1 - Pour une tradition narrative : le genre romanesque, des origines à la Renaissance française

En dépit de son caractère protéiforme, le roman possède des lois immuables ; à ce titre, il faut militer en faveur de l’existence d’une histoire du genre. Depuis le début du XXsiècle, des recherches internationales assez éparses, de caractère monographique ou générique, ont réévalué l’intérêt que constituent ses origines. Quoique la datation et les conditions de sa naissance demeurent encore mystérieuses, il a été progressivement acquis que la composition distincte de langue française à laquelle Chrétien de Troyes a donné un nom à la fin du XIIe siècle ne constitue ni l’état primitif ni la forme ultime de la res romanesque. Celle-ci n’est pas l’œuvre de la seule France, mais de l’Europe, autrement dit, selon les termes de Husserl, de l’» identité spirituelle qui s’étend au delà de l’Europe géographique […] et qui est née avec l’ancienne philosophie grecque 5  ».

Le roman a vu le jour en Orient au début de notre ère, dans les provinces asiatiques de l’Empire romain situées autour de la Méditerranée, sous la plume d’auteurs tels A. Tatius, Héliodore, voire Lucien de Samosate 6 . Le roman grec fonde le prototype du genre : un récit en prose mêlant généralement amours, obstacles et aventures qui aboutissent toujours à un dénouement heureux. Il se définit également par un encyclopédisme remarquable : il convoque non seulement un fonds littéraire, mais aussi des éléments de religion, de philosophie, de politique, de géographie et de science. Mais avec le Satiricon de Pétrone, que nous ne possédons que sous forme lacunaire, Lucius ou l’Âne dans la version abrégéede Lucien et l’Âne d’or, ou les Métamorphoses d’Apulée, le genre romanesque quitte, presque à la même époque, l’univers idéalisé des sentiments pour s’attacher à la peinture satirique des mœurs. Influencé par la fable milésienne et rédigé à la première personne, le roman pratique alors au plus haut point la technique poétique de la satura, compilation hétéroclite à vocation polémique ; il s’abreuve ainsi à la source de la poésie épique et érotique et n’hésite déjà pas à parodier son congénère sentimental 7 . Tels sont donc les deux prodromes du roman européen. Les rares théoriciens de l’évolution complète du genre, dans son extension, de l’Antiquité à nos jours, comme dans sa compréhension, sont d’accord pour voir en eux le stade embryonnaire de la forme romanesque 8 .

Le premier roman de langue française, ancêtre commun direct des romans français, espagnol, italien, anglais et allemand, est rédigé en vers et date du milieu du XIIe siècle : c’est le Roman de Thèbes, adaptation de la geste d’Œdipe relatée dans la Thébaïde de Stace. Il a, on le voit, plus maille à partir avec l’épopée romaine, source d’aventures sentimentales et guerrières, qu’avec les formes romanesques primitives. S’il se réfère à l’histoire mythique de la Grèce, il le fait par l’intermédiaire de compilations latines, ce qui donne un peu rapidement à son auteur anonyme et à ses successeurs le statut d’historien 9 . La fidélité à l’hypotexte et le didactisme sont pour la première fois exhibés dans le roman et ces devises sonnent déjà faux… Le roman dit « antique »se veut un divertissement de lettrés infléchissant sa source dans le sens de la célébration, en langue romane, de la féminité. Mais Wace, le dernier de ces historiens-romanciers, prend pour point de départ de son Roman de Brut, écrit vers 1155, l’Historia regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth ; grâce à ce texte, la matière de Bretagne et la figure emblématique du roi Arthur vont pouvoir faire leur apparition en français. Chrétien de Troyes saura traiter les contes celtes à partir de la conception de l’amour développée par la poésie lyrique des troubadours et en reprenant à la chanson de geste le personnage du chevalier, dont le destin individuel constituera le centre de la trame narrative. À la manière des romans grecs et latins, pourtant souvent oubliés, le genre s’ouvre ici à un matériau large ─ la littérature antique, les légendes chrétiennes, les récits folkloriques ─ qu’il unifie dans la singularité d’une expression. Orienté vers sa forme et vers sa « senefiance », le roman cesse d’être la traduction ornementale d’une œuvre antique : il devient un exercice de création. De fait, si le clerc champenois est bien ‘«’ ‘ celui qu’on s’accorde à nommer le fondateur du roman occidental’ 10  », c’est qu’il investit les épisodes du récit d’un sens supérieur à rechercher, au fil du cheminement initiatique du héros, dans la cohérence courtoise et spirituelle qu’il donne à un schéma mythique.

L’apparition de la prose dans la première moitié du XIIIsiècle, sous l’influence conjuguée de la tradition monastique et de l’historiographie, favorise une tendance générale à la cyclisation romanesque. Le genre accepte ouvertement sa marginalité dans une culture sociale et littéraire de la voix 11  : progressivement destiné à une lecture silencieuse, il prend une ampleur nouvelle par la multiplication des personnages et de leurs aventures, la modulation de leurs pensées et le développement de leurs discours. Si les continuateurs, pour la plupart anonymes, affirment la vérité de leur ‘«’ ‘ cronique ’» ou de leur ‘«’ ‘ estoire ’», ils apportent des modifications à leur source, dans le cadre d’une composition beaucoup plus lâche. Le symbolisme des épisodes empruntés à la matière de Bretagne, dont le Lancelot-Graal est la meilleure illustration 12 , se fait plus explicite. La toute-puissance de l’écrivain sur l’organisation de son œuvre se marque par la pratique usuelle de l’entrelacement, qui permet d’évoquer parallèlement, au sein d’une même coupe temporelle, des actions réalisées en des espaces distincts. Celle-ci, comme le mélange des tons et des genres ou la coexistence nouvelle de la prose et du lyrisme, est orientée vers une ‘«’ ‘ senefiance »’ relativement claire. Il s’agit de rendre le réel dans sa complexité, de donner, par-delà l’évidente confusion de la réalité, une portée universelle à la morale chevaleresque. La narration reste donc en conformité idéologique avec le discours en vers tenu sur le monde par les œuvres de Chrétien, la série des Tristan et, plus tard, le Bel Inconnu de R. de Beaujeu.

Le XIVe et le XVe siècle français infléchissent la technique de l’imitation instaurée par les grandes adaptations de l’époque de R. de Boron : la libre réécriture d’une matière versifiée, explorant les ressorts propres de la prose, disparaît au profit de la simple transposition linguistique de poèmes en ‘«’ ‘ vieux roman ’» 13 . Hormis quelques romans nouveaux, tels que Perceforest, de source bretonne, ou le Mélusine de J. d’Arras, ‘«’ ‘ chronique’ » de la maison de Lusignan, les mises en prose commencent véritablement en 1430 et s’intensifient au milieu du siècle. Inspirées par l’idée que les romans et les chansons de geste d’autrefois ont ceci de commun qu’ils sont de l’histoire transcrite dans un langage corrompu, elles gomment la différence entre les genres littéraires et nivellent le fonds arthurien et celui de l’épopée 14 . Charlemagne, Turpin, Fierabras, Ogier le Danois, Aimeri de Narbonne, Guillaume d’Orange, Renaud de Montauban passent au premier plan parmi les héros d’aventures, avant même les protagonistes arthuriens. L’Espagne s’engage à son tour au XIIIsiècle sur la voie des libros de caballerías, versions en prose de textes français ; l’Italie inversement, transposant en vers la prose narrative française, inaugurera au XVsiècle sa propre production de romanzi, mêlant tout en même temps nostalgie et satire de l’épopée antique et médiévale 15 . En France, les deux seuls romans à détonner face à cet engouement pour des histoires chevaleresques bien anciennes sont le Saintré d’A. de La Sale et le Roman de Jehan de Paris : tout en se présentant conjointement comme des traités d’éducation à l’usage des nobles, ils mettent à distance, par le biais de l’humour, une courtoisie hypocrite et artificielle 16 . S’ils sonnent le glas de l’idéal du Moyen Âge et prônent en creux la recherche du bonheur face à la crise morale de leur temps, ils demeurent l’exception au sein du déferlement d’œuvres exaltant l’esprit chevaleresque.

Dans cette perspective, le roman n’a pu qu’être servi par le développement de l’imprimerie 17 . À partir de 1478, date de la première impression d’un roman en prose, en l’occurrence Fierabras, les incunables se font nettement l’écho du succès remporté par les fictions romanesques auprès d’un lectorat au départ aristocratique. Il s’avère toutefois qu’ils favorisent moins la mise en prose des ‘«’ ‘ vieux romans ’», syntagme cher aux XVIe et XVIIsiècles, qu’ils ne renforcent la pratique de la répétition, de la création de cycles et de la compilation : les imprimeurs suivent de près les manuscrits en prose, sauf à les rajeunir encore un peu pour les conformer à l’évolution de la langue et des mœurs. Très souvent, le succès remporté par les premiers romans imprimés ne se dément pas après 1500 ; c’est le cas de l’original Pierre de Provence et la belle Maguelone qui connaît douze éditions successives en incunables et qui sera salué par quatorze autres au siècle suivant. Gyron le Courtois, intitulé plutôt Palamedes au Moyen Âge, est publié d’office avec Meliadus dans le recueil de Rusticien de Pise ; le succès remporté par la seconde partie poussera cependant les libraires à la réimprimer abondamment, au risque de scinder leur regroupement initial. Une des publications les plus prisées du XVIsiècle a certainement été Renaut de Montauban, autrement nommé Les quatre filz Aymon ; cette épopée féodale a eu vingt éditions au XVIe siècle et ses deux suites manuscrites, Maugis d’Aigremont et Mabrian, ont suscité dès leur parution un engouement presque inégalé. Elle atteste le goût prononcé d’un public, qui va bientôt s’élargir aux classes plus modestes, pour les chansons médiévales remaniées tardivement, jugées plus propres encore que les romans de la Table ronde à convoquer prouesses guerrières, féerie, voyages, conversations, événements politiques et épisodes de franche sentimentalité, le tout enchaîné lestement. Il demeure que les romans imités des cycles arthuriens, tel Pontus et Sidoine, sont mis et remis sous presse. Les œuvres ‘«’ ‘ originales ou relativement originales’ 18  » en matière de continuation de textes antérieurs font ici figure d’exception : il faut citer la troisième et dernière suite de Renaut de Montauban, à savoir La Conqueste de Trebisonde, ainsi que le récit anonyme des prouesses du fils d’Ogier, Meurvin, datant approximativement de 1500 et non diffusés autrement que sous la forme imprimée. La pratique du dérimage, fort prisée des XIVe et XVsiècles, est de même une survivance d’ordre exceptionnel. Nous n’avons repéré entre 1500 et 1592 que trois translations de vers français en prose : dans les seuls cas de la Chronique duPseudo-Turpin adaptée au début du siècle et publiée en 1527, de Richard sans peur, la continuation de Robert le Diable, et de Guillaume de Palerne 19 . De même, seules deux nouvelles versions de légendes latines de source grecque sont proposées à la même période : Ch. de Saint-Gelais traduit un des livres apocryphes des Maccabées, tandis que G. Corrozet élabore une version d’Apollonius de Tyr différente de celle des incunables.

Finalement, comme le rappelle D. Ménager, ‘«’ ‘ en ce domaine comme en d’autres, l’idée d’une rupture entre le Moyen Âge et le XVIe siècle est fausse’ 20  ». La Renaissance française perpétue largement le fonds chevaleresque, moins en remaniant ou en compilant des modèles médiévaux, qu’en éditant ou rééditant la plupart des chansons de geste lues jusque-là ainsi que plusieurs romans de la Table ronde et quelques recueils narratifs. Cette période signe la fin des mises en prose et la rédaction d’œuvres originales dans la lignée des Berinus, de Florimont et sa suite du XVsiècle, Philippe de Madien ou encore de Valentin et Orson. Forte de son succès, l’imprimerie n’envisage nullement de promouvoir d’autres lectures romanesques : elle sélectionne, filtre, vulgarise les histoires anciennes, déversant sur le marché près de cinq cent cinquante éditions de romans, dont on peut encore parfois recenser sept cent cinquante exemplaires 21 . L’engouement suscité par les ‘«’ ‘ chroniques ’» gargantuines, adaptant presque parodiquement l’histoire du géant Gargantua au roman de chevalerie, témoigne sans conteste du ‘«’ ‘ panthéon élevé »’, en pleine Renaissance, ‘«’ ‘ à la gloire de l’idéologie féodale ’» 22 .

Notes
5.

Cité par M. Kundera dans L’Art du roman, Paris, Gallimard, « Folio », 1986, p. 13.

6.

Outre des textes comme Leucippé et Clitophon ou les Éthiopiques, l’Histoire véritable est insérée par P. Grimal dans son édition des Romans grecs et latins, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, pp. 1339-1384, en tant que premier roman utopique de la littérature européenne et première parodie romanesque, tandis que M. Fusillo, dans Naissance du roman, M. Abrioux (trad.), Paris, Seuil, « Poétique », 1991 [1ère éd. Venise, 1989], l’exclut de son corpus d’étude du roman grec.

7.

M. Fusillo (ibid., p. 19) insiste cependant pour nuancer l’opposition entre un roman grec sérieux, qui ignorerait le jeu déclaré avec la tradition, et le courant ménippéen, dont les fondateurs seraient Lucien, Pétrone et Apulée.

8.

Nous rappelons ici les noms des spécialistes contemporains du roman européen : M. Bakhtine, surtout, et son Esthétique et théorie du roman, op. cit., qui voit dans les romans grecs et latins des « exemples isolés, simplifiés » du genre (p. 188) ; M. Menéndez Pelayo avec ses Orígenes de la novela, 4 t., Santander, Aldus, 1943, t. I, p. 11, qui parle pour les romans précités de « formas seminovelescas » ; E. M. Meletinskij, qui étudie, dans son Introduzione alla poetica storica dell’epos e del romanzo, C. Paniccia (trad.), Bologne, Il Mulino, 1993 [1ère éd. Moscou, 1986], l’origine mythique des compositions épico-romanesques ; D.-H. Pageaux, qui mène, dans Naissances du roman, Paris, Klincksieck, « Études », 1995, une étude comparée des manifestations du genre en France, en Espagne, en Angleterre et en Allemagne ; et T. Pavel, qui fait du roman hellénistique, dans sa récente Pensée du roman, Paris, Gallimard « nrf/essais », 2003, p. 89, une des formes du « roman idéaliste prémoderne ».

9.

La traduction libre d’œuvres de fiction latines n’a évidemment rien d’historique, pas même pour les rédactions et modifications successives du Roman d’Alexandre,imitées en partie de l’Historia de proeliis. Nous reviendrons, au cours de notre développement, sur le qualificatif d’estoire par lequel les clercs désignent leur Thèbes, Énéas, Troie et Brut : il est à entendre comme un quasi-synonyme de conte, autrement dit de l’actuel récit.

10.

Selon les termes de M. Voicu dans Histoire de la littérature française, 2 t., A. Ion (dir.), Bucarest, Presses de l’Université, 1981, t. I, p. 106.

11.

L’emploi de la prose est une caution de véracité pour les auteurs. Notons cependant que dès lors que le roman ne convoque ni le chant ni la déclamation publique, l’emploi du vers perd sa raison d’être. Cela n’est pas complètement acquis par les premières continuations : en France, on écrira des fictions en vers au moins jusqu’au Méliador de Froissart, à la fin du XIVsiècle.

12.

Cette Vulgate arthurienne, composée vers 1225, contient cinq branches écrites pendant trois siècles : l’Estoire del Graal, l’Estoire de Merlin et les trois branches de Lancelot du Lac, à savoir le Lancelot propre, la Queste del Saint Graal et la Mort le Roi Artu. Pour seul exemple de la ramification opérée par le passage à la prose, rappelons que Lancelot ajoute au Chevalier de la Charrette le récit des enfances du chevalier et celui d’une passion inscrite dans la durée d’une carrière héroïque au service d’Arthur.

13.

Telle est l’activité de « dérimage », définie par G. Doutrepont dans son ouvrage de synthèse Les Mises en prose des épopées et des romans chevaleresques du XIV e au XVI e siècle, Genève, Slatkine Reprints, 1969 [1ère éd. Bruxelles, 1939]. L’auteur y oppose les romans écrits directement en prose, à partir du XIIIe siècle, à « ce qu’on peut ou doit appeler des traductions, des translations, des modernisations, des rajeunissements en prose de récits rimés qui datent d’une époque plus ou moins ancienne du Moyen Âge : or ce genre de travail s’est accompli surtout pendant le XVe siècle » (p. 3).

14.

Si beaucoup de chansons ont été composées entre 1130 et 1180, les jongleurs ont ensuite été plus influencés que leurs prédécesseurs par l’éthique courtoise : au XIIIsiècle et au début du suivant, ils inventent des récits complémentaires, qui seront à plusieurs reprises « dérimés », comme diront les translateurs. Des compilations de chansons voient aussi le jour dès les manuscrits du XVsiècle, comme Garin de Montglane reprenant successivement Girart de Vienne dans sa version amplifiée du XIVsiècle et dérimée ensuite ; le Galien en vers du XIIIsiècle mêlé à la matière adaptée aux goûts du XIVsiècle de Garin de Montglane ; Aimeri de Narbonne, imité du roman en prose de Guillaume d’Orange ; La Reine Sibille ; et enfin, Couronnement Louis. Ysaïe le Triste, quant à lui, est un des quelques romans écrits en prose au XIVsiècle à utiliser librement les différentes topiques : bien que ses personnages appartiennent à la Table ronde – Ysaïe est le fils de Tristan et d’Iseut –, ce roman n’hésite pas à s’inspirer également de Huon de Bordeaulx, de Florimont ou même d’Énéas. Pour illustrer la maigre influence de l’histoire sur la fiction, nous signalons le roman Berinus, réécrit en prose au XIVsiècle, est marqué par les chansons de geste, les romans courtois, les Mille et une Nuits et les chroniques de Planude et d’Hérodote.

15.

En marge du fonds chevaleresque habituel, les œuvres de Boiardo et de Pulci, à savoir Orlando Innamorato, commencé en 1476, et Morgant le Géant, publié en 1483, annoncent la forme du romanzo située à mi-chemin entre l’épopée parodiée et le roman ; Orlando furioso,de l’Arioste, en sera le représentant exemplaire.

16.

Le premier est rédigé en 1456 et révisé en 1461, tandis que le second est écrit de manière anonyme en 1495.

17.

A.-M. Finoli rappelle au début de son article intitulé « L’eredità medievale : al di là delle storie ‘che le carte empion di sogni’ », in Il Romanzo nella Francia del Rinascimento : dall’eredità medievale all’Astrea, Actes du colloque de Gargnano, 7-9 octobre 1993, Fasano, Schena, 1996, pp. 97-108, que l’impression de textes en langue vulgaire couvre vingt-deux pour cent de la production totale des incunables. Il s’agit surtout de traductions du latin, mais il y a aussi beaucoup de romans. Les constats que nous ferons sur la publication d’incunables puis de livres romanesques, tout comme les précédents au sujet de la création romanesque des XIVe et XVsiècles, sont tirés des renseignements fournis par la Bibliographie des romans et nouvelles en prose française antérieurs à 1500, Genève, Droz, 1975 [1ère éd. Abbeville, 1954] et de son Supplément : 1954-1973, Genève, Droz, 1975. B. Woledge y dresse un inventaire des romans manuscrits du Moyen Âge publiés jusqu’à la fin du XVIsiècle.

18.

L’expression ainsi que les deux suites recensées sont extraites du résumé sur les éditions de romans de chevalerie donné par Y. Giraud et M.-R. Jung dans La Renaissance, 2 t., Paris, Arthaud, « Littérature française », 1972, t. I, p. 49.

19.

Comme le précise B. Woledge, alors que le Moyen Âge a produit huit versions de la Chronique, le seul texte imprimé à partir de 1527 est la modernisation du manuscrit de N. de Senlis datant de la fin du XIIsiècle : « elle constitue une version distincte qu’il faut attribuer au XVIsiècle » (op. cit., p. 101). Le Rommant de Richart sans paour est l’œuvre de G. Corrozet, né en 1510 ; selon le même auteur, il aurait dérimé une œuvre versifiée du XIVsiècle (ibid., p. 110). Quant à Guillaume de Palerne, roman en vers du haut Moyen Âge, il a revu le jour, après des années d’oubli, sous la forme d’une première translation en prose par P. Durand, selon les indications d’A. Tilley dans « The prose romances of chivalry », Studies in the French Renaissance, Cambridge, University Press, 1922 [1ère parution 1919], pp. 12-25 et ici p. 24.

20.

Le Roman, C. Becker (dir.), Rosny, Bréal, « Grand Amphi Littérature », 2000 [1ère éd. 1996], chap. 2 intitulé « La crise du roman au XVIsiècle », pp. 47-76 et ici p. 52.

21.

Nous donnons ici les chiffres d’A.-M. Finoli, qui qualifie cette production de « produzione vastissima e desiguale, che comprende opere imitate, riffate, filtrate, arricchite o banalizzate da molteplici passagi in e da altre letterature che quasi sempre hanno attinto a loro volta alle fonti medievali francesi » (op. cit, p. 97). C’est ainsi que le Guerin de Montglave, publié avant 1518 et six fois réédité jusqu’en 1585, ne rassemble plus les cinq histoires répertoriées plus haut : à la différence de la version manuscrite, il ne retient que les romans Girart de Vienne et Galien.

22.

L’expression est de M. Lever dans son Roman français au XVII siècle, Paris, P.U.F., « Littératures modernes », 1981, p. 35. Le goût pour les chevaliers errants perdure sous le règne d’Henri IV, où Les quatre filz Aymon et ses suites, Lancelot et Melusine sont constamment réimprimés, dans des versions souvent simplifiées ou abrégées. Ce type de romans constituera avec la fameuse Bibliothèque bleue, à partir des premières années du Grand Siècle, une littérature définitivement populaire, accessible géographiquement et économiquement à tous, après que les spéculations des imprimeurs et des libraires auront surtout recruté les lecteurs dans la noblesse de Paris et de province.