1 - D’un scripteur à l’autre : les mécanismes de déplacement du sens

Toute traduction ou réécriture opère la confrontation d’au moins deux instances discursives, celle du romancier primitif et celle de l’adaptateur. L’apparition d’un langage ajouté peut se faire plus ou moins harmonieusement et l’opération de détournement du sens arriver ou non à bonne fin. Cela pousse certains translateurs à recourir à un dispositif paratextuel soigné, qui impose de manière claire le nouveau sens conféré à l’œuvre. C’est le cas, par exemple, de G. Michel qui, traduisant en 1517 les Métamorphoses d’Apulée, élabore une préface où il fait du roman latin une parabole chrétienne 376 . Les lecteurs du temps ont probablement été plus convaincus par l’incitation au déchiffrement allégorique du Roman de la Rose, plusieurs foisreconduite au XVIe siècle. Le titre du dérimage de J. Molinet, le Roman de la Rose moralisé, paru en 1500, ainsi que les commentaires ajoutés au texte par l’adaptateur laissent entendre que l’œuvre recèle des mystères chrétiens. Parallèlement, le ‘«’ ‘ Preambule » ’du Rommant de la Rose de 1526 invite à ‘«’ ‘ interpreter ’» l’œuvre de façon morale, théologique, philosophique, voire scientifique, quand bien même cette plurivocité sémantique ne serait pas le résultat d’un travail conscient d’encodage de G. de Lorris et de J. de Meun. L’éditeur n’ira cependant pas au delà d’une modernisation d’un ‘«’ ‘ trop ancien langaige ’» et d’une restitution de la ‘«’ ‘ quantité des mettres, tous quasi corrompuz ’» : Marot estime suffisant, pour aider ‘«’ ‘ l’intelligence des lecteurs et auditeurs ’», de restituer un texte en bon état 377 . En marge de ces techniques visibles de balisage du sens du récit transcrit, il est des cas où le transfert d’intention se fait de manière plus subtile. Nous en prendrons deux exemples.

Le Premier livre de la belle et plaisante histoire de Philandre et Passerose, imprimé en 1544 sans nom d’auteur, entre dans la catégorie des romans qui ne remontent pas à un modèle médiéval spécifique. La dédicace que J. Des Gouttes adresse au futur Henri II trahit la paternité de l’ouvrage et insiste sur le caractère innovant de la matière narrative ; le ‘«’ ‘ Prologue de l’autheur ’» signale encore l’inventivité du scripteur, qui refuse les appellatifs translateur ou traducteur. Or à lire les ‘«’ ‘ nouvelles histoires’ ‘ 378 ’ ‘ ’» annoncées, on constate vite que la trame est celle des romans de chevalerie médiévaux : tout prédestine Philandre et Passerose à s’aimer, le rang, la richesse et les sentiments, mais le gentilhomme doit, avant de déclarer son amour et d’obtenir les faveurs de sa belle, accomplir des exploits à la mode des ‘«’ ‘ Chevaliers errans’ ‘ 379 ’ ‘ ’». Plus particulièrement, nous sommes frappée par les ressemblances entre la thématique de ce récit et les données narratives d’un roman écrit au début du XVe siècle et qui connaît quatorze rééditions de 1500 à 1560, Pierre de Provence et la belle Maguelone 380 . L’origine des personnages est semblable : Philandre est prince de Marseille et Passerose, comme Maguelonne, fille du roi de Naples ; au terme de leur parcours, les héros masculins sont appelés à unir les deux contrées de France et d’Italie. Les romans s’inscrivent, par ailleurs, dans la tradition bretonne par la place centrale qu’y occupe l’épreuve d’amour : les amants doivent fuir Naples car les parents de la jeune fille, tout en reconnaissant la valeur du chevalier, ne sont pas favorables à leur union ; un accident les sépare brutalement et il faudra bien des peines et des actes d’héroïsme de la part de chacun d’eux pour qu’ils se retrouvent et se marient. Dans Philandre et Passerose comme dans Pierre et Maguelonne, le merveilleux est également constamment sollicité. Il se manifeste par l’irruption constante de géants, de nymphes, de gryphons et d’enchanteurs ; dans le récit de Des Gouttes, le passage dans la forêt des Aventures et la rencontre de la reine des Îles fortunées ménagent, d’ailleurs, des moments de forte intensité. Quant au motif de la rencontre avec des pirates, il ne détonne pas de la matière chevaleresque tardive ; un roman grec comme Apollonius de Tyr avait déjà permis de déplacer le monde des aventures sur la mer. Cependant, des ajouts essentiels faits par Des Gouttes à l’histoire de Pierre et Maguelonne cassent la logique linéaire du récit médiéval, tout orientée vers la sanctification de la pureté et de la chasteté des personnages 381 . Le phénomène le plus visible s’avère l’utilisation insistante de l’entrelacement par le biais de l’insertion du double de Philandre, Sclarion, ou de héros mauvais, qui ont chacun un parcours actantiel propre. Une forte sensualité teinte également la description des scènes d’amour, en particulier celles de Sclarion au lit avec son amie Camille. Ces nouveaux éléments invitent à songer à un autre intertexte, à savoir la version française des quatre premiers livres d’Amadis, achevée un an plus tôt. Le romancier lui-même a mis le lecteur sur la piste dans son ‘«’ ‘ Prologue ’» en reprenant à son compte les intentions affichées par Herberay dans ses préfaces. La double interprétation politique et récréative du roman est ainsi formulée au seuil du texte : ‘«’ ‘ l’autheur ’» entend faire le récit au dauphin de France des ‘«’ ‘ haultz faicts et gestes des Princes anciens ’», dont les exploits guerriers d’Henri sont le reflet, en même temps que d’une ‘«’ ‘ histoire ’» pour le divertir de ses occupations 382 . Comme le traducteur, l’imitateur des fictions médiévales a la particularité de rompre avec le motif de l’écrivain-tâcheron. Il insiste ainsi sur la façon dont il a traité la matière de Mars et de Vénus, même si c’est ‘«’ ‘ avec peu d’artifice » ’; sous couvert d’un appel aux Muses pour suppléer la médiocrité de son style, il fait l’éloge du résultat auquel il est parvenu, ces ‘«’ ‘ narrations ’» rendues avec de ‘«’ ‘ sonoreux accens ’». Le je ne disparaît pas lors du récit, bien au contraire : il rappelle à tout moment sa présence par les formules du roman de chevalerie. Or le vieux code de l’oralité reprend vie par la récurrence de son emploi, la constitution de ‘«’ ‘ Monseigneur ’» Henri en narrataire du récit et la mise en scène du narrateur, qui substitue souvent aux formules impersonnelles, telles ‘«’ ‘ adoncques vous eussiez veu ’» ou ‘«’ ‘ pour abreger ’», les expressions du type ‘«’ ‘ comme je vous ay dict ’». Des Gouttes s’oblige, par ailleurs, à reprendre le cliché d’une source que le roman est censé restituer, lui qui clamait plus haut l’originalité des ‘«’ ‘ narrations [s]iennes ’». Cela lui permet, par le ressort de l’humour, de contrevenir au topos de l’histoire vraie ; il interrompt ainsi la description du combat auquel participe Philandre à Naples pour commenter l’usage d’une hyperbole : ‘«’ ‘ et dict le Scripteur de ceste histoire (ce que me semble chose merveilleuse, non de croire) [que les tours de la ville tremblèrent]’ ‘ 383 ’ ‘ ’». Il est ainsi notable que l’auteur fasse choix d’inventer une instance d’écriture qui entre en concurrence avec le narrateur traditionnel pour donner, par la distance qu’il ménage avec elle, une orientation singulière à son récit. Celle-ci tient à la volonté de susciter chez le lecteur le plaisir du récit : par un usage concerté de la vivacité dans l’enchaînement des épisodes et de la luxuriance dans les matières et les thèmes convoqués, il fait tout pour surprendre et séduire. Outres les références intertextuelles que nous avons mentionnées, il faut également remarquer la présence en palimpseste du Roland furieux, disponible en italien depuis 1532 et déjà en français à la même époque. La convocation du substrat du romanzo ajoute au foisonnement et à l’agrément du texte français et permet de faire intervenir, en plus du merveilleux celte, le panthéon latin. Pour donner un exemple, la description de Neptune, qui se manifeste aux navigateurs partis pour Naples, n’a aucun rôle narratif  le dieu est ensuite oublié ; elle vaut seulement par son caractère ornemental :

‘Et mesmes neurent guieres navigué avant que leur voicy apparoir ce grand Neptune avec ses cheveulx et la barbe retortillez et mouillez, tenant son redoubté Trident, de quoy il maistrie les vagues marines, monté sur son chariot legierement trainé par quatre merveilleux Monstres, ayant le devant en forme de cheval, et le derrier en maniere de poisson 384 .’

Dès lors, un cadre rassurant, où la cruauté est euphémisée, donne à la quête des héros une simple fonction de multiplication des trouvailles narratives, soulignées par la présence souriante d’un narrateurqui jouit de sa propre inventivité.

Dans un registre tout différent, la série des chroniques gargantuines, dont les opuscules, non signés, ont paru à partir de 1532, brouille également le statut de l’auteur et le rapport qu’il entretient avec les sources convoquées. Toutes se présentent comme l’adaptation de l’histoire d’un géant populaire à la matière arthurienne. Celui-ci, nommé Gargantua, est défini par sa force physique, son appétit, sa soif et ses fonctions scatologiques ; la description par l’hyperbole de ses faits constitue un élément majeur de l’attrait de ces histoires, qui ont connu un grand succès éditorial. Mais ce géant est intégré à une trame médiévale, que nous résumons brièvement. Merlin propose à Arthur, soucieux de pérenniser son royaume, de lui façonner une créature invincible ; la gestation de celle-ci est longue puisque le magicien va d’abord former en Orient les géants Grand Gosier et Gallemelle, à partir du sang de Lancelot et de rognures d’ongles de Guenièvre ; ils engendreront ensuite Gargantua et reviendront en France, où ils mourront ; Merlin emmènera alors l’orphelin en Grande Bretagne, où il deviendra le protecteur d’Arthur, jusqu’à son transport en Féerie par le magicien. Une question d’importance se pose pour notre étude, sur laquelle se penche encore la critique actuelle : les livrets gargantuins sont-ils l’œuvre de scribes qui ont recueilli des légendes diverses attachées à une figure présente dans la tradition populaire, ou bien ont-ils été écrits par des clercs qui ont inventé de toute pièce l’histoire d’un géant bon enfant et se sont plu à l’intégrer au cycle arthurien 385  ? Pour notre part, nous nous bornerons à constater l’usage de matériaux composites dans ces textes, en particulier dans Les croniques admirables du puissant Roy Gargantua 386 . Cet opuscule nous intéresse parce qu’il est une compilation, peut-être parue en 1534, de trois précédents textes, à savoir Les grandes et inestimables Cronicques, Le vroy Gargantua et Les cronicques du roy Gargantua,et qu’il y ajoute l’histoire de Pantagruel, créant ainsi un cycle gargantuin. Ce recueil répond à des projets commerciaux : il rassemble toute la matière livresque alors disponible sur Gargantua et en partie sur Pantagruel. Dès lors, malgré la simplicité de leur langue, qui se soucie peu de l’organisation phrastique, de la lourdeur des répétitions et des accumulations pour ne se concentrer que sur l’information diégétique, les Croniques admirables posent éminemment le problème de la réécriture. Le ‘«’ ‘ Prologue capital ’» du texte rassemble ainsi les techniques d’adresse au grand public et la revendication savante, dans la continuité des proses médiévales, d’une source historique et de l’existence de textes antérieurs retranscrits :

‘Pour demonstrer à chascun populaire les grandes et merveilleuses hystoires du noble roy Gargantua, j’ay bien voulu prendre la peine de translater ceste presente hystoire de grec en latin et de latin en bon françoys, qui traicte de sa nativité et qui furent ses pere et mere, comme vous pourrez ouyr cy après. Pour le commencement de ceste vraye cronicque vous devez scavoir comme nous tesmoingne l’escripture de plusieurs cronicqueurs […] 387 .’

On le constate, la diversité des matériaux convoqués place le texte sous le patronage du roman de chevalerie, du récit historique ainsi que du conte populaire. Comment le scripteur organise-t-il ces différents substrats et comment concilie-t-il les postures énonciatives plurielles que chacun d’eux suppose ? Il nous semble qu’il le fait par une hiérarchisation concertée des matières et des styles : les faits et gestes de Gargantua sont placés dans un cadre noble, celui de l’exploit guerrier arthurien et de la défense d’un royaume, tandis que la narration en donne un traitement distancié par le double moyen d’un ton populaire et d’événements qui contredisent le sérieux de la destinée héroïque d’un chevalier. Le premier niveau de distanciation apparaît dans les multiples intrusions d’un je non traditionnel dans le récit : les ‘«’ ‘ or nous dit l’hystoire ’» et ‘«’ ‘ desquelz [choses] vous orrez parler cy après ’» alternent avec des adresses nombreuses aux ‘«’ ‘ bons amys ’» auditeurs, qui relèvent du ton du bonimenteur de foire 388 . Quant au second procédé, l’évocation d’un des nombreux passages scatologiques du texte nous donnera un aperçu de son fonctionnement. Alors que Gargantua a accepté d’aller combattre les Irlandais et les Hollandais, les Londoniens, voyant sa noblesse et sa vaillance, lui font présent de ‘«’ ‘ sept fournitures de godalle ’», c’est-à-dire de bière sans houblon. Une fois introduit ce motif gigantal, l’épisode tourne au comique, le héros se mettant à ‘«’ ‘ dor[er] les murailles de la ville de Londres ’» :

‘Alors [Gargantua] s’enclina devers le roy Artus, puis s’en va deslacher son brodier si tresimpetueusement que on cuydoit que la ville fondist toute en abisme, car il rendit si tres terrible esclipse de cul que toute ladite ville jusques à l’autre costé de la riviere de la Thamise en estoyent tous embrenez. Puis leur dist tout hault : « Meschans godalliers, vous m’avez donné à boire ; mais, affin que ne me reprouchez rien, je vous baille la fine moustarde de chioche à menger, et se vous la trouvez bonne, ne faictes que vous retourner par devers moy, car je vous la bailleray tousjours toute fresche, comme la maree au jour de vendredy » 389 .’

La familiarité des images, la mention de détails ‘«’ ‘ réalistes ’»  Gargantua épargne Arthur en se penchant de son côté  ainsi que la crudité du discours de celui-ci entraînent une dégradation de type burlesque de la thématique romanesque ancestrale. Il ne nous appartient pas de dire si ce décalage va ou non jusqu’à la parodie ou la satire 390  ; la seule certitude est que la double caractéristique savante et populaire de la rédaction a un effet humoristique et que le ton de la facétie domine l’ensemble de l’œuvre. Que les chroniques gargantuines soient la transcription d’une légende antérieure ou que les rédacteurs aient inventé de toutes pièces l’histoire du géant, les opuscules qui nous sont parvenus nous permettent d’établir la mise en œuvre des techniques de l’adaptation et de la réécriture de modèles. En ce sens, nous avons affaire à des œuvres nouvelles.

Les créateurs de fictions inédites à partir du fonds médiéval tardif ne sont pas très nombreux à la Renaissance. Mais aucun d’entre eux n’adopte la position de retrait par rapport à l’histoire racontée qui était celle des translateurs du XVe siècle. S’ils convoquent les postulats de la transmission d’une donnée ancienne, de sa valeur documentaire et de la rudesse du style, en lien avec un manque de culture, c’est comme autant de motifs éculés. Ce n’est pas à ce niveau liminaire du texte qu’ils construisent une position énonciative différenciée : une voix singulière se fait entendre tout au long du récit dans la façon qu’elle a de remanier la pluralité des matières qu’elle utilise.

Notes
376.

L’article d’A. Preda intitulé « ‘Lector intende : laetaberis’, L’Asino d’oro di Apuleio nel Rinascimento francese », in Il Romanzo nella Francia del Rinascimento…, op. cit., pp. 21-33, fait le point sur la visée respective des traductions de G. Michel, J. Louveau et de G. de la Bouthière. Alors que les deux premiers veulent à toute force donner une intention morale au roman, quitte à placer à sa fin une table des passages à contenu didactique, le dernier cherche à imposer au public une lecture de divertissement.

377.

« Preambule » du Rommant de la Rose, op. cit., p. 61.

378.

Le premier livre de la belle et plaisante histoire de Philandre et Passerose, Lyon, J. De Tournes, 1544, « À tresillustre et tresvertueux prince Monseigneur Henry », p. 6. Le « Prologue de l’autheur » définit par périphrase l’appartenance générique du texte : il est une de ces « œuvres prinses en l’eternel memorial : auquel sont enregistrez les haultains faictz darmes, et damours » (p. 10).

379.

Ibid., p. 24.

380.

Nous l’avons consulté dans l’édition suivante : L’Histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne, G. Michaut (éd.), Paris, E. de Boccard, 1926.

381.

La tonalité du récit après la séparation des deux amants était ouvertement religieuse, ce que formulait les dernières lignes du texte (ibid., pp. 143-144) :

Quant à Pierre et Maguelonne, ils vécurent en sainte et honnête vie, et moururent en bons chrétiens. Ils furent ensevelis en un même sépulcre, dans l’église dont Maguelonne avait été la fondatrice et où elle avait institué un hôpital qui dure encore aujourd’hui en l’honneur et à la louange de la Trinité, de la glorieuse Vierge Marie et des princes des apôtres, saint Pierre et saint Paul : ils leur ont fait obtenir le paradis. Qu’il leur plaise de nous consoler en nos tribulations sur cette terre et, à la fin, de nous faire posséder cette même gloire. Amen !
382.

Le premier livre de la belle et plaisante histoire…, op. cit., « Prologue de l’autheur », p. 9.

383.

Ibid., p. 101.

384.

Ibid., p. 62. On notera également qu’au chapitre 18, les personnages Mabrian et Bradamant apparaissent au sein d’une longue histoire insérée, ce qui montre la volonté de l’auteur de rassembler les matières romanesques françaises et italiennes en jouant avec l’horizon d’attente de ses lecteurs.

385.

Pour schématiser les positions des deux partis qui s’affrontent sur la question, nous dirons que le premier s’appuie sur les études des folkloristes et le second sur la variété des matériaux convoqués dans les œuvres et sur les interférences entre les éditions des différents livrets, en somme sur les particularités stylistiques des textes. V.-L. Saulnier, qui a apporté une grande contribution aux études gargantuines en général en soulignant les liens entre les Grandes Cronicques et Gargantua, milite en faveur de l’existence d’une légende se rapportant à Gargantua et ayant existé avant, pendant et après l’œuvre romanesque de Rabelais ; voir également la position de M. Françon dans le dossier intitulé « Gargantua et le folklore » en tête des Croniques admirables du puissant Roy Gargantua, M. Françon (éd.), Rochecordon, Ch. Gay, 1956, pp. XXIX-XLII. Dans sa notice sur les deux chroniques  Les grandes Cronicques et Le vroy Gargantua  qu’elle publie dans son édition des Œuvres complètes de Rabelais, M. Huchon donne l’état actuel des éditions recensées des opuscules jusqu’en 1546 avec leur rapport de filiation (op. cit., pp. 1192-1194). L’auteur montre, au contraire, que l’on n’a finalement trouvé avant ces textes que la trace de toponymes désignés sous le nom Gargantua et que les liens possibles avec d’autres légendes ne prouvent pas que le géant soit l’avatar d’un dieu celtique. Elle est ainsi convaincue que ces chroniques ne « sont que jeux de clercs » et ajoute que, si l’on peut encore se demander si les Grandes Cronicques sont ou non un faux livret populaire, on ne le peut plus pour les suivantes, qui la réécrivent avec moult ajouts, variantes et déformations.

386.

Nous les avons lues dans l’édition signalée de M. Françon. On conçoit que le mystère qui persiste autour de la genèse des chroniques gargantuines nous empêche de les recenser parmi les romans parus au XVIe siècle ; si la question avait été tranchée en faveur de leur origine savante, nous les aurions placées au sein des textes romanesques d’inspiration médiévale créés à la Renaissance. C’est cette hypothèse qui nous incite à les évoquer dans le cadre de ce chapitre.

387.

Ibid., p. 3. La suite de l’extrait corrobore l’idée de M. Huchon d’une utilisation facétieuse du code de l’écriture historique : des historiographes contemporains, tel J. Lemaire, sont rejetés comme des garants inutiles de « la verité de ceste presente hystoire », au profit de personnages des romans bretons.

388.

Ses interventions vont jusqu’à la récusation forte de versions antérieures de la légende : « Certains acteurs veullent dire que ledit Gargantua fut totallement nourry de chairs en son enfance. Je dictz que non » (Les croniques admirables…, op. cit., p. 15). Certains passages mettent en scène le narrateur vérifiant lui-même « sur le terrain » les données incroyables de l’histoire (voir par exemple la longue digression pp. 41-42).

389.

Ibid., p. 68. Il faut noter que cela va déclencher le rire du « bon roy Artus et toute sa chevallerie » et qu’ils vont se tordre de douleur les sept jours suivants ; le comique contamine donc l’univers chevaleresque lui-même.

390.

Dans les appendices de l’édition, M. Françon s’y oppose (ibid., p. 128), tandis que M. Huchon fait un recensement des éléments des Grandes Cronicques qui modifient et mettent à distance la tradition arthurienne et conclut en faveur d’une « parodie » de celle-ci (Œuvres complètes, op. cit., p. 1178). Elle va plus loin : elle prête à l’auteur une intention satirique envers les historiens qui donnent une origine prestigieuse aux puissants dont ils sont à la solde  A. Bouchard, dans ses Grandes croniques de Bretaigne, assimile la lignée d’Henri VIII à celle d’Arthur  et, en contrepartie, un projet politique d’affermissement de la royauté française (p. 1182).