III - Le rêve d’une nuova poesia : pour un roman épique français ?

Si les lettrés français vouent une admiration immense à l’Orlando furioso 262 , jamais ils n’entreprennent d’imiter la forme hybride de ce roman, pas plus qu’ils ne relèvent un défi théorique similaire à celui que se lancent les poéticiens italiens. Pourtant, la Poétique est en partie assimilée après le milieu du siècle ; pourtant encore, notre pays a une connaissance au moins approximative des préceptes de Giraldi et de Pigna sur le romanzo,peut-être même avant les années quatre-vingts 263 . Or peu rompue à l’exercice des querelles ‘«’ ‘ néo-aristotéliciennes ’», la France ignore tout simplement le problème de poétique et de rhétorique traditionnelle posé par l’existence du roman. Des deux voies normatives explorées par quelques érudits, aucune ne constitue une véritable codification du roman de chevalerie  seul sous-genre romanesque reconnu par l’usage linguistique du temps. D’un côté, les traducteurs des histoires chevaleresques à la mode espagnole ou italienne tentent de réhabiliter une forme inutile et indécente en la forçant à entrer dans la définition de la poésie établie par les Anciens. De l’autre, les membres de la Pléiade intègrent les vieux romans à leur théorisation du poème héroïque ; mais la ‘«’ ‘ nouvelle poésie’ ‘ 264 ’ ‘ »’ sur laquelle ils entendent légiférer n’a rien à voir avec celle de l’Italie et si leurs discours normatifs laissent percer une conception romanesque de l’épopée, l’idée d’un ‘«’ ‘ roman épique ’» reste en France à l’état d’ébauche.

Notes
262.

L’Orlando furioso connaît deux versions françaises distinctes en 1544 et en 1577. Tout au long du siècle paraissent également des traductions partielles de l’œuvre, comme celle en vers des quinze premiers chants par J. Fournier en 1555, ainsi que plusieurs adaptations, telle l’Imitation de quelques chants de l’Arioste par P. Desportes en 1572.

263.

Le mystère reste entier sur la date à laquelle la théorie romanesque italienne a pénétré en France. Dans l’introduction de la récente édition de I Romanzi, S. Ritrovato (éd.), Bologne, Comissione per i Testi di Lingua, 1997, rien n’est avancé à ce sujet. Rappelons qu’il n’est pas impossible que l’emploi par Ronsard de « Roman », en 1572, pour désigner la Franciade soit un italianisme. En tout état de cause, comme nous l’avons déjà mentionné, des références aux analyses sur l’étymologie de romanzo sont faites en 1581, dans le Recueil de l’origine de la Langue et Poësie Françoise, ryme et Romans de Fauchet. Le Grand Siècle citera avec révérence les noms de Giraldi et Pigna ; sous la plume de Ménage et de Huet, ces derniers apparaîtront à juste titre comme des pionniers en matière de théorie romanesque.

264.

L’expression est utilisée par Du Bellay, dans la Défense, op. cit., II, 1, p. 232, pour promouvoir la poésie lyrique.