début du XXe siècle. Les mennonites utilisaient en effet des notes sous forme de chiffres qui n’étaient pas (sinon peu) connus des autres groupes allemands. Cela leur permettait de garder l’exclusivité de certains chants (qu’ils avaient parfois eux-mêmes créés) ou leur donnait la possibilité de les interpréter d’une manière qui leur était propre. Ce système était destiné au départ à être interprété par un chœur. Les chanteurs devaient connaître les gammes afin de répondre correctement aux ordres du chef de chœur 740 . Une œuvre incontournable dans le domaine de l’étude du folklore musical est le livre Das Lied der Deutschen Kolonisten in Russland de Goerg Schünemann 741 . Il contient 434 chants allemands annotés, les chants qui sont issus de toute la Russie et que l’auteur a retranscrits au moyen d’un phonographe pendant la Première Guerre mondiale avec l’aide de prisonniers de guerre allemands de Russie. Il déclare :

‘« Le travail communautaire avec les colons est inoubliable à mes yeux. Nous sommes rapidement devenus amis […]. Je remercie ces chanteurs de la Volga et du sud de la Russie d’avoir collecté ces chants qui sont désormais reliés en un volume somptueux et solide. […] Dans la vie des colons, le chant allemand est resté un élément fort et riche. La répression et la russification n’ont pas pu le détruire ; le chant fait remonter à la surface souvenirs et nostalgie de la patrie allemande. Les Allemands possèdent là un bien qu’ils ne peuvent perdre qui représente leur héritage et leur consolation » 742 . ’

Schünemann estime que les chants populaires russes ont influencé les chants populaires allemands : selon lui, au contact de la population russe, les chants des colons ont été modifiés par les chanteurs, des mots ont été introduits et les chants ont parfois été adaptés ou repris sur des airs russes, à un tel point qu’il était possible de confondre chansons allemandes et chansons russes.

‘« Ils (les colons) adoptent de plus en plus fréquemment des habitudes russes : leurs manières évoluent chaque jour davantage, sont modifiées ou adaptées à la musique russe. Le colon se différencie peu du Russe lorsqu’il chante ses chants » 743 . ’

Certes, l’influence russe est évidente. Le contact des populations a naturellement impliqué quelques modifications dans les chants. Néanmoins, cette influence n’est à notre sens pas fondamentale, en tout cas pas au point de confondre chansons russes et chansons allemandes, dans la mesure où les modifications opérées sur les chants allemands en Russie sont restreintes et visibles (il s’agit en effet souvent de l’introduction de mots russes ou de russification de certains mots et noms propres allemands mais aussi d’une influence sur le style musical) ; il s’agit surtout de modifications d’ordre linguistique qui sont à mettre en parallèle avec l’évolution de la langue allemande et des dialectes, dont nous avons déjà parlé. L’influence sur le style musical est quant à elle plus exceptionnelle. Ceci étant, il nous faut prendre en compte ces influences. Il ne faut pas non plus négliger l’influence religieuse sur la chanson allemande, au travers des chants religieux 744 . Ces chants sont parvenus jusqu’à aujourd’hui d’abord par une transmission orale. Ils n’ont été que récemment rédigés par écrit et adaptés en musique 745 . Schirmunski a d’ailleurs lui-même minimisé par la suite ce phénomène qu’il dénonce, tenant compte du fait qu’il s’opère partout, pas seulement sur le fonds folklorique musical des Allemands de Russie. Cela ne fait donc pas des Allemands de Russie un cas à part en la matière. Johann Windholz rejoint cette position et l’étaye en déclarant que ce processus n’est pas tant un processus de russification qu’un processus d’échange mutuel, actif et positif, inévitable. À notre sens, ces deux hypothèses sont parfaitement complémentaires et envisageables. D’autres chercheurs, tels que Reinhold Keil*, estiment que les Allemands de Russie ont ainsi repris d’autres influences culturelles à leur compte pour s’enrichir davantage.

En 1926, Georg Dinges* a dirigé la thèse de germanistique de Sinaïda Potulova sur le thème « Armut und Reichtum im Wolgadeutschen Volkslied », travail qui a été publié seulement en partie. En 1939, Semion Maximov a soutenu une thèse sur le thème de la culture musicale et la culture populaire instrumentale 746 . Le premier chapitre est consacré à la vie musicale des Allemands de la Volga avant la Révolution. Dans le second, il décrit les instruments de musique populaire, les traditions musicales lors des mariages, présente et décrit un large répertoire. Un autre ouvrage incontournable de ce domaine d’étude est le recueil de Georg Dinges et Paul Rau*, Wolgadeutsche Volkslieder mit Bildern und Weisen, est paru en 1932. Ce livre contient 50 chants populaires volga-allemands et sept illustrations, signées de Paul Rau. Les chants ont été publiés par Freundschaft en 1989 747 . Cependant, la plus grande collecte de chants fut réalisée dans les années 1920 puis prolongée au début des années 1930 par Victor Schirmunski et ses collaborateurs, Alfred Ström, Ellinor Johanneson, Tatiana Sokolskaïa. Leur étude a été menée sur l’ensemble des villages allemands en Union soviétique 748 . Cette compilation fut en son temps publiée dans la presse spécialisée allemande. Le professeur V. Protopopov, du Conservatoire de Moscou, le Dr Ernst Stöckl, éditeur de Musikgeschichte der Russlanddeutsche 749 , ont proposé pour leur part seulement à la fin des années 1980 de mettre à disposition l’ouvrage de Schirmunski à l’institut de littérature russe (Maison Pouchkine) de l’Académie des Sciences d’U.R.S.S. à Saint-Pétersbourg. Entre-temps, quelques études ont été réalisées. En 1940, A. Saks a en effet mené des recherches sur le terrain soviétique. V. Klein et Gottlieb Schneider* l’ont rejoint. Plus de 90 œuvres ont alors été recensées par leurs soins. Néanmoins, il est impossible de dire comment les auteurs ont procédé à ce choix, s’ils ont tenu compte des variantes existantes ou non et l’on peut légitimement se poser la question de l’arbitraire d’une telle sélection, ou de son côté non exhaustif. Après la Seconde Guerre mondiale, la thèse de Johann Windholz est la seule qui nous est connue. Plus tard, entre 1972 et 1982, Windholz collecta plus de 2 500 chants populaires, recentrant ses recherches sur le village de Kirovo, dans le territoire de Karaganda, Kazakhstan. Il mit alors en rapport le milieu social et le folklore, en étudiant les groupes folkloriques 750 de ce même village, mettant ainsi en évidence que chaque groupe d’âge possède un noyau musical, de chants. Par exemple, la génération des 70 ans connnaissait un noyau d’environ 90 chansons allemandes (certains individus dans le groupe davantage) tandis que le groupe des 50 ans connaissait un noyau d’environ 45 chants allemands et russes 751 .

C’est en 1957 qu’est paru un ouvrage à Tselinograd qui fut reconnu comme le premier recueil de chants de l’après-guerre. Il fut publié sous le titre Dorfbühne. Comme le souligne à juste titre Johann Windholz, ce sont surtout l’écrivain Victor Klein et le musicien Oskar Geilfuss* qui ont contribué à cette recherche complète sur le folklore musical allemand en ex-U.R.S.S. Oskar Geilfuss a effectivement rapporté plus de 300 chants, dont une partie fut complétée en 1971 (avec 50 chants supplémentaires) et une autre en 1977 (avec 30 chants), le tout étant publié alors aux éditions Kazakhstan 752 . En 1971, ce fut la première édition officielle de chants populaires allemands en Union soviétique de l’après-guerre. La plupart des chants de ce volume parlent des traditions, de l’Histoire, d’amour. Geilfuss a tenté au travers de cet ouvrage de couvrir la plus large période possible (de 1763 à nos jours) 753 . Le travail intitulé Unversiegbarer Born de Victor Klein, qui a laissé deux recueils de chants 754 regroupant une vingtaine de titres, est également fondamental, bien que plus restreint, du point de vue de la thématique choisie, de la langue, du style, du rythme et de la symbolique de la chanson populaire. Pour sa part, Alexander Schwab a publié un recueil de 178 chants issus de différentes régions, sous le titre Russlanddeutsches Liederbuch. Neues Leben a largement contribué à propager les chants par des publications régulières de chants. Friedrich Dortmann et Emanuel Jungmann ont beaucoup contribué à l’adaptation musicale du lyrisme soviétique allemand, et ainsi enrichi les registres musicaux. Johann Windholz a marqué la période des années 1990 en réalisant le plus important recueil de chants (un millier environ avec en complément des adaptations musicales de V. Klein et des textes publiés dans les journaux germanophones).

Que dire des genres de chansons ? Victor Klein a établi l’existence de quatre genres de chants des Allemands de Russie, se basant sur différents critères. Nous avons choisi de présenter les trois genres principaux, car les plus fréquemment rencontrés 755 .

  1. Les chants épiques (ce sont des personnages qui racontent et donc chantent), regroupant des ballades, des chants historiques, sociopolitiques, des récits sentimentaux, d’amour, d’humour. Parmi eux, nous avons relevé quelques vieilles ballades d’amour telles que Die Königskinder, Die alte Nonne (connue depuis le XVe siècle), Der eifersüchtige Knabe, Es stand eine Linde im tiefen Tal, Der Edelmann und die Schäferin, Die Liebesprobe, Der treue Knabe, Der verschlafene Jager, Ritter und Magd, Das Schloss in Österreich, Ritter Ewald connue aussu sous le nom In des Gartens düstrer Laube. Il existe aussi des ballades connues depuis le XIXe ou le XXe : Der gute Reiche, Heinrich und Wilhelmine, Lenore (de Gottfried August Bürger), Die schöne Gärtnerin (de Dreves, 1836), Müde kehrt ein Wanderer zurück, Tränen hab’ich viele... Les chants d’origine historiques sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils reflètent la période et les événements pendant lesquels ils ont été créés. Ainsi, certains parlent de l’émigration ou de Catherine II et du manifeste du 22 juillet 1763, comme par exempleVoir ANNEXE XCVI et ANNEXE XCVII : chants folkloriques allemands. Tränen hab’ich viele... ou Katharina, du hast uns betrogen. À cette époque apparaissent également des chants tels que Hier in Russland ist nicht zu leben et Kommt, ihr Brüder, wir wollen ziehenSelon R. KEIL, « Über das Volkslied der Wolgadeutschen », in Heimatbuch der Deutschen aus Russland 1982-1984, 1984, p. 188. Voir ANNEXE XCVI. . Ces chants ont plusieurs variantes, selon les colonies dans lesquelles ils sont fredonnés. J. WINDHOLZ, « Volksmusik der Sowjetdeutschen », in Heimatliche Weiten 2, pp. 247.. Une chanson, écrite à Karaganda, traite de la guerre de 1812, une autre des défaites de Napoléon en Russie et sont donc plaquées sur la réalité historique, précisant le sentiment des citoyens face aux événementsVoir ANNEXE XCVI. . D’ailleurs, les chansons peuvent également refléter des événements qui se sont passés dans d’autres lieux. Par exemple, bien que les Allemands de Russie n’aient pas pris directement part aux conflits avec la Crimée (1853-1856), ils ont soutenu l’armée russe (en ravitaillant la cavalerie, l’armée, en soignant les blessés), épisodes ce qui se retrouvent matérialisés dans les chantsCf. K. KELLER, Die deutschen Kolonien in Südrussland, Odessa, volume I, Moscou, 1905, pp. 127-131. Cf. J. PRINZ, Die Kolonien der Brüdergemeinde, Moscou, 1898, pp. 145-147. Cf. WINDHOLZ, « Volksmusik der Sowjetdeutschen », in Heimatliche Weiten 2, pp. 248. Voir ANNEXE XCVI. . Les chants sont colportés par les soldats d’une région à l’autre, parfois modifiés : par exemple, Aus Wolhynien est devenu Nach Sibirien en voyageant, chanté avec un tempo plus lentVoir ANNEXE XCVI. . De nombreux chants sont ainsi apparus pendant la Première Guerre mondiale et ont été également modifiés. Ils trouvèrent un large écho sociopolitique. Certains chants ou poèmes lyriques sont apparus dans des camps de travaux forcés, et ainsi Arbeitsarmeelied, Arbeitsarmistin, qui sont très ancrés au KazakhstanI. TRUTANOV, Arbeitsarmee-Dichtung, in Deutsche Allgemeine Zeitung, 1991, n°41, p. 4. Voir ANNEXE XCVI. . Ces chansons sont précisément nées en 1943 dans le camp Tavda, sur le territoire de Nijni Tagil et étaient chantés sur la mélodie de Stenka-Rasin. Les années de famine ont également inspiré compositeurs et chanteursVoir ANNEXE XCVI. . En effet, plusieurs séries de chants et de poèmes lyriques sont nés pendant la période de bannissement, parlant de nostalgie, des difficultés rencontrées, de la collectivisation et des travaux forcés. L’humour y est donc parfois satirique et ironique. Les chants ne sont pas limités à certains territoires mais se propagent, comme le chant Zur Mordtat in der Kolonie Holstein 1856, écrit par Michael Frank sur la mélodie de Heinrich schlief bei seiner NeuvermähltenCf. V. KLEIN, Unversiegbarer Born, Alma-Ata, 1974, pp. 44-45. Voir ANNEXE XCVI..
  2. Les chants lyriques, d’amour, de départ, de nostalgie, de voyage mais aussi sur les classes sociales, les soldats et les métiers sont également très fréquents et constituent une seconde catégorie de chants. La plupart de ces chants sont très anciens et ont été transmis jusqu’à la période contemporaine, subissant parfois quelques modifications, à l’exemple de Schilling ist ein schönes StädtchenIbid., p. 38. Voir ANNEXE XCVI. . La variété des textes et des formes est conséquente. Les plus connus sont les suivants : Das menschliche Leben ; Schön ist die Jugend ; Du, du liegt mir am Herzen ; Hätt’ich dich nicht gesehen ; Wir sitzen so fröhlich beisammen ; Schön Schätzel, was hab’ich erfahren ; Wie die Blümlein draußen zittern ; Ein niedliches Mädchen ; Drunten im Tale ; Die Männertreu ; Schwarzbraunes Mädchen ; O Susanna... ; Hier und da bleib’ ich nicht ; Es stand eine Linde ; Herz, mein Herz, warum bist du so traurig ? ; Es ist mir nichts lieber ; Ich habe mein Feinsliebchen ; Es gibt ja keine Rosen ohne Dornen ; Morgen muss mein Schatz verreisen ; Mein Schatz, mein einziger Geliebter ; Abschied muss ich nehmen hier ; Die Liebe macht glücklich ; Morgen muss ich fort von hier ; Im schönsten Wiesengrunde ; Das Heimatlied der Matrosen ; Auf die Reise bin ich gegangenVoir ANNEXE XCVI. . En outre, les chants vantant les mérites des soldats ne sont pas négligeables, chantés principalement dans les casernes. La plupart ont une origine véridique, précise et datent de 1870 à 1880. La majorité gratifie l’armée, les soldats voire, et cela a attrait à un domaine proche, les chasseurs, à l’exemple de Jetzt fangen an die Schreckensstunden, Herzliebster Kamerad ou Das Los ist mir auch zugefallen, Es blieb ein Jäger wohl in sein Horn, Jägerchor, Der Schütz, Wald und Heide, Ein Jäger trug ein grünes Kleid, ou encore Der Feind rückt einCf. J. ERBES, P. SINNER, Volkslieder und Kinderreime aus den Wolgakolonien, Saratov, 1914, pp. 146-147. Cf. G. DINGES, Wolgadeutsche Volkslieder, Berlin et Leipzig, 1932. Voir ANNEXE XCVI. . De nombreux chants fredonnés aujourd’hui encore datent de la Révolution de 1917, comme In den grünen Steppen, Budjonnylied, Bei Zarizyn besiegten wir die Banden. Enfin, certains glorifient certains corps de métiers, comme Das Heimatlied der Matrosen, Wenn man beim Bauern dient, Ich bin das ganze Jahr vergnügt, Es wohnt ein Müller wohl an dem See.
  3. Enfin, le dernier genre concerne les chants conviviaux, concernant les coutumes, les moqueries, les danses, les enfants. Ces chants sont entonnés pour la plupart des fêtes annuelles (Pâques, Pentecôte, St Jean, fête de la moisson, kermesses, Noël, Nouvel An) ainsi que pour les événements de la vie (naissances, baptêmes, mariages, décès)R. Korn, « Der Russlanddeutsche im Spiegel seines Brauchtums », in Deutsche Allgemeine Zeitung n°10-15-20-28-30-38-45-49-57, 1991, p. 4. R. Korn, « Tränen hab’ich viele... Das Volksliedgut der Russlanddeutschen », in Heimatpfleger n°3, 1994, pp. 12-14. R. Korn, « Die Zauberwirkung des Chritbaumes, Weihnachtsbräuche der Russlanddeutschen », in VadW n°12, 1998, pp. 38-39. . Ces événements quotidiens ont généré de nombreuses nouvelles chansons dans les colonies allemandes et sont restées très ancrées parce qu’elles sont liées aux coutumes et fondamentales donc du point de vue culturel. Parmi ces chants se trouvent les chants en quatrains à l’exemple de LiesjeVoir ANNEXE XCVI..

Cette analyse nous permet de constater que les genres des chants allemands de Russie sont riches parce que les chants populaires sont le fruit d’une production orale, source d’inspiration de nombreux poètes et musiciens. Les chants populaires allemands en U.R.S.S., partie intégrante de la culture, se sont transmis jusqu’à nos jours et ont gardé leur force musicale à travers les décennies 770 . De tout temps et de toute civilisation, les chants populaires ont revêtu une importance fondamentale pour une culture.

‘« Le bien culturel que les colons de la Volga ont réussi à préserver au travers des tempêtes et tourments de l’Histoire (révolution, guerre civile, guerre mondiale, bannissement et diaspora) constitue aujourd’hui une richesse d’une valeur inestimable. Les colons n’avaient, en plus de 220 ans d’histoire, encore jamais été autant tourmentés impunément qu’aujourd’hui. Le chant folklorique devint pour eux source de consolation et d’espoir dans la tourmente de ces moments-là ! » 771

Les chants populaires dans leur diversité parlent des gens ordinaires, de leurs inquiétudes, sentiments, de leur vie et sont en ce sens l’œuvre de tout un peuple 772 . Au final, la pérennité des chants folkloriques a assuré en partie celle de la langue allemande 773 , notamment parce que les chants folkloriques sont présents au quotidien dans la vie des Allemands de Russie : en famille, lors des fêtes religieuses, etc. Ainsi, nous allons nous consacrer maintenant à l’étude des traditions allemandes et nous verrons ensuite quels sont les groupes folkloriques, musicaux pour certains, qui sont issus de la perpétuation de ces coutumes.

Notes
724.

M. TRAUSCH, « Über Bedeutung des Volksgesanges – Stand der russlanddeutschen Volksliedforschung », in Heimatbuch 1990-1991, Stuttgart, 1991, p. 239 et suiv.

725.

Ibid., p. 240. Cf. Étude d’A. SYDOV, Das Lied – Ursprung, Wesen und Handel ; études de F. DORTMANN, J. WINDHOLZ und E. JUNGMANN ; V. KLEIN, « Volksmusik der Sowjetdeutschen », in Heimatliche Weiten n° 2, 1983.

726.

Cf. W. LENK, H. SCHNABEL, « Schwänke, Volksbücher und Sprichwortsammlungen », in Deutsche Literaturgeschichte, 1967, p. 107.

727.

Cf. V. KLEIN, Unversiegbarer Born, Alma-Ata, 1974, p. 14.

728.

Cf. V. SCHIRMUNSKI, Die deutschen Kolonien in der Ukraine, Moscou, 1928, p. 68.

729.

Id., p. 70-71.

730.

« Der uns das Liedlein neu gesang, das hat getan ein Reuter gut, zu Braunschweig in der Stadt. [...] Die uns das neue Liedlein sangen, das haben getan drei Landsknecht gut, zwei alte und ein junger », in V. SCHIRMUNSKI, op. cit., Moscou, 1928, p. 70-71.

731.

Cf. « Und wer das Lied gedichtet hat, / der stammt von der Bergseit’her - / ‘n Kerl wie ‘Bär - / der stammt von der Bergseit’her », V. KLEIN, Unversiegbarer Born, Alma-Ata, 1974, pp. 10-11.

732.

Pour les chants dits modifiés, nous avons trouvé le terme das Umsingen utilisé de façon récurrente pour désigner le processus d’évolution musicale.

733.

Cf. A. EISFELD, « Kultur- und Lebensformen der Deutschen in der Sowjetunion – Traditionelles und Neues in der Diaspora, in Referate der Kulturtagung der Deutschen aus Russland/UdSSR vom 20. bis 22. Oktober 1989, Stuttgart, 1989, p. 133.

734.

Cf. J. WINDHOLZ, « Volksmusik der Sowjetdeutschen », in Heimatliche Weiten 2, pp. 245-279.

735.

Cf. Ibid., pp. 275-279.

736.

Cf. J. WINDHOLZ, « Schwindendes Erbe – Mündliche Überlieferung der Russlanddeutschen », in MEISSNER, B., NEUBAUER, H., EISFELD, A., Die Russlanddeutschen, Gestern und Heute, Cologne, 1992, p. 245.

737.

Cf. W. SALMEN, Das Erbe des ostdeutschen Volksgesanges, Geschichte und Verzeichnis seiner Quellen und Sammlungen, Würzburg, 1956. H.-J. MOSER, Die Musik der deutschen Stämme, Vienne, 1957.

738.

Cf. A. CAMMANN, « Georg Sänger aus Leichtling an der Wolga als Träger der volkstümlichen Überlieferung seines Dorfes », in Jahrbuch für ostdeutsche Volkskunde, Marburg, vol. 12, 1969, pp. 179-214. W. SUPPAN, « Untersuchung zum Lied-Repertoire des Russlanddeutschen Georg Sänger aus Leichtling an der Wolga », in Jahrbuch für ostdeutsche Volkskunde, Marburg, vol. 12, 1969, pp. 215-248.

739.

« […] Das Lied lebt im Gedächtnis der Alten, ist jung im Munde der ledigen Burschen und erbt sich fort ohne Buch und Schrift von einem Geschlecht zum andern. Lieder werden ausgetauscht, wenn die Bauern aus verschiedenen Kolonien den Heimweg vom Ackerland antreten oder eine Ruhepause zur Erholung und Rast ladet », in G. SCHÜNEMANN, « Kolonistenlieder », in Der Deutsche um Ausland, sans année, Volga, p. 72.

740.

« Das gemeinschaftliche Arbeiten mit den Kolonisten bleibt mir unvergesslich. Wir waren bald miteinander Freunde [...]. Diesen Sängern von der Wolga und aus Südrussland verdanke ich die Liedersammlung, die nun in einem stattlichen, gediegen ausgestatteten Band vorliegt. [...] Im Leben der Kolonisten ist das deutsche Lied stark und reich geblieben. Unterdrückung und Russifizierung haben es nicht vernichten können ; mit dem Lied steigen Erinnerung und Sehnsucht an die deutsche Heimat auf, es ist der Kolonisten unverlierbarer Besitz, es ist ihr Erbe und Trost », in J. JANZEN, « Zur Entwicklung des deutschen kirchlichen Liedgutes im Russischen Reich und in der UdSSR », in Referate der Kulturtagung der Deutschen aus Russland/UdSSR vom 20. bis 22 Oktober 1989, Stuttgart, 1989, p. 23-124.

741.

Munich, 1923.

742.

G. SCHÜNEMANN, « Kolonistenlieder », in Der Deutsche um Ausland, sans année, Volga, p. 72.

743.

« Sie (die Kolonisten) gerieten immer stärker in russische Gewohnheiten hinein : Ihre Weisen änderten sich mehr und mehr, wurden umgestaltet oder der russischen Musik angepasst. Der Kolonist ist vom Russen kaum zu unterscheiden, wenn er seine Lieder singt », in R. KEIL, « Über das Volkslied der Wolgadeutschen », in Heimatbuch der Deutschen aus Russland 1982-1984, 1984, p. 180.

744.

« Das deutsche Element, das bei Beginn der Siedlung in Russland festen Fuß zu fassen gedachten prägte sich auch in seinen Liedern aus », in Heimatbuch 1966, Stuttgart, 1966, p. 140.

745.

« Wenn wir unsere Wünsche [vœux de perpétuer la culture notamment folklorique et musicale, CQFD] erfüllt sehen wollen, […] muss das Lied zwei Eigenschaften haben : 1. muss das Gewicht der Tradition erhalten bleiben und 2. muss es in eine heute ansprechende Form gekleidet werden », in Heimatbuch 1966, Stuttgart, 1966, p.  40.

746.

S. E. MAXIMOV, Narodnaïa musikalnaïa kultura nemtsiev Povoltisa, Moscou, 1939.

747.

Voir Freundschaft n° 62, 1989, p. 4.

748.

R. KORN, « Man muss eilen !  », in Freundschaft n° 199, 1989, p. 4.

749.

Paru aux éditions Laumann à Dülmen en 1993.

750.

Voir ANNEXE XCV : liste des principaux groupes folkloriques allemands en U.R.S.S. réalisée à partir d’informations recueillies dans les journaux germanophones. Certains groupes sont évoqués ou analysés dans notre travail.

751.

R. KORN, id.

752.

Cf. O. GEILFUSS, Deutsche Volkslieder, Alma-Ata, 1971 et O. GEILFUSS, Deutsche Volkslieder, Alma-Ata, 1971.

753.

T. SENKLEITER, « Oskar Geilfuss und die deutsche Folklore », in Deutsche Allgemeine Zeitung, n°66, 1991, p.4.

754.

Unversiegbarer Born et Schön ist die Jugend, V. KLEIN.

755.

V. KLEIN, Unversiegbarer Born, Alma-Ata, 1974, p. 14.

770.

Nous n’avons pas réalisé d’étude détaillée avec notes et commentaires de chants parce que n’étant pas spécialiste de musique, cette entreprise aurait été délicate. Nous avons choisi l’étude thématique uniquement, qui vient d’être présentée. Cela étant, une étude à la fois musicale et thématique pourrait faire l’objet d’une recherche à part entière par des spécialistes au regard de l’importance que revêtent les chants folkloriques dans l’histoire et le regain dont ils bénéficient actuellement.

771.

« Ein bis heute durch alle Stürme und Wetter der Geschichte – Revolution, Bürgerkrieg, Weltkrieg, Verbannung und Diaspora – noch erhalten gebliebenes Kulturgut der Wolgakolonisten, ein Reichtum von unüberschätzbarer Bedeutung. Noch nie waren die deutschen Kolonisten an der Wolga in den 220 Jahren ihrer Geschichte so schuldlos leidgeplagt wie heute. Und da war ihnen das Volkslied oft Trost und Hoffnung in all den Stürmen jener Tage ! », in R. KEIL, « Über das Volkslied der Wolgadeutschen », in Heimatbuch 1982-1984, 1984, pp. 175.

772.

« Was haben wir nicht alles an Volksliedern : Wiegenlieder, Kinderlieder, Wanderlieder, Abschiedslieder, Spottlieder, Tanz- und Scherzlieder, Soldatenlieder, historische Lieder, Heimatslieder, Vaterlandslieder, Lieder, die die Natur verherrlichen, Liebenslieder, usw. », in R. KEIL, ibid., pp. 176.

773.

« Mit Fug und Recht stellen wir heute noch fest, dass das Volkslied viel zum Erhalt der deutschen Muttersprache beigetragen hat und auch heute noch das Deutschtum in der Diaspora stärkt », R. KEIL, ibid., pp. 177.