Nous pouvons relever régulièrement des témoignages dans les journaux 774 qui nous permettent, en filigrane, de déterminer quelles sont les coutumes des Allemands du Kazakhstan et de juger si elles ont été modifiées depuis l’après-guerre. La plupart de celles que nous allons analyser sont des coutumes allemandes en général d’origine catholique, avec des variantes, mais qui ne sont pas propres aux Allemands du Kazakhstan.
Il semble que, si les coutumes n’ont pas changé dans l’ensemble, en revanche, les conditions de vie ont changé. Les fêtes de village sont toujours nombreuses chaque année, toujours respectées. Les coutumes, fêtes populaires et événements communs sont régulièrement et longuement décrits dans les journaux, récemment encore 775 . L’accent se porte alors souvent sur les émotions ressenties. Les mariages 776 en sont un exemple. Ils étaient et sont encore célébrés dans la tradition religieuse. Quand un jeune homme était en âge de se marier, il pouvait choisir une jeune femme mais un membre de sa famille ou un ami faisait une présélection, en formant des couples idéaux. En général, la jeune femme habitait sa commune ou les communes voisines. Les jeunes gens se voyaient souvent le dimanche, lors du culte. La tradition était que les jeunes femmes à marier arrivaient trente minutes avant la messe afin de discuter et que les familles s’entretiennent. Les croyances étaient importantes et respectées. Les jeunes gens de confessions différentes s’unissaient rarement. Les parents donnaient leur permission pour l’union. Le père répondait souvent ceci : « Si c’est un homme convenable et appliqué, et en aucun cas un ivrogne, je n’ai rien contre, à condition qu’il plaise à ma fille » (« Wenn es ein anständiger und fleissiger Mann ist und kein Siffar (Säufer), habe ich nichts dagegen, vorausgesetzt er gefällt meiner Tochter »). Une cérémonie de rencontre et de fiançailles était alors orchestrée entre les futurs époux potentiels. La fiancée portait les cheveux longs ou attachés en couronne, n’avait ni décolleté ni robe courte. Elle avait le droit de dire si son fiancé lui plaisait ou non, et donc le droit de refuser l’union. Si elle était d’accord, les parents discutaient de la dot 777 . Les fiançailles se déroulaient dans la maison des parents de la future mariée. Pour les préparatifs du mariage, les coûts étaient partagés. La préparation religieuse était respectée selon une tradition que nous connaissons aujourd’hui. Quelques jours avant le mariage, une personne était chargée de crier dans les rues du village l’invitation à la cérémonie : « Loué soit le Seigneur ! Les fiancés vous invitent cordialement à leur mariage dans la salle des mariages demain à neuf heures » (« Gelobt sei Jesus Christus ! Das Brautpaar lädt Sie herzlich ein, morgen um 9 Uhr im Hochzeitshaus zu sein »). Parfois, deux cérémonies se déroulaient simultanément. Les hommes invités portaient une chemise rouge sous leur veston. Au début du XXe siècle, la mariée était en noir (vers 1910) puis en bleu et dès 1915 en blanc, avec des fleurs dans les cheveux et un voile ou une couronne de fleurs dans les cheveux. La mariée était accompagnée pour la cérémonie par deux jeunes filles, dites demoiselles d’honneur, et dans l’église la femme se tenait à droite et le marié à gauche. Quand le prêtre ou le pasteur arrivait, le couple se réunissait. La cérémonie religieuse était suivie du vin d’honneur et de la fête, des félicitations. Le repas débutait vers quinze heures, très festif. La musique faisait partie intégrante de la fête, et les chants comme « Schön ist die Jugend » 778 ou des chants drôles comme « Der Tuwakwak » étaient récurrents.
Cela est particulièrement vrai pour les enterrements 779 . Pour chaque cérémonie, un cortège partait de la maison du défunt ou de la défunte jusqu’au cimetière. Les cimetières allemands devaient se trouver, selon les règles imposées par les autorités, en dehors des villages, au minimum à 500 m à l’écart. Le trajet durait donc longtemps, à pied en général. Tout le village était présent. Peu de personnes mourraient dans les hôpitaux, mais le plus souvent dans leur foyer. En général, le défunt était décédé dans sa chambre, alité. La famille, les amis, les voisins le veillait ensuite, allumant des bougies sur la table de chevet, apportant crucifix et eau bénite. Des prières et des chants étaient prononcés continuellement pour accompagner le défunt, pour le recueillement. Le chant entonné systématiquement pour les enterrements était Das Schicksal 780 . Les enfants étaient présents. Souvent, un membre de la famille, parfois un fils, était chargé de s’occuper du défunt et des formalités, ainsi que de soutenir le reste de la famille. Après la préparation du corps, les femmes s’habillaient de jaune foncé, de marron ou de noir, les jeunes filles et les enfants de blanc. L’enterrement lui-même se déroulait très rapidement, le jour même du décès quand cela était possible. Dans les villes, un prêtre ou un pasteur célébrait la cérémonie. Ensuite, un repas était partagé par tous et généralement tout était fait pour que le repas soit gai. Les veuves portaient le deuil pendant une année et souvent toute leur vie. Précisons, au terme de cette description, que les cérémonies de mariage et funéraires ont évolué depuis les années 1950 comme elles l’ont fait en Europe et que certains points, comme la veillée mortuaire ou les couleurs des tenues des mariés, ne sont plus d’actualité. L’évolution des traditions, notamment familiales et religieuses, fait de ces deux événements des éléments culturels moins marqués par les traditions qu’ils ne l’étaient auparavant.
En ce qui concerne les fêtes catholiques, Pâques est une fête très appréciée et attendue par les enfants 781 dont le rite est resté sensiblement le même. La période de jeûne de quarante jours est strictement respectée (ni douceurs, ni alcool, ni viande le vendredi). Pendant cette période, les fêtes sont nombreuses et les chants résonnent dans les villages. Vers 1960, le Vendredi Saint était une journée attendue et heureuse bien que difficile. Les cloches ne devaient pas sonner, donc des adolescents circulaient dans les rues trois fois par jour en chantant et discutant. Le matin, les habitants étaient réveillés par des mots précis 782 . Le samedi après-midi, les jeunes gens allaient de maison en maison pour faire la quête en lisant un texte 783 . Les enfants s’occupaient de la fête toute la journée, construisant des nids pour les lapins de Pâques. Ils faisaient des auges dans le sol, en terre, remplies d’herbe. Le chemin menant au nid était signalé avec des herbes afin que les lapins ne se perdent pas. Dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques, à minuit, commençait la fête de la résurrection. Le dimanche, très tôt, les enfants étaient réveillés par leurs mères par les mots suivants : « Kinder, steht uff, da Osterhas war do ! », qui équivalaient à « les enfants, réveillez-vous, les cloches sont passées » mais il s’agit d’un dialecte allemand typique du Kazakhstan. Le petit-déjeuner était très riche, avec du Paska, un gâteau biscuité confectionné pour l’occasion. Les familles se réunissaient jusqu’au lundi. À midi, la soupe Hinkalsupp était obligatoire, suivie de Rosinenzopf. Le plat principal se composait de poulet, de riz, de pommes de terre et de nouilles. L’après-midi, les enfants allaient avec leurs parrains chercher des sucreries. La kermesse accueillait des chorales, au moins un chœur mixte de six personnes. Le lundi de Pâques était le jour des visites familiales, réservé à de grands repas. C’était l’occasion de faire la fête et de retrouver des membres de famille parfois éloignés géographiquement. Seules les tâches ménagères et agricoles indispensables étaient effectuées ce jour-là, le travail était autrement proscrit.
La fête de la Pentecôte est également respectée : les jeunes déposent des arbres durant la nuit devant la maison de leur fiancé(e). Ensuite, ensemble, ils chantent des chants populaires, récitent quelques vers de poèmes connus ou écrits par eux-mêmes. Les repas sont partagés. C’est une véritable fête depuis 1950 qui prend place chaque année dans les villages allemands du Kazakhstan comme pour renforcer les liens entre les membres de la communauté. La symbolique de l’arbre est fondamentale. C’est le signe du renouveau, mais aussi de l’offre d’une nouvelle vie, d’un nouvel avenir. Si le ou la fiancée refuse l’arbre devant sa porte, le prétendant doit renouveler sa demande jusqu’à ce qu’elle soit acceptée. C’est le symbole de la persévérance et du courage, de la volonté dont souhaite faire preuve chacun des Allemands. Cette nuit créant de beaux souvenirs dans les mémoires, les histoires qui en découlent se propagent vite, d’un village à l’autre et l’on voit de plus en plus au Kazakhstan de telles cérémonies se dérouler.
À Alma-Ata, le premier week-end d’octobre est depuis le milieu des années 1950 synonyme de fête pour la communauté allemande. C’est la famille de Paul Hegel et ses descendants qui l’organisent. Ils y a beaucoup d’invités chaque année, des musiciens (Siegrid Kuhn dernièrement et Agnessa Galmann), des intellectuels d’origine allemande comme Hans Balmann, Hilda Reitenbach, Maria et Valentin Bauer. Tous font partie de la même génération. Ils fêtent les récoltes comme le faisaient leurs ancêtres avant eux. C’est une grande tradition chez les fermiers qui est respectée dans la capitale. Nous pouvons en trouver la trace également à Hellendorf en Azerbaïdjan. Les invités partagent fruits et légumes, parlent en souabe. Il y a un grand repas, on chante. Se décèle à chaque fois une grande complicité entre les membres de la même communauté. Ils font également preuve d’une profonde religiosité et sont très croyants, depuis les années 1960, même si les conditions politiques ne s’y prêtent pas. Le sens de ces fêtes populaires semblerait être la nécessité de ne pas oublier ses racines et de transmettre des principes populaires aux enfants.
Dans les familles chrétiennes, Noël est une fête très appréciée. De bons plats sont préparés à l’avance et le grand ménage est fait dans les maisons. La famille prend le repas de midi la veille de Noël ensemble, puis s’apprête avec soin pour la messe et la chorale. Les enfants recevaient des cadeaux selon les moyens des familles. Autrefois, les filles avaient des poupées faites à la main (en fait, de vieilles poupées recousues chaque année le plus souvent). Chaque enfant recevait un Karvla (petit panier en carton) rempli de Zuckerstanla (bonbons et noix). Le lendemain, tous se rendaient à l’église avant le grand repas traditionnel. Puis l’après-midi les enfants allaient adresser leurs vœux à leurs parrains et marraines. Pour le jour de l’An, de nombreux petits chanteurs passaient de maison en maison, adressant leurs vœux en chantant. Au-dessus des portes était inscrite la mention C + M + B suivie de l’année (le tout parfois gravé sinon marqué à la craie) signifiant soit Caspar + Melchior + Balthazar soit Christus + Mansionum + Benedictat (Le Christ bénit cette maison) selon les dires des familles. La prière du Nouvel An était récitée par les enfants qui ont toujours eu une place centrale lors de ces fêtes 784 .
Au cours de ces fêtes et événements, la musique était naturellement présente. Des groupes musicaux de tout ordre se formèrent. Les chefs d’orchestres, assistés de jeunes talents, formèrent les célèbres ensembles et mirent sur pied des corps musicaux propres aux stations de radiophonie. La reconstruction de salles d’opéra, parce que coûteuse, ne put se faire du jour au lendemain. Malgré tout, la tradition de théâtre lyrique put se maintenir sous une forme restreinte, dans le cadre de fêtes régionales et de festivals. Ainsi, en février 1959 fut formé un chœur allemand au sein du centre culturel d’Issyk au Kazakhstan 785 . En 1960, au sein de l’ensemble philharmonique du territoire de Koustanaï, a été créée une troupe allemande d’artistes dirigée par Hermann Schmall et Nikolaï Baumann. Le groupe de chanteurs et chanteuses interprétait des chants allemands aussi bien que russes, kazakhs ou ukrainiens. Les deux meneurs de chant étaient Elvira Muth et Peter Zoog. La troupe fut dissoute en raison de problèmes financiers. Une autre troupe vit le jour en 1960 à Aktioubinsk, sous la direction de Waldemar König. Le chœur était composé de 59 personnes. En 1963, dans la même ville, un groupe de chanteurs amateurs vit le jour sous la direction de Herbert Leicht 786 . Le premier ensemble professionnel allemand depuis la Seconde Guerre mondiale fut fondé le 5 décembre 1968 : il s’agissait de l’ensemble folklorique « Freundschaft » (Estradenensemble) de Karaganda 787 . Il était composé de chanteurs, de danseurs et de comédiens dont Elvira Muth dont nous avons parlé précédemment, mais aussi Heinrich Voth, Erwin Penner, Maria Penner, Semfira Abdratikova, Erich Schulz, Martha Saks 788 . Le premier directeur de la troupe fut Hermann Schmall, qui fut remplacé en avril 1971 par Herbert Leicht ; puis en 1975 ce dernier fut lui-même remplacé par Woldemar König. Toutefois, en 1969, à Karaganda, Djamboul mais aussi Tchimkent, les troupes essuyèrent les premiers revers financiers (problèmes budgétaires, manque de soutien des institutions et notamment de la part de l’ensemble philharmonique de Karaganda, imposition d’un programme de chants en russe, problème dans le recrutement des jeunes talents, etc.). Entre 1971 et 1976, le groupe essaya de surmonter ses difficultés alors que la tournée au Kazakhstan et en Sibérie se poursuivait 789 . Entre-temps, en juin 1975, fut formé le groupe « Lorelei » dans le territoire de Djamboul et placé sous la direction d’Alfred Matt 790 , ainsi que, la même année, un groupe amateur collectif du kolkhoze « 30 Jahre Kasachstan » dans le territoire de Pavlodar, placé sous la direction de Jakob Walter 791 . On note également à l’époque l’apparition du groupe « Jugend » (appelé aussi « Molodost ») dans le territoire de Tchimkent 792 . En janvier 1977, K. Wiedmeier et J. Windholz, eux-mêmes membres du groupe, reprirent la direction de la troupe « Freundschaft » 793 . La troupe comptait alors 18 personnes, dont le régisseur M. Poznanski, le musicien J. Lehmann, l’auteur et scénariste M. Grün, le chorégraphe I. Schultzker. Le principal souci du groupe est qu’il était trop dépendant financièrement de l’ensemble philharmonique de Karaganda, et n’était pas suffisamment rentable. Le groupe « Freundschaft » fut donc dissout en 1989 et certains membres essayèrent de reformer leur propre groupe pour partir en tournées. Certains y parvinrent, mais ce fut pour une courte période 794 : en effet, il était difficile de trouver le public « adapté » (autrement dit germanophone), le répertoire et la langue du répertoire n’étant plus adaptés pour les tournées.
En 1988, a eu lieu le premier festival de l’ensemble folklorique allemand sur initiative du théâtre allemand à Temirtaou puis en 1992, le premier festival d’art amateur allemand du Kazakhstan sur le territoire de Tselinograd. Les groupes invités étaient les suivants : « Ährengold », « Nelke » (Romanovka, territoire Pavlodar de 1986), « Gaudeamus » (École supérieure pédagogique de Koktchetav), « Urochaïni » (du sovkhoze du même nom), le chœur de la fabrique « Karl Marx » (territoire de Karaganda), les collectifs « Lerchen » (Redkaïa Doubrava) et « Morgenrot » de Podsosnovo (Altaï), le groupe instrumental de la famille « Göttich » et des artistes amateurs de Svonariov Kut (territoire Omsk), enfin, l’ensemble « Klingental » du sovkhoze Ierkenchelikski (territoire Tselinograd) et le collectif populaire « Lorelei » de Merke (territoire de Djamboul).
« Alte und neue Sitten und Bräuche », in Neues Leben, 16/11/1988, p. 15. Cf. R. KORN, « Unsere Sitten und Bräuche, Der Russlanddeutsche im Spiegel seines Brauchtums », in Deutsche Allgemeine Zeitung, n° 10-15-20-28-30, 1975.
Cf. Une rubrique conséquente fut consacrée aux coutumes dans le Deutsche Allgemeine Zeitung, n° 13, 2002.
« Geschichte deutschen Heiratsriten », in Deutsche Allgemeine Zeitung, 29/08/2002, p. 8.
Il faut préciser que le Kazakhstan étant depuis toujours peuplé de Kazakhs, de Russes, d’Ukrainiens, dans le monde du travail, la collaboration est plutôt bonne, c’est dans la vie personnelle et familiale que les différences éclatent, notamment lors des mariages mixtes ont longtemps fait problème avec les réticences marquées surtout chez les parents allemands et kazakhs. Chez ces derniers, l’aval du grand-père paternel est important pour un mariage. À ce moment-là, l’opposition s’exprime moins entre Allemands et Kazakhs que plus fondamentalement entre Chrétiens et Musulmans. À ce niveau, le recul du sentiment religieux a facilité la rencontre des peuples.
Voir ANNEXE XCVI.
« Bei jedem Fest, gleichgültig ob Feier- oder Trauertag, waren sie mit Leib und Selle dabei und legten ihren Gefühlen keinen Zwang an », M. SCHUMM, « Sitten und Bräuche der Deutschen in Russland », in Heimatbuch 1985-1989, 1989, p. 171.
Voir ANNEXE XCVIII.
Cf. « Zelebrieren, Geschichte und Gerichte zum Osterfest », in Deutsche Allgemeine Zeitung, 13/2002, p. 7. Cf. « Deutsche Traditionen im Mai », in Deutsche Allgemeine Zeitung, 13/2002, p. 7.
Voir ANNEXE XCVIII.
Voir ANNEXE XCVIII.
Voir ANNEXE XCVIII.
Neues Leben, 19/11/1960.
Ibid., 28/11/1963.
Cf. B., PINKUS, I., FLEISCHHAUER, Die Deutschen in der Sowjetunion, Baden-Baden, 1987, p. 440.
Cf. Freundschaft, 05/07/1969, 30/07/1969, 01/01/1970.
Neues Leben, 17/05/1975.
Ibid., 08/02/1977.
Ibid., 07/06/1978.
Cf. Neues Leben, 29/04/1975, 18/05/1976.
Neues Leben, 25/01/1977.
Selon les témoignages de Arthur Hörmann et Eugen Warkentin, in Neues Leben, 09/01/1980.